Un an de guerre en Ukraine: comment les drones sont devenus une pièce maitresse des combats

La guerre des drones, une fiction devenue réalité. Il y a peu, ces robots volants étaient objet de prospective. Avec la guerre en Ukraine, leur rôle va désormais au-delà de ce qu'imaginaient experts et militaires. Ils sont entrés au coeur de la stratégie militaire de l'Ukraine qui a créé une unité spécialisée composée de plus de 2000 soldats formés au pilotage, au largage d'engins explosifs ou encore à la transformation de modèles civils en engins militaires. Et cette mutation s'est faite avec une rapidité flgurante.
Dès le 24 février
"Les drones ont fait leur apparition lors de la guerre entre l'Arménie et l'Azerbaïdjian, les Ukrainiens ont suivi de près leur utilisation et s'y sont préparés. Dès le 24 février, ils étaient déjà prêts à ce nouveau mode de combat", explique le général Pellistrandi, consultant défense pour BFMTV.
Renseignement, surveillance, guider les tirs d'artillerie ou encore lancer des attaques kamikazes comme larguer des explosifs. Ces missions, habituellement remplies par des forces aériennes, le sont désormais avec des appareils bien moins chers qu'un avion ou un hélicoptère. Les drones offrent aussi l'avantage de ne pas risquer la vie des soldats en lançant des attaques au meilleur moment et d'économiser les munitions avec des bombardements ciblés grâce aux renseignement obtenus.
"Les drones sauvent des vies, ils ont un effet tactique local extrêmement important non seulement pour obtenir des victoires, mais aussi pour des opérations de renseignement et de harcèlement sur les troupes russes", note Xavier Tytelman, ancien pilote militaire et expert en aéronautique.
Le Bayraktar TB2, un drone fourni par la Turquie, est même devenu le symbole de la résistance contre l'invasion russe. Une chanson et un clip ont été créés pour rendre hommage à cette arme que de nombreux experts en armement estimaient trop lourde, trop lente et ne volant pas assez haut. Certains la trouvaient low cost.
Le TB2 offre une autonomie de plus de 20 heures, se déplace à 250km/h, vole à une altitude de 6800 mètres et couvre un rayon d'action de 150km2. Il peut aussi transporter quatre missiles à guidage laser.

Ces caractéristiques ont démontré leur efficacité sur le terrain. Selon le site Oryx qui répertorie les pertes ukrainiennes et russes, les TB2 sont ciblés par l'artillerie russe qui en aurait détruit au moins 16.
Sa popularité en Ukraine a mis son constructeur, Baykar Makina, sur le devant de la scène internationale. Ces derniers mois, l'entreprise a signé des contrats avec 22 pays. Sa capacité de production est passée à 20 unités par mois pour répondre au carnet de commandes plein pour les trois prochaines années.
Le seul problème du Bayraktar TB2 reste son prix: 5 millions de dollars par engin avec encore 5 millions de dollars pour l'unité de contrôle. En 2022, des Lituaniens ont lancé une collecte de fonds pour en acheter à l'armée ukrainienne. En 3 jours, cette opération a permis de récolter 5 millions de dollars, de quoi offrir un drone à l'armée ukrainienne. Baykar Makina envisage même désormais d'implanter une usine en Ukraine pour produire plus et vendre ses engins moins chers aux combattants.
Des startups devenus pépites de la défense
L'Ukraine ne s'est pas contentée de ces drones conçus pour le combat. Des modèles civils bien moins chers et créés pour le loisir ou les compétitions d'aéromodélisme sont aussi entrés en guerre. Mais aussi, pas besoin de faire appel aux industriels de l'armement pour en acheter. On les trouve dans des magasins ou sur des sites internet pour quelques milliers d'euros pour les plus performants.
Déja utilisés dans les guerillas contre des armées conventionnelles, ils se sont imposés comme des armes d'appoint efficaces dans ce conflit de haute intensité.
"Ils sont capables de détruire un équipement de plusieurs centaines de milliers d'euros pour un investissement d'environ 1000 euros. Le rapport coût-efficacité est sans pareil", signale Xavier Tytelman.
Mais surtout, ils offrent un avantage tactique incontournable. "Une artillerie non éclairée par des drones perd des possiblités d'atteindre une cible en une fois. Avec des drones qui repèrent le terrain, c'est du 100% et le nombre d'obus utilisés est divisé par 4 ou 5", explique à BFM Business Xavier Tytelman.
Athlon-Avia, une entreprise ukrainienne s'est fait une réputation dans ce domaine. En 2013, c'était une startup créée par trois passionnés d'aéromodélisme. Ils produisaient pour les passionnés des drones de compétition sur-mesure dans un garage. Aujourd'hui, c'est une société classifiée qui dispose d'un centre de R&D. Elle produit plus d'une centaine d'engins chaque mois dans une usine sous haute protection.

