Pour l'AIE, la production électrique nucléaire doit doubler pour assurer la transition énergétique

Le sujet est cher à Emmanuel Macron et à la droite, autant qu'il déchire à gauche. Mais selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), aucun doute n'est permis: l'énergie nucléaire doit être développée pour permettre d'assurer la transition énergétique.
Dans le détail, l'agence préconise dans son dernier rapport dédié à l'atome de doubler la quantité d'électricité produite par fission, passant de 413 gigawattheures (GW) en 2022 à 812GW en 2050. Dans son scénario privilégié, les capacités mondiales augmenteraient de 27GW par an dans la décennie 2030, soit une hausse plus rapide que jamais. Cela signifie que l'équivalent de la moitié du parc français devra être mis en service dans le monde chaque année.
A la clé, des investissements massifs, de l'ordre de 100 milliards de dollars par an dans le monde pour tenir la cadence dans la prochaine décennie, et 80 milliards de dollars environ ensuite. En s'appuyant sur l'extension du réseau de centrales déjà existantes, l'option nucléaire pourrait par ailleurs s'avérer compétitive en termes de prix face aux renouvelables.
"Le coût d'investissement pour la plupart des extensions de site est d'environ 500 à 1100 dollars par kilowatt (kW) en 2030, ce qui permet un coût nivelé de l'électricité généralement bien inférieur à 40 dollars par mégawattheure (MWh). Cela les rend compétitives même par rapport à l'énergie solaire et éolienne dans la plupart des régions."
Baisse de la part dans le mix mondial
Malgré cela, alors que le nucléaire représente 10% de la production énergétique mondiale actuelle, cette part est vouée à décliner à 8% dans le scénario idéal imaginé par l'AIE: en cause, le démantelement et l'arrivée en fin de vie de centrales existantes, alors que le développement des autres installations comme les renouvelables progresse rapidement.
63% des centrales nucléaires actuelles ont plus de 30 ans d'âge et "s'approchent de la fin de leur période d'opération". Si 10% de la flotte actuelle est en cours de rénovation, un tiers pourrait être mis à l'arrêt d'ici à 2030.
Conséquence stratégique, les économies avancées perdent progressivement leur leadership dans le domaine. 27 des 31 des réacteurs construits dans le monde depuis 2017 ont été bâtis par la Russie ou par la Chine.
Bien que les économies avancées possèdent près de 70% de la capacité nucléaire mondiale, les investissements sont au point mort et les derniers projets dépassent de loin leur budget et leur calendrier.
L'AIE alerte sur les initiatives politiques visant à démanteler les centrales nucléaires en capacité, et invite à renforcer le niveau de sécurité des projets, ainsi que les initiatives concernant les déchets, autre inquiétude majeure qui entrave le développement de l'énergie atomique.
Opportunité politique et SMR
L'agence décèle néanmoins un contexte politique favorable, soulignant les efforts réalisés par les Etats-Unis pour développer de nouveaux types de réacteur, ou encore les stratégies indienne, chinoise, polonaise ou britannique, toutes récemment favorables à un retour du nucléaire. En France, la volonté d'Emmanuel Macron de rouvrir des réacteurs est aussi mentionnée en exemple.
La crise énergétique engendrée par la guerre en Ukraine et la hausse des prix du gaz et du pétrole, pourrait aussi avoir des conséquences sur le mix énergétique mondial.
Dans la décennie qui a suivi le choc pétrolier de 1973, la construction de près de 170 GW de centrales nucléaires a démarré. Ces centrales représentent encore 40% de la capacité nucléaire actuelle. Au cours de la dernière décennie, les ajouts de centrales nucléaires n'ont atteint que 56 GW. Grâce à un soutien politique et un contrôle strict des coûts, la crise énergétique actuelle pourrait conduire à une relance similaire de l'énergie nucléaire.
Reste alors pour les industriels à honorer les délais, appuie l'agence, et à respecter les prix fixés au début des projets - autour de 5000 dollars par kilowattheure de capacité, contre 9000 estimés aujourd'hui. Voire même à abaisser ses coûts de construction de moitié, entre 2000 et 3000 dollars par kilowattheure, pour rester compétitive à l'avenir face aux tarifs en constante baisse du renouvelable.
L'AIE insiste sur la pertinence des SMR, ces nouveaux réacteurs de moindre capacité, plus flexibles et moins couteux à installer: si le système n'est pas encore au point, il pourrait permettre d'ancrer le nucléaire comme une solution énergétique globale.
En outre, l'agence met en valeur un point technique crucial: le nucléaire est utile aux réseaux électriques car il est pilotable. Il permet de compenser l'absence de production des renouvelables, dont les rendements varient. Il limite aussi le recours aux infrastructures de stockage.