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Pourquoi la France manque à nouveau de paracétamol

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Avec le foudroyant rebond épidémique du Covid en Chine, la France se retrouve à nouveau en difficulté pour répondre à la demande en paracétamol. Au point que le gouvernement a pris la décision ce mercredi d’interdire la vente en ligne de Doliprane, Dafalgan et autres dénominations de cet indispensable médicament.

Voilà désormais six mois que la situation se tend à nouveau, en particulier pour les enfants. Au point que l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a dû cet automne demander aux pharmaciens de rationner auprès de chaque patient la vente de ce célèbre anti-douleur. Mi-décembre, le ministère de la Santé avait indiqué que les tensions d'approvisionnement touchant les formes pédiatriques de paracétamol et de certains antibiotiques devraient persister encore quelques semaines au moins, le temps que les mesures prises par les autorités sanitaires portent leurs fruits.

Pour le paracétamol, la situation était alors toujours "complexe", et allait prendre "un peu de temps pour se normaliser sur les formes pédiatriques", avait indiqué le ministère de la Santé lors d'un point presse. Sur les autres formes pour adultes, "la situation est devenue plus confortable", précisait-t-il. Mais la situation reste toujours tendue, à tel point que ce mercredi le gouvernement a choisi d'interdire la vente en ligne de produits à base de paracétamol.

Une pénurie européenne

Auprès de BFMTV, la présidente du Comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires (Covars) juge qu’il y a bien un “problème de paracétamol en France”. Le problème est même plus global, avec des difficultés d'approvisionnement “dans toute l”Europe”, poursuit Brigitte Autran.

Le porte-parole du gouvernement Olivier Véran a ainsi pointé ce mercredi, à l’issue du conseil des ministres, "un problème de production de paracétamol qui n’a pas été ajusté par les industriels dans le monde entier aux besoins à venir". Grippe plus forte, épidémie de bronchiolite, "la consommation mondiale de paracétamol s’est tendue", a poursuivi Olivier Véran.

L'explosion des contaminations au Covid-19 en Chine pèse aussi sur la demande. "Les causes externes [de ces tensions d'approvisionnement, ndlr] sont liées à une délocalisation de la production de la matière active, de la substance active, de la matière première de beaucoup de médicaments, dont le paracétamol dans les pays à bas coûts de production dont la Chine et l’Inde. Et on s’est aperçu au moment de la crise covid que nous avions perdu une grande partie de notre souveraineté sanitaire, du fait de notre dépendance très forte à ces deux pays", explique sur BFMTV Frédéric Bizard, économiste spécialiste des questions de protection sociale et de santé.

Certaines usines chinoises vivent actuellement des ruptures de production, car leurs salariés sont malades. D'autres ont arrêté les exportations et réservé leurs médicaments aux patients chinois. Dans ce contexte, de l’ampleur de l’épidémie en Chine dépend la limite des stocks mondiaux de médicaments disponibles. Résultat: en France, certaines pharmacies sont en rupture de stock de paracétamol et d'antibiotiques.

“80% de la matière première des médicaments que nous consommons sont produits en Chine ou Inde”, résume Jérôme Martin, cofondateur de l’observatoire de la transparence dans les politiques du médicament.

Or, sans ce principe actif produit en Asie, la chaîne de production ne peut pas fonctionner, même basée en Europe.

A quand une boîte de Doliprane made in France?

Seule solution dès lors, produire sur le sol européen la molécule de Doliprane. Cette indépendance industrielle est une promesse de campagne d’Emmanuel Macron, en 2022.

Les espoirs ont été portés sur Sequens, le champion mondial de solutions pharmaceutiques. Une unité de production de paracétamol devait ouvrir cette année, en Isère. Une ouverture finalement repoussée à la fin de l’année 2025. Cette relocalisation se fait cependant attendre, l’entreprise a pourtant engagé 100 millions d’euros sur ce site de Roussillon, prévu pour produire 10.000 tonnes de cette matière active chimique par an.

Un retard que le ministre de l'Economie lui-même regrette. Ce mercredi sur France Inter, Bruno Le Maire constate: “il faut actuellement plus de deux ans” pour qu’un projet de relocalisation de médicaments puisse voir le jour. Un délai “pas acceptable”, juge le locataire de Bercy. Pour y remédier, il prévoit de porter un projet de loi sur l’industrie verte dans les prochaines semaines, pour “pouvoir créer en quelques mois de nouveaux sites industriels”.

De quoi rappeler cet engagement du président de la République lui-même. En juin 2020, à la sortie du premier confinement, qui avait mis en lumière notre dépendance à la production asiatique pour les médicaments et les masques, Emmanuel Macron avait affirmé sa volonté de produire à nouveau du paracétamol dans l'Hexagone.

“Nous lancerons une initiative de relocalisation de certaines productions critiques: on pourra, par exemple, reproduire, conditionner et distribuer du paracétamol en France”, avait-il alors annoncé.

Pour l’heure, il existe seulement des usines de conditionnement du paracétamol.

Pourquoi tant de retard?

Si l’on évoque une “relocalisation” du principe actif, c’est que la France a produit, un temps, du paracétamol. Mais le dernier site industriel à le faire a cessé son activité en 2008.

Comment expliquer que cette unité de production mette finalement probablement 5 ans -et non 3 comme prévu- pour sortir de terre? C’est avant tout pour des questions de réglementations, explique Matthieu Croissandeau, éditorialiste de BFMTV. En effet, le processus de fabrication doit respecter des normes environnementales précises et plus exigeantes qu’en 2008.

Les autorités sanitaires doivent également donner leur accord, là encore, une étape chronophage. Un investissement sur le temps long qui pourrait néanmoins payer: 10.000 tonnes produits par an couvrirait toute la demande française en paracétamol, ainsi qu’un tiers des besoins européens.

Le prix des médicaments pas assez attractif en France?
Forte demande, problèmes de production mais aussi prix peu attractifs semblent amplifier en France les problèmes d’approvisionnement en paracétamol connus dans toute l’Europe.
"Nous avons un problème de compétitivité en France en termes de prix, puisque le médicament et en particulier le médicament mature, générique, a servi de variables d’ajustement dans les budgets de la santé depuis une dizaine d’années, et nous sommes parmi les pays avec la Grèce où les prix sont les plus faibles, résume Frédéric Bizard, économiste spécialiste des questions de protection sociale et de santé. Ce qui fait que vous avez une exportation des produits qui se trouvent en France et la France est servie plutôt en dernier par rapport à ses voisins européens pour ces produits car il y a nettement moins de marge à vendre ces produits en France".
Et ce spécialiste de rappeler que l’Allemagne a relevé il y a quelques semaines les prix d’un certain nombre de référence.

Sofiane Aklouf