En plus de son drone classique muni de capteurs et de caméras pour faire de la reconnaissance ou guider les tirs d'artillerie, Athlon Avia a créé le "Silent Thunder" (tonnerre silencieux). C'est une munition dronisée similiaire au Switchblade américain. Elle cherche sa cible pour la détruire ou, à partir de données qui lui sont transmises, largue une charge explosive.
La guerre des réseaux sociaux
Un entreprise d'Odessa, Flymod, est également devenue un acteur inattendu dans cette guerre. Comme le dévoile un article paru sur le site Vice, il s'agit d'un magasin spécialisé dans la vente de composants de drones FPV (first person view) pour des compétitions sportives. Les utilisateurs pilotent leur drone en visuel avec un casque de réalité virtuel connecté à une caméra installée sur l'engin. Les militaires peuvent ainsi suivre une cible qui sera atteinte même si elle change de trajectoire.
S'appuyant sur ce potentiel, l'unité drones de l'armée ukrainienne s'est ainsi dotée d'une flottille de FPV dont chaque engin est créé sur mesure en fonction de la mission et de la charge d'explosif à larguer.
"Cela permet de détruire efficacement l'équipement et le personnel ennemis en préservant la vie de nos soldats", explique dans un communiqué le renseignement militaire ukrainien.
Ces opérations sont filmées et les vidéos diffusées en interne ou mises sur les réseaux sociaux. La diffusion de ces images a un double intérêt: d'une part montrer à la population ukrainienne que la résistance est active grâce à ses capacités d'innovation, d'autre part créer un sentiment d'insécurité permanente dans les troupes russes qui évoluent avec la crainte d'être dans le viseur de l'ennemie et frappées à tout moment.
"Cette guerre a ceci de particulier qu'elle repose sur des objectifs du XIXe siècle pour la prise de territoire, des méthodes d'infanterie et d'artillerie du XXe siècle et des technologies du XIXe siècle", explique Jérôme Pellistrandi.
Mais cet usage n'est pas apprécié par les entreprises civiles américaines dont les innovations sont utilisées à des fins militaires. Les drones ukrainiens fonctionnent avec le réseau de communication Starlink de SpaceX qui semble découvrir que les infrastructures fournies à l'Ukraine sont utilisées par l'armée. La société d'Elon Musk demande à Kiev de ne plus utiliser ses réseaux pour contrôler des drones de combat.
Starlink n'a "jamais été destiné à être militarisé", a expliqué la présidente de SpaceX, Gwynne Shotwell, lors d'un événement à Washington, soulignant que cela allait à l’encontre de l’accord entre les parties.
La réplique iranienne de la Russie
Bien que disposant d'une force de frappe consisérable et de plusieurs centaines de milliers de soldats, les drones ukrainiens font subir de lourdes pertes matérielles et humaines à la Russie. Mais Moscou a aussi ajouté dans son arsenal les Shahed-136, des drones kamikazes iraniens.
Ces engins sont équipés d'un moteur thermique chinois MD550, une version entrée de gamme du moteur allemand Limbach L550E qui a inspiré le bloc Volkswagen qui équipait les "Coccinelle". On le trouve pour moins de 20 dollars sur le site MadeInChina. Ils sont ainsi reconnaissables au bruit de mobylette de ce moteur qui s'entend de loin et terrorise les populations civiles.
Rudimentaires, les Shahed-136 ne sont pas pilotés à distance. Ils utilisent des coordonnées GPS pour atteindre un objectif fixe. Ils peuvent parcourir 200 kilomètres à faible vitesse et faible altitude pour l'atteindre. Moins chers qu'un missile, ils permettent à l'armée russe d'économiser ses munitions. Pour améliorer leur portée et leur précision, la Russie les a modernisé, selon un expert militaire américain, avec le système Glonass, l'équivalent russe du GPS américain.
Leur consommation est telle que pour en produire plus, plus vite et réduire les coûts, Moscou et Téhéran auraient, selon un article publié le 5 février par le Wall Street Journal, un projet de construction d’une usine en Russie. L'Iran a démenti cette information.Le ministère iranien des Affaires étrangères affirme aussi que les Shahed utilisés par la Russie ont été livrés avant le déclenchement de la guerre.

Mais selon le Critical Threats Project (CTP), un groupe de réflexion en géostratégie, une usine de drones a été créée pour construire des Shahed-136 rebaptisé "Geran-2". Elle se trouve au Tadjikistan, un état membre de deux organismes pilotés par Moscou: l'Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC) et l'Union économique eurasienne (EAEU).
"La Russie pourrait tirer parti de ses liens économiques importants avec le Tadjikistan par l'intermédiaire de l'OTSC et de l'UAEE pour blanchir des composants de drones ou acheter des drones fabriqués à utiliser en Ukraine pour contourner les sanctions internationales", indique le CTP.
Le 15 février, l'Union européenne a annoncé que le dixième paquet de sanctions contre Moscou en préparation à Bruxelles visera aussi des "opérateurs iraniens" -"y compris ceux liés aux gardiens de la Révolution- dont les drones "tuent des civils ukrainiens".
"Nous proposons (...) des restrictions sur des dizaines de composants électroniques utilisés dans les systèmes d'armement russes, tels que les drones, les missiles, les hélicoptères", a souligné la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen devant le Parlement européen à Strasbourg.
La lutte anti-drone, enjeu mondial
Pour se protéger des drones russes, Kiev développe un bouclier basé sur un système de brouillage des ondes pour écarter les Shahed de leur cible. L'armée ukrainienne a aussi fait développer par une startup baptisée ePPO, une application Android pour permettre à la population de prévenir les militaires des survoles de drones, d'avions, d'hélicoptères ou de missiles de croisière. En pointant son smartphone en direction d'un aéronef, la défense aérienne reçoit sa signature et sa géolocalisation. La riposte est envoyée en quelques secondes.
Avec la guerre en Ukraine, les drones sont devenus des armes incontournables pour toutes les armées.
"C'est une première dans la haute intensité. On assiste désormais à une massification et une doctrine d'emploi dans tous les pays du monde", note Xavier Tytelman.
Leur efficacité, leur accès simple et peu onéreux et leur diffusion dans le monde entier impose à tous pays de s'en équiper et en même temps de trouver les moyens de se défendre. Il s'agit désormais non seulement de s'en doter, mais aussi de trouver les moyens de s'en protéger.
"C'est le principe du glaive et du bouclier. C'est un enjeu qui est pris très au sérieux, comme par exemple en France dans l'organisation des Jeux Olympiques", indique à BFM Business le général Pellistrandi.
Dès 2021, dans un rapport parlementaire, les sénateurs appellaient déjà à faire de la lutte antidrones une priorité. Sur le territoire national, le nombre de drones, en majorité civils, est passé de 400.000 en 2017 à 2,5 millions aujourd'hui.

Pour le JO 2024, ainsi que pour la coupe du monde de rugby cette année, la lutte anti-drones a été placée sous la responsabilité de l'armée. Cette protection sera assurée par le laser Helma-P mis au point par Cilas, une filiale d'ArianeGroup et avec le système Parade (Protection déployAble modulaiRe Anti-DronEs) mis au point par Thales.
Tous les pays travaillent sur des modes de riposte. Les Etats-Unis dépensent des milliards dans cette lutte anti-drone. La Darpa, l'agence de recherche du Pentagone, a mis au point un spray qui emprisonne le drone avec des fils qui font penser à ceux qu'utilisent Spiderman pour capturer ses ennemis. En Israël, la startup D-Fend a développé un programme de prise de contrôle pour faire atterrir les drones en toute sécurité. Ce dispositif est déjà utilisé par Tsahal pour protéger les aéroports.
