Pourquoi la France est "un carrefour en matière d’électricité"

Deux records battus dans un intervalle de quelques jours. Le 22 décembre, la France a exporté 18,7 GW d'électricité vers ses pays voisins, battant ainsi le précédent record de 17,4 GW datant de février 2019. Puis le 3 janvier, l'Hexagone a encore amélioré cette marque en dépassant la barre symbolique des 20 GW d'électricité exportée.
Plus d'un an après avoir battu un record d'importation (près de 16 GW le 19 novembre 2022) en pleine crise énergétique et de production, le réseau électrique français est redevenu exportateur l'année dernière. Il a ainsi fourni un volume record de près de 75 TWh hors de ses frontières pour moins de 25 TWh importés.
"La France est un peu un carrefour en matière d'électricité, résume Régis Boigergain, directeur des interconnexions et réseaux en mer chez RTE. On est interconnecté avec 6 pays et on va l'être avec l'Irlande d'ici quelques années."
Au total, la France compte pas moins de 37 interconnexions, qui permettent des échanges d'énergie, auxquelles s'ajoutent 20 liaisons transfrontalières qui consistent à alimenter des postes clients situés à l'étranger. Le gestionnaire du réseau de transport d'électricité (RTE) a engagé cinq projets d'interconnexions dont deux sont sous-marines qui sont en phase de travaux: le Celtic Interconnector avec l'Irlande donc et le Golfe de Gascogne avec l'Espagne qui est plus puissant. Les deux projets entreront en service à l'horizon 2027-2028.
Bénéfices économique, climatique et technique
Les interconnexions présentent plusieurs intérêts. D'abord un bénéfice économique car elles permettent d'accéder à l'électricité la moins chère possible sur le marché le plus large et le plus fluide possible. Dans le cas de la France qui est souvent exportatrice, elles se traduisent par des recettes. Sur le plan climatique, elles donnent la priorité à l'électricité décarbonée car les premiers excédents de production sont issus des énergies renouvelables ou du nucléaire grâce à un faible coût variable, ce qui permet d'éviter des moyens de production qui émettent plus de CO2. Enfin, les interconnexions présentent un bénéfice technique en offrant une flexibilité dans le pilotage d'un système électrique décarboné même si d'autres leviers de flexibilité existent tels que le stockage hydraulique, les batteries ou encore les centrales thermiques.
La France a été particulièrement active avec ses différentes frontières en 2023, battant plusieurs records d'échanges que ce soit en matière d'exportation ou d'importation. C'est le cas des frontières avec le Royaume-Uni, l'Italie et l'Allemagne/Belgique qui sont "considérées comme une seule et même frontière pour les capacités d'interconnexion coordonnées", précise Régis Boigergain.
Un contexte d'électrification croissante
Les interconnexions sont amenées à jouer un rôle croissant dans le cadre de l'électrification des usages à l'échelle européenne afin de sortir des énergies fossiles. "Les perspectives d'augmentation du niveau de consommation d'électricité sont plus importante dans d'autres pays européens car la France est un pays déjà plus électrifié et il y a des pays où il y a moins d'efforts de sobriété", explique Olivier Houvenagel, directeur de l'économie du système électrique chez RTE. Au global, le niveau de consommation électrique devrait augmenter de 60% à l'horizon 2035 en Europe. Cette hausse sera particulièrement alimentée par l'Allemagne et la Belgique (+70%) ainsi que le Royaume-Uni (+50%) et sera plus faible pour l'Espagne (+40%) ou la France (+30%).
Pour répondre à cette augmentation des besoins d'électricité, les pays européens prévoient d'accélérer le développement des énergies renouvelables avec des trajectoires dépendant de choix politiques et de caractéristiques géographiques. "Les pays du sud de l’Europe (notamment l’Espagne et l’Italie) misent fortement sur un développement du solaire, détaille le gestionnaire du réseau de transport électrique. Les pays du nord de l’Europe (notamment les îles britanniques) misent davantage sur l’éolien (terrestre et en mer). Plusieurs pays prévoient de développer du nucléaire (France, Royaume-Uni, Pologne, République Tchèque…)." En cas d'atteinte des objectifs, près de 90% de la production européenne d'électricité pourrait être bas-carbone en 2035.
"Contrairement à la France, la plupart des pays voisins doivent de surcroît décarboner leurs mix de production (la France l’est déjà à 95 %), expliquant des rythmes extrêmement ambitieux dans certains pays", relève RTE.
Une technologie rentable
Mais ces différences entre les pays européens en matière de mix de production d'électricité représentent des opportunités pour mutualiser les ressources et sont donc de nature à valoriser les interconnexions. En effet, les pointes de consommation n'interviennent pas au même moment et varient selon les modes de vie, la structure de l'économie et la situation géographique et climatique. A titre d'exemple, la pointe de consommation résiduelle est atteinte en décembre dans le nord de l'Europe, en janvier en France, en février au Portugal, en avril en Irlande et en août en Espagne et en Italie. De même, la production renouvelable varie aussi en fonction des spécificités géographiques orientant les choix de parc ou des régimes de vent.
Les interconnexions vont jouer un rôle de facilitateur de la transition énergétique européenne car "elles permettent d'appeler prioritairement la production décarbonée qui offre les coûts variables les plus faibles", résume Régis Boigergain.
En cas de forte production éolienne à l'ouest de l'Europe, les importations françaises d'éolien offshore depuis le Royaume-Uni et d'éolien terrestre depuis l'Espagne peuvent permettre à la France de remplir ses stocks tout en réduisant le recours au thermique. Autre cas de figure: si l'Europe est faiblement ensoleillée, la France peut faire profiter ses voisins d'une forte production nucléaire et hydraulique en l'exportant.
Malgré une tension conjoncturelle sur les coûts des interconnexions, ces technologies restent rentables selon RTE.
"On constate que les interconnexions qu'on a déjà mises en place génèrent plus de revenus qu'anticipé, souligne Régis Boigergain. On a rendu plusieurs milliards de recettes d'interconnexions aux consommateurs en 2022 et 2023."
Par ailleurs, leur développement se fera sans créer de dépendance supplémentaire en matière de sécurité d'approvisionnement, les imports n'étant nécessaires qu'environ 1% du temps.