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TOUT COMPRENDRE- Pourquoi certains veulent bloquer le rachat de la PME française Segault par un groupe américain?

La société Segault fournit à Naval Group les robinetteries des sous-marins nucléaires

La société Segault fournit à Naval Group les robinetteries des sous-marins nucléaires - .

Le dossier Segault devient une affaire d'Etat. La PME française, filiale du québécois Velan, pourrait passer sous pavillon américain. L'État cherche un repreneur français pour cette entreprise qui fournit les robinetteries pour les navires français à propulsion nucléaire.

De l'ombre à la pleine lumière. Segault est cette PME française de 80 salariés jusque-là inconnue du grand public. Spécialisée dans les robinetteries industrielles de chaufferies nucléaires, elle est en passe, comme l'a soulevé La Tribune, de passer sous pavillon américain avec le rachat de sa maison mère, la société canadienne Velan, par le groupe texan FlowServe valorisé plus de 4 milliards de dollars à la bourse de New York.

Le montant proposé est de 325 millions de dollars canadiens, soit environ 220 millions d'euros. La vente doit être finalisée avant l'été. En France, de plus en plus de voix s'élèvent pour empêcher cette transaction qui porterait un sérieux coup à la souveraineté industrielle de la défense. Explications.

• Qui sont Segault et son propriétaire Velan?

Créée en 1921, Segault est une PME de 76 salariés réalisant 11,16 millions de chiffre d'affaires en 2021. Installée dans l'Essonne, elle possède une expertise mondialement reconnue dans les systèmes de robinetterie de chaufferies nucléaires. Ces systèmes équipent les centrales, mais aussi les navires militaires à propulsion nucléaire comme les sous-marins (SNA et SNLE), le porte-avions Charles de Gaulle et son successeur en préparation. Dans l'aéronautique, elle fournit aussi le système de sûreté des missiles nucléaires type M51 qui arment les sous-marins nucléaires lanceur d'engins (SNLE).

Velan a fait l'acquisition de Segault en 2007. Coté à la bourse de Toronto, ce groupe emploie 1650 personnes et possède des usines dans neuf pays. Le groupe a été fondé en 1950 par Karel Velan décédé en 2017 à l'âge de 99 ans. Il a trois fils, trop âgés pour prendre les rênes de l'entreprise. Ce spécialiste équipe les sous-marins et les porte-avions nucléaires de l'US Navy.

"Il y a fort à parier que la nouvelle génération composée de 12 petits-enfants et 15 arrières petits-enfants soit moins attachée à l’entreprise familiale", indique LaFinance.com, le site financier québécois pour expliquer la vente à FlowServe.

En France, Velan possède une autre filiale à Lyon. Également spécialisée dans les robinetteries nucléaires, Velan SAS des centrales nucléaires dans le monde entier dont celle Flammanville en France.

• Que fabrique Flowserve, futur acquéreur de Velan?

Flowserve est l'un des principaux fournisseurs mondiaux de produits et de services en mouvement et régulation des fluides. Ce groupe coté à New York est actif dans 50 pays. Il produit des pompes, des joints et des robinets industriels. Il disposait en France d'une usine production de vannes de régulation installée à Thiers (Puy-de-Dôme). Ce site a fermé en 2016 à la suite d'un plan de réorganisation mondial visant à réduire l'effectif de 20%, soit la suppression de 3400 salariés dont une centaine en France.

Dans un communiqué, le groupe explique que le rachat de Velan entre dans une stratégie de diversification de par son "solide positionnement sur les marchés du nucléaire, de la cryogénie, de l'industrie et de la défense et son portefeuille de produits hautement complémentaires".

• ITAR et Pariot Act, des menaces pour la souveraineté de la défense française?

En devenant américaine, la PME Segault pourrait tomber sous le coup de la réglementation américaine ITAR (International Traffic in Arms Regulations) qui régule les ventes d'armement. Washington aurait ainsi son mot à dire pour les ventes de systèmes étrangers qui utilisent une technologie américaine et pourrait mettre un veto sur un contrat.

En clair, pour vendre un sous-marin nucléaire français, il faudrait l'accord des Etats-Unis. Une telle situation pourrait