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Veolia-Suez: retour sur une folle nuit blanche

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La bataille entre les deux groupes est encore montée d'un cran dimanche soir lorsqu'Antoine Frérot, le patron de Veolia, a décidé de changer de pied et de lancer une offre de rachat hostile sur Suez. La direction de Suez s'est battue toute la nuit pour tenter de contrer cette offre. En vain.  

C'est à 21h07 dimanche 7 février qu'Antoine Frérot, le patron de Veolia, décide de passer à l'offensive. Il prévient par courrier la direction de Suez qu'il a décidé de changer de pied et de lancer une OPA hostile. Suez et ses avocats sont pris de court. Ils n'ont que quelques heures pour organiser la riposte et tenter de contrer l'offre, qui sera déposée dès le lundi matin.

Ils décident donc d'utiliser une procédure rarissime mais prévue par le Code civil qui permet, en cas d'urgence, de saisir un tribunal quelle que soit l'heure, en adressant sa requête directement au domicile du président du tribunal. Commence alors une véritable course contre la montre.

En plein match OM-PSG

Vers 22h00, Jacques Fineschi, président du tribunal de commerce de Nanterre, est tranquillement installé devant le match OM-PSG lorsqu'il reçoit l'appel des avocats de Suez pour l'informer de leur requête. Il prévient immédiatement deux autres juges, qui se tiennent prêt à tenir une audience en pleine nuit.

Peu après minuit, ils reçoivent les 18 pages de requête de Suez. Le temps de l'étudier, il est 4h00 du matin quand enfin  se tient l'audience, en visioconférence, entre la direction de Suez, ses avocats et les 3 juges. Après délibéré et à 6h00 du matin, l'heure est au soulagement du côté de Suez.

Ils ont entre les mains le document du tribunal de Nanterre, qui ordonne à Veolia de ne pas déposer d'offre sans l'approbation du conseil d'administration de Suez, en attendant un jugement sur le fond. Les avocats de Suez n'ont plus qu'à faire co-signer l'ordonnance par le greffier et à la transmettre à Veolia. Mais là encore, le temps fait défaut. L’ordonnance n'est signée par le greffier qu'à 7h15 et transmise dans la foulée à Veolia.

Une nuit blanche pour rien... à 23 minutes près.

Trop tard! Le groupe a déposé son offre dès 7h00 du matin... soit 23 minutes avant de recevoir la fameuse ordonnance, élaborée dans le nuit, qui lui ordonne de ne pas la déposer. Veolia vient déjà de remporter une première manche. Suez contestait la validité de cette offre. Pour eux, Veolia aurait dû la transmettre par lettre, remise en mains propres à l'ouverture de l'AMF, à 9h00. L'autorité des marchés financiers, elle, la validé.

Mais ce n'est pas l'essentiel du débat juridique. Tout l'enjeu consiste maintenant à savoir si Veolia a trahi ou non ses engagements et s'il était en droit de lancer cette offre hostile. Oui, assure-t-on chez Veolia. Le groupe s'appuie sur le droit boursier, pour dire que rien légalement ne l'empêche de changer d'intention. Il souligne d'ailleurs que tout était écrit noir sur blanc dans une lettre adressée dès le 7 janvier au conseil d'administration de Suez. Antoine Frérot, ce jour-là, a en effet adressé un courrier à Philippe Varin, le président du conseil d'administration de Suez, dans lequel il l'avertit que faute de dialogue, ils en tireront les conséquences et n'hésiteront pas à passer à une offre hostile.

"Un engagement n'est pas une intention"

Pour Suez au contraire, cette offre est illégale. Dans l'entourage du groupe, on souligne que Veolia s'était engagé sans aucune réserve ni aucune restriction à ne pas lancer d'offre hostile. C'était d'ailleurs l'une des conditions sine qua non imposée par Engie.

Sans cet engagement, Engie ne lui aurait pas cédé ses titres", explique une source au coeur du dossier. Qui ajoute: "Veolia joue aujourd'hui sur les mots et parle d'intention et non plus d'engagement. Sauf qu’en droit, les mots ont un sens: de la même manière qu'un pacs n'est pas un mariage, un engagement n'est pas une intention et correspond à un contrat qui a été illégalement rompu par Veolia".

Première audience le 18 février

La bataille est donc loin d'être terminée. Une première audience se tiendra le 18 février prochain, suivi de quatre autres, qui devront déterminer, sur le fond cette fois, si Veolia était ou non en droit de revenir sur son engagement. La décision devrait intervenir au plus tard vers le fin avril.

Enfin, si l'AMF juge que l'offre déposée est valable, elle doit encore se prononcer sur la conformité de l'offre. Reste à savoir si l'AMF, autorité administrative, pourra aller à l'encontre de la justice civile, si celle-ci considère que Veolia a illégalement lancé cette offre.

Un avocat résume: "C'est une situation totalement inédite sans aucun précédent et personne ne peut présager de la décision finale".
Par Caroline Morisseau