La SNCF attaquée de front en région: Transdev lance ce dimanche ses TER sur la "pire" ligne de France entre Marseille et Nice

C'est un départ qui va être scruté de près. Ce dimanche 29 juin au petit matin, Transdev (qui vient de passer sous pavillon allemand) va faire rouler ses trains "Zou" sur la ligne TER entre Marseille et Nice via Toulon. Pour la première fois, un concurrent privé de SNCF Voyageurs va exploiter une ligne régionale stratégique dans le cadre de l'ouverture à la concurrence imposée par la Commission européenne.
Pourquoi c'est important?
Il s'agit de la ligne régionale qui connaît le plus de difficultés en France avec un taux de ponctualité de 84,7%, le plus faible de tous les réseaux TER, alors qu'elle est très fréquentée. L'attente de la Région mais surtout des clients est donc très forte.
Pour le secteur, c'est aussi un cas d'école qui va servir de base de comparaison pour les autres régions où les appels d'offre sont en cours.
"Avec 20% de trains en retard et 12% de trains annulés, nous avions le plus mauvais service de France. Problème de matériel roulant, de personnel ou de voies, tout le monde se renvoyait la balle à la SNCF. Dès que la loi nous y a autorisés, nous avons donc lancé des appels d’offres", justifie Renaud Muselier, président de la Région PACA.
Appel d'offres remporté par Transdev pour dix ans, l'un des seuls d'ailleurs gagné par un concurrent de l'opérateur historique pour le moment..
Un vrai gain pour les utilisateurs
La promesse faite par Transdev, qui a convaincu la Région, est de doubler le nombre d'allers-retours quotidiens sur la ligne avec un taux de régularité de 97% (hors problèmes d'infrastructure), notamment grâce à 16 rames neuves Omneo Premium, commandées à Alstom pour 250 millions d'euros et un centre de maintenance flambant neuf près de Nice (financés par la Région).
Quatorze allers-retours quotidiens sont donc assurés contre sept avec SNCF Voyageurs, soit un train toutes les heures, et même 16 liaisons par jour le week-end.
De quoi en finir, au moins théoriquement, avec des rames bondées, encore plus en été où vacanciers en maillot de bain cotoient les travailleurs qui se rendent à Nice par exemple.
Pour parvenir à cette fréquence, Thierry Mallet, PDG de Transdev explique s'appuyer sur "une organisation très décentralisée, les décisions se prennent au plus près du terrain et on a mis en place une équipe qui va réussir à délivrer comme on le fait de manière quotidienne en Allemagne".
Les trains neufs représentent également une bénédiction face aux rames anciennes, des Corail vieux de 40 ans, mal climatisés, qui circulaient auparavant.
Longs de 110 mètres, ils peuvent accueillir jusqu’à 400 voyageurs assis, et 730 si deux rames sont couplées. Ils peuvent atteindre 200 km/h, mais la vitesse d'exploitation maximale sera de 160 km/h.
On y trouvera plus d'espaces bagages intégrés, le Wi-Fi gratuit, un portail de divertissement embarqué, et un espace de restauration, 12 espaces vélos, un embarquement de plain-pied pour les personnes à mobilité réduite.
La sécurité des clients est également renforcée avec des agents de sécurité privée équipés de caméras-piétons, en complément d’un système de vidéoprotection embarqué.
Côté tarifs, Transdev promet de ne pas augmenter ceux qui étaient appliqués par SNCF Voyageurs et même de baisser ceux des abonnés, une demande de la Région qui rappelons-le fixe les tarifs du service dans le cadre de la convention.
Un démarrage compliqué
Transdev est un géant mondial du transport, notamment avec des cars et des bus (113 réseaux rien qu'en France), mais aussi des trains dans six pays (notamment 58 lignes régionales en Allemagne). Pour autant, l'opérateur est confronté aux difficultés intrinsèques du secteur.
Il ne pourra déjà pas se lancer avec toutes les rames neuves commandées à Alstom qui devaient contractuellement être toutes opérationnelles au démarrage. Mais comme dans plusieurs contrats, Alstom subit des retards de production: seule la moitié des trains neufs sont disponibles pour ce lancement.
"Huit rames Omneo Premium pour la région Sud (ont été livrées) à la mi-juin 2025. D’autre part, Alstom travaille sans relâche pour livrer un total de 11 rames en juillet", nous indique un porte-parole de l'industriel.
"Le plan de livraison au dépôt de Nice s’étale ensuite entre octobre et novembre pour atteindre les 16 rames prévues au contrat au plus tard en novembre 2025", poursuit-il.

En attendant, Transdev va louer huit rames à d'autres régions, ce qui ulcère les syndicats de la SNCF, ils estiment que la compagnie publique n'a pas à aider un concurrent privé.
Sud Rail explique que pour "aider Transdev, les régions vont aller puiser dans le matériel de la SNCF. Un vrai scandale. Ce matériel prêté fera supprimer des trains à la SNCF".
Fabien Villedieu de Sud ajoute: "je parle de matériel d'autres régions, comme AURA (l'offre TER en Auvergne-Rhône-Alpes, NDLR) que la SNCF est obligé de se séparer pour aider son concurrent Transdev à ne pas sombrer en juin".
Des trains loués à d'autres régions, ce qui ulcère les syndicats
Rappelons que les régions sont propriétaires du matériel roulant, elles peuvent donc en théorie, prêter ou transférer des rames au titre de la solidarité. Mais au vu de la fréquentation en hausse des TER en France, il n'y pas vraiment de marge, estime-t-il.
"Aucune région est en surplus de matériel. Cela veut dire qu'en prêtant son matériel (ce sont) des trains SNCF qui seront potentiellement supprimés afin de faire circuler des trains Transdev. Comme pour TGV, encore des cadeaux pour les concurrents", s'agace-t-il.
"Transdev met tout en œuvre pour respecter ses engagements vis-à-vis de son client Région Sud-Provence-Alpes-Côte d’Azur, notamment par la mobilisation de matériel roulant en location n’impliquant pas de réduction de l’offre de transport dans les régions d’origine du matériel loué", rétorque l'opérateur à BFM Business.
"En France, les rames de TER sont financées à 100% par les régions, qui en sont ou en deviennent propriétaires. Ce ne sont pas des rames SNCF. Les régions se louent déjà des rames entre elles, régulièrement, et les locations se font avec du matériel qui n'est pas utilisé", assure-t-il.
Pour autant, faire rouler un matériel hétérogène implique des risques, notamment de pannes. Et également de formation puisque les conducteurs recrutés par Transdev ne sont pas tous habilités à conduire plusieurs types de rames.
D'autant plus que ces conducteurs ont été difficiles à trouver. La loi impose aux cheminots de la SNCF concernés par un changement d'opérateur (comme ici) d'être transférés chez le nouvel exploitant mais seulement s'ils travaillaient plus de la moitié du temps sur la ligne transférée.
Or, une minorité d'entre eux étaient dans ce cas, le transfert se fait donc sur la base du volontariat. Et une grande majorité a refusé d'être transférée chez Transdev, qui propose certes le maintien du salaire net, mais des avantages sociaux moins séduisants que ceux de la SNCF (notamment pour les conducteurs au statut).
Transdev nous précise que "210 collaborateurs seront accueillis au sein de la société Transdev Rail Sud Inter-métropoles. Parmi ces effectifs, 44 seront des conducteurs, 20 auront la responsabilité de la maintenance ferroviaire et 75 seront chargés de la relation avec les clients voyageurs".
"Nous, notre apport, c'est qu'avec le même budget pour la Région, on fait rouler deux fois plus de trains grâce à une organisation différente, avec plus de souplesse, de flexibilité, plus d'activités diverses pour les agents", souligne Thierry Mallet qui rappelle que 170 agents étaient mobilisés pour SNCF Voyageurs sur cette ligne.
Des conducteurs de bus qui passent au train?
Pour avoir le nombre souhaité de conducteurs, selon nos informations, l'entreprise s'est notamment tournée vers ses conducteurs de bus, issus de ses propres effectifs en France.
"Un conducteur de bus, ce n'est pas un conducteur de train et la formation proposée de 10 mois est trop courte", grince une source syndicale.
Transdev conteste toute formation au rabais et met en avant son propre organisme de formation ferroviaire, habilité à former des conducteurs de train, et le personnel en charge de tâches de sécurité.
Une source syndicale s'étonne néanmoins du taux de réussite à l'examen d'habilitation de conduite des recrues de Transdev qui serait de 90% alors qu'elle n'est que de 60% à la SNCF.
Enfin, dernier risque à prendre en compte pour ce démarrage, les problèmes de jeunesse des rames qui sont toujours observés lors des débuts des circulations commerciales. Le manque d'expérience des conducteurs pourrait amplifier ces difficultés.