Drogue, conditions physiques... Comment la SNCF fait un tri massif dans les candidats au poste de conducteur de train

Tout roule pour la SNCF. La demande en train n'a jamais été aussi forte et le groupe a affiché l'an passé un quatrième exercice bénéficiaire (1,6 milliard d'euros).
Pour faire face à la demande et pour compenser les départs à la retraite, l'opérateur est engagé depuis plusieurs années maintenant dans un ambitieux programme de recrutement, notamment de conducteurs de trains.
Ainsi, l'an passé, le groupe SNCF a recruté au total 27.700 personnes (dont 18.500 en CDI) contre 25.300 en 2023. Cette année devrait être du même acabit.
Une chose est sûre, l'entreprise en général et le métier de conducteur en particulier attirent en masse.
"Nous n'avons aucun mal à recruter", expliquait il y a peu Lucile Quessart, DRH de SNCF Voyageurs. "Nous recevons 250.000 candidatures par an, soit 50 CV par poste", souligne-t-elle.

Reste que la sélection est drastique. Selon Cédric Gunther, conducteur et ambassadeur SNCF, seulement 1,13% des candidats au poste de conducteur se retrouvent finalement aux commandes d'un train.
La présence de drogue dans le corps est éliminatoire
"Chaque année, environ 60.000 candidatures sont déposées, mais seules près de 1.000 personnes intègrent la formation. À l’issue du parcours, environ 700 conducteurs obtiennent leur diplôme. Cela signifie que seulement 1,13 % des postulants parviennent à exercer ce métier", explique-t-il.
Une source syndicale nous indique qu'en 2023, 807 candidats ont effectivement obtenu leur diplôme d'agent de conduite, soit la moitié de ceux qui étaient en formation.
Interrogée, SNCF Voyageurs indique de son côté que l'an passé, 90.000 candidatures pour un poste d'agent de conduite ont été reçues et que "près de" 1.500 sont entrés en formation et qu'environ 1.000 ont été diplômés, soit 1,1% des candidatures.
Cet écrémage massif est la conséquence du cadre très strict imposé à ces professionnels qui auront la responsabilité de la sécurité de centaines de voyageurs.
Énormément de candidats sont ainsi écartés dès le début du processus de sélection, avant toute formation, à travers la visite médicale. Il y a d'abord les tests psychotechniques (logique, mémoire, gestion du stress) et les bilans cardiaque, auditif et ophtalmologique.
Mais ce sont surtout les tests à la drogue qui font le ménage dans les candidatures. La moindre présence d'un produit stupéfiant dans l'urine des candidats est éliminatoire.
"Tout problème pouvant affecter la vigilance peut être rédhibitoire", souligne Cédric Gunther.
Un examen difficile
Ceux qui résistent à cette sélection entament ensuite entre dix et douze mois de formation théorique et pratique, sanctionnée par des évaluations continues et un examen final exigeant (écrit, oral et pratique sur train d’essai).
"Certains abandonnent, d’autres échouent, le taux d'échec à l’examen avoisine les 60% mais certains peuvent parfois repasser l’examen", nous précise l'ambassadeur.
Pour les heureux élus, une longue carrière peut commencer avec la conduite d'abord de trains de marchandises ou de TER avant de passer aux trains de grandes lignes puis, après avoir accumulé de nombreuses années d'expérience, passer au TGV, l'aristocratie des conducteurs de trains.
Pour autant, là encore, une sélection naturelle s'opère. La difficulté du métier (qui n'est pas toujours bien perçue): horaires décalés, absences du foyer, travail de nuit, pendant les vacances, les jours fériés... font que certains abandonnent après quelques mois de travail.
Les syndicats dénoncent de nombreuses démissions mais la direction conteste, et indique observer un taux de démission global de 1% contre 4 à 8% dans l'industrie en général. Mais il faut y ajouter les licenciements, les départs pendant la période d'essai, les inaptitudes prononcées par la médecine du travail, et les ruptures conventionnelles.
La direction met en avant des leviers d'attractivité pour fidéliser, notamment avec des augmentations successives de rémunérations: +17% entre 2022 et 2024, avance Lucile Quessart, un niveau contesté par les syndicats.
Des démissions chez les heureux élus
Selon le Baromètre social de la SNCF de 2023, le salaire mensuel brut moyen pour un cadre permanent est de 4.214 euros et de 3.152 euros pour un contractuel.
Mais ces moyennes sont néanmoins trompeuses. Elles englobent évidemment les jeunes cheminots et les fins de carrière.
Par ailleurs, à la SNCF, la rémunération des conducteurs se décompose avec un salaire de base, assez bas, parfois même inférieur au Smic (entre 1.700 et 1.800 euros brut), et une multitude de primes versées en fonction de sa catégorie, de ses missions, de l'organisation du travail: primes de traction, de nuit, du dimanche, de travail, de résidence… Il y en a des dizaines.
Les cheminots dénoncent régulièrement cette construction. D'abord parce que ces primes sont très variables. Un cheminot en arrêt maladie peut ainsi perdre 40% de son salaire du fait de la non-application de ces primes. Ensuite, certaines de ces primes sont ponctuelles.
"En proposant ce traitement de base il n'est pas surprenant que l'entreprise connaisse des difficultés de recrutement", nous soufflait un conducteur syndiqué.