Trains de nuit: entre engouement et pannes à répétition, pourquoi les rames neuves se font attendre

Le train de nuit a confirmé son succès l'an passé auprès des Français. Près d'un million de voyageurs les ont emprunté notamment grâce à la réouverture de certaines lignes contre 700.000 en 2022, mais avec moins de liaisons proposées.
Cet engouement est néanmoins nuancé par la qualité de service proposé. Les trains qui circulent sont des rames Corail des années 1980 qui font pâle figure face aux trains de nuit de nos voisins, autrichiens notamment. De plus, les rames françaises sont tractées par des locomotives tout aussi antédiluviennes dont les pièces de rechange sont difficiles à trouver.
Outre un confort très relatif, c'est surtout la fiabilité de ces trains qui questionne. Un peu comme le Paris-Clermont Ferrand, la vétusté des voies, l'ancienneté des locomotives et des voitures provoquent des pannes à répétition notamment sur le Paris-Briançon.
Selon les chiffres de la SNCF, cette liaison affiche même la ponctualité la plus faible de l'offre globale avec 51% de retards depuis la capitale. Rien qu'en février 2024, sur 29 trains, 26 étaient en retard.
Paris-Briançon, la pire ligne pour la ponctualité
Le samedi 4 janvier, le train est arrivé avec plus de trois heures de retard à cause d'une voiture défectueuse et d'un manque de chauffage. Quelques jours plus tôt, c'était cinq heures de retard dans le sens Briançon-Paris.
Problème, cette ligne est la troisième la plus fréquentée dans l'offre nocturne derrière Toulouse et Nice.
SNCF Voyageurs reconnaît bien volontiers le problème et explique tout faire pour améliorer la qualité proposée.
"Nous regrettons les conséquences des derniers incidents pour nos clients et mettons en œuvre des plans d'actions afin que ceux-ci ne se répètent pas, en particulier dans la perspective de la période des vacances de février", nous indique un porte-parole de SNCF Voyageurs.
"Nous poursuivons également nos actions pour améliorer la régularité, le nombre de trains à l'heure ayant presque doublé dans le sens Paris-Briançon en 2024 par rapport à 2023. Nous devons cette qualité de service à nos clients et aux territoires desservis, d'autant que le succès commercial de cette ligne ne se dément pas".
Mais le bricolage a ses limites. Outre les travaux indispensables sur la voie (les lignes classiques utilisées par les Intercités sont en mauvais état), la question du renouvellement des rames se pose.
Depuis la relance des trains de nuit en 2021, le gouvernement avait fait plusieurs promesses: moderniser les voitures Corail utilisées, passer commande de matériel neuf pour assurer un service de nuit digne de ce nom et accroître le nombre de destinations.
Fin 2022, dans une vidéo YouTube, Emmanuel Macron avait même fixé un objectif d’une dizaine de trains de nuit en 2030 contre sept aujourd'hui.
Rappelons que c'est l'État qui gère et finance à 100% ces trains d'équilibre du territoire en tant qu'autorité organisatrice, en les subventionnant, en épongeant ses déficits chroniques et en passant commande de matériel. SNCF Voyageurs en est que l'opérateur.
Entre 2021 et 2023, 128 voitures Corail ont ainsi été modernisées, détaille SNCF Voyageurs.
Un appel d'offre "prochainement"
Pour le reste, c'est le flou total. Interrogé il y a quelques jours, Christophe Fanichet, PDG de SNCF Voyageurs nous a indiqué ne pas avoir de nouvelles d'une éventuelle commande de l'Etat.
Fin novembre 2023, Pierre-Christophe Soncarrieu, adjoint au responsable de l'autorité organisatrice des TET au Ministère des Transports indiquait: "Début 2025 devrait être lancé l'avis public à concurrence pour le renouvellement du matériel roulant des lignes TET (trains d'équilibre du territoire) de nuit, tant attendu".
Avec les investissements pour de nouveaux centres de maintenance, la dépense "sera de plusieurs centaines de millions d'euros".
L'instabilité politique n'aide pas vraiment et le nouveau ministre des Transports ne donne pas de perspectives précises, ce qui devient une habitude sur ce sujet, mais affiche son soutien pour les trains de nuit.
Selon Contexte, Philippe Tabarot souhaite mener une réflexion sur "la poursuite du développement du réseau des trains de nuit" et qu’"une extension ultérieure à d’autres lignes pourra[it] être étudiée", a-t-il dit lors des débats budgétaires au Sénat le 20 janvier dernier.
Côté matériel, il a annoncé que l’appel d’offres pour des trains de nuit sera lancé "prochainement" avec une commande de 180 voitures et 30 locomotives. Là encore, le flou persiste.
Le volume de commandes envisagé "permettrait tout juste de moderniser les trains sur les lignes existantes", regrette Réseau Action Climat qui misait sur de nouvelles lignes comme l'avait promis Emmanuel Macron.
"Le gouvernement Bayrou retarde encore la relance des trains de nuit pour des raisons budgétaires", déplore ainsi Alexis Chailloux, responsable transports de l'association.
Même en étant moins ambitieux côté matériel, "le dossier est complexe", nous expliquait en juillet dernier, Pierre-Christophe Soncarrieu. Le choix de louer le matériel serait privilégié.
Louer ou acheter? Le problème de pénurie est le même
"Le choix fait par l'État est de recruter un loueur. Nous avons déjà choisi une assistance à maîtrise d'ouvrage, un groupement de plusieurs cabinets juridiques, techniques, financiers de haut niveau. Nous sommes en contact avec différents loueurs, et plusieurs se montrent intéressés et échangent déjà avec des constructeurs", indique-t-il.
"Après le choix du loueur viendra le temps du développement du matériel roulant, car il n'existe pas aujourd'hui de matériel de nuit neuf homologué pour la France. Et en parallèle, nous menons le travail sur les installations de maintenance. Enfin, il y aura la procédure d'ouverture à la concurrence pour l'exploitation de ces TET de nuit. Certes, tout ceci prend du temps: le temps ferroviaire est long".
Interrogé ce mercredi, il ajoute: "Nous sommes en train de mettre la dernière main à l'AAPC (avis d'appel public à candidatures), que nous devrions publier très très prochainement, sauf bien sûr veto".
Qu'il s'agisse d'acheter directement du matériel neuf ou de le louer, le problème est le même: l'offre est très restreinte.
En réalité, quasiment plus aucun industriel européen a l'outil nécessaire pour fabriquer des voitures-couchettes. Les constructeurs se sont simplement adaptés à la demande des dernières années, quand les trains de nuit avaient été clairement enterrés.
"L'industrie s'est focalisée quasi-exclusivement sur les rames automotrices", explique l'expert du rail, Frédéric de Kemmeter, à savoir les rames où la locomotive fait partie du train à l'avant et à l'arrière comme les TGV ou encore les dernières générations de TER.
"Le marché de la 'voiture' a été délaissé, car de moins en moins utilisée et peu demandée par les opérateurs. "Cela reste un marché de niche pour Alstom et les autres", souligne le spécialiste.
D'ailleurs, selon nos informations, Alstom n'a aucune intention d'y retourner. Le train de nuit représente des commandes de petites séries, des volumes pas assez importants.
Les grands industriels ferroviaires n'en fabriquent plus
"Insérer des trains de nuit dans des chaînes occupées à construire d’autres types de matériel (TGV, trains régionaux…) est très compliqué. Ce sont en plus de petites séries avec un travail particulier en matière de customisation. Donc cela va être très compliqué dans les prochaines années pour obtenir du neuf", confirme François Guénard, consultant spécialisé au sein du cabinet Roland Berger.
Seul l'allemand Siemens a conservé ce business grâce aux commandes de l'opérateur autrichien ÖBB pour ses NightJets. Son contrat passé en août 2018 ne s'est concrétisé qu'en 2024...
Il y a également quelques constructeurs de niche en Europe de l'Est comme Skoda Transportation, mais leurs carnets de commandes sont déjà très remplis. Bref, les délais de livraison s'allongent avec une attente qui peut atteindre quatre, cinq voire six ans.
Dans le meilleur des cas, si l'État passe commande cette année, les nouvelles rames ne seront pas sur les rails avant 2029-2030, une éternité.
Reste qu'une commande d'Etat a un effet levier. "Il faut une réelle impulsion du client ou de l'État qui passe la commande, avec des garanties notamment en matière de volume", poursuit François Guénard qui préconise également des commandes européennes groupées. Une piste qui n'a jamais été testée dans l'Union.