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Matériel, lignes, financement… Que faut-il pour consolider le succès des trains de nuit en France?

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Dans une étude, le Réseau Action Climat se félicite du succès de cette offre dans le pays mais estime que sa fréquentation est bridée par les choix de l'Etat qui finance ces trains. L'association propose plusieurs pistes qui risquent de se heurter à une certaine réalité industrielle et financière.

L'engouement pour les trains de nuit en France s'inscrit dans le succès plus global du train comme mode de transport propre. Alors qu'il ne restait plus que deux lignes actives en 2017, l'État a demandé à la SNCF de relancer cette offre avec la réouverture de trois liaisons intérieures: Paris-Nice et Paris-Tarbes en 2021, puis Paris-Aurillac en 2023.

Depuis, les clients sont au rendez-vous avec plus d’un million de voyageurs en 2024, soit 26% de plus qu’en 2023 et plus du double qu’en 2019, même si les périmètres ne sont pas comparables puisque l'offre s'est étoffée d'année en année.

Plus de trains pour désaturer les lignes existantes

Dans une étude "Trains de nuit: le réveil a sonné", publiée mardi 27 mai, le Réseau Action Climat se félicite du succès de cette offre dans le pays et note par exemple que le taux d’occupation atteint désormais 76% en moyenne, et jusqu’à 86% sur Paris-Toulouse. Mais pour l'association, ce succès est bridé par le manque de matériel roulant.

"Pour amplifier l’essor du train de nuit, il est nécessaire d’augmenter le nombre de voitures-couchettes afin de désaturer les lignes existantes et d’ouvrir de nouvelles lignes", peut-on lire.

D'autant plus que les trains qui circulent sont des rames Corail des années 1980 qui font pâle figure face aux trains de nuit de nos voisins, autrichiens notamment. De plus, les rames françaises sont tractées par des locomotives tout aussi antédiluviennes dont les pièces de rechange sont difficiles à trouver.

Début 2025, l'État, qui finance les trains de nuit (et éponge ses déficits), a publié un appel à candidatures pour la fabrication de 180 voitures et 27 locomotives. Avec les investissements pour de nouveaux centres de maintenance, la dépense "sera de plusieurs centaines de millions d'euros". C'est insuffisant pour Réseau Action Climat.

"La taille du nouveau parc permettra d’ajouter quelques branches (ex: Paris-San Sebastián) et de renforcer la capacité de certaines destinations (ex: Paris-Toulouse), mais pas d’ouvrir de nouvelles lignes."

Et de proposer d'activer "une clause optionnelle, déjà présente dans l'appel d'offres, (qui) permettrait de commander 340 voitures en tout, et de relancer des liaisons internationales (ex: Paris-Barcelone) et transversales (ex: Bordeaux-Nice, Strasbourg-Perpignan) après 2030".

Atteindre 3,5 millions de clients par an

De quoi atteindre 3,5 millions de clients par an, estime l'association. Et il faudrait même aller plus loin. "Le doublement du parc n'est qu’une première étape. En 2021, le ministère des Transports a publié un rapport approfondi sur les les trains de nuit , qui a estimé à 600 voitures les besoins du parc de nuit afin d’ouvrir les liaisons à fort potentiel de trafic. Celles-ci sont internationales ou transversales (Bordeaux-Lyon, Quimper-Lyon). Selon notre modélisation, un tel scénario permettrait de transporter 6 millions de personnes, et d’éviter près d’un million de tonnes équivalent CO2 chaque année", estime l'association.

"Après 2035, notre modélisation montre qu’il existe certainement une demande pour étendre plus encore le réseau de nuit. Des lignes comme Paris-Prague, Paris-Budapest, Lille-Nice, Nantes-Barcelone, Lyon-Naples, Nice-Alicante ou Marseille-Londres pourraient ainsi voir le jour, sous réserve de bonnes conditions de circulation la nuit", ajoute Réseau Action Climat.

Retour des trains de nuit : prêts à tenter l'expérience ? - 23/05
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Ces ambitions sont louables mais risquent de se heurter à une certaine réalité industrielle et financière. Qu'il s'agisse d'acheter directement du matériel neuf ou de le louer, le problème est le même: l'offre est très restreinte.

En réalité, quasiment plus aucun industriel de dimension européenne ne possède l'outil industriel nécessaire pour fabriquer des voitures-couchettes. Les constructeurs se sont simplement adaptés à la demande des dernières années, celle des trains à grande vitesse et des trains régionaux, quand les trains de nuit avaient été clairement enterrés.

Des délais de fabrication des trains sont longs

Le train de nuit représente des commandes de petites séries (car les voitures d'une rame sont hétérogènes), des volumes pas assez importants pour les grands industriels comme Alstom, qui ne souhaite pas revenir sur ce marché. Une analyse partagée par l'espagnol CAF qui hésite à répondre à l'appel d'offres de l'État.

Chez les industriels plus petits et qui produisent ce type de rames, les carnets de commandes sont pleins et les délais de livraison s'allongent avec une attente qui peut atteindre quatre, cinq voire six ans.

Un point qui n'échappe pas à Réseau Action Climat qui préconise une standardisation du matériel commandé afin d’industrialiser les lignes de production "pour produire des trains vite et à un prix raisonnable".

Autre frein, le financement. Alors que les contraintes budgétaires n'ont jamais été aussi fortes, les capacités de l'État (seul financeur des trains de nuit) sont limitées. Et ce matériel roulant neuf coûte cher: environ 2 millions d’euros pour une voiture-couchette et 8 millions pour une locomotive, rappelle l'association (même si l'État entend louer ce matériel neuf) tandis que la majorité des lignes exploitées sont déficitaires.

Réseau Action Climat préconise une "majoration de la taxe sur les billets d’avion (TSBA) dès le Budget 2026, afin d’encourager le report modal vers le train et financer les investissements ferroviaires. Rappelons que cette taxe a déjà été augmentée dans le cadre du Budget 2025.

Un financement compliqué

Dernier frein, le vieillissement du réseau qui nécessite de lourds travaux. Or, ces travaux ont souvent lieu la nuit, ce qui coupe les circulations. "Pour garantir la continuité de service des lignes actuelles, et lancer de nouvelles lignes dans de bonnes conditions, les trains doivent absolument pouvoir circuler la nuit malgré les travaux", peut-on lire.

Comment? En développant des itinéraires bis ou en maintenant les circulations "en réalisant les travaux sur une seule voie, ce qui permet aux trains de continuer à passer malgré les travaux". Une piste qui présente un surcoût d’environ 15%, selon le président de SNCF Réseau.

Alors que la SNCF cherche 1 milliard d'euros supplémentaires par an pour mener des travaux structurels sur le réseau, pas sûr que cette proposition fasse l'unanimité.

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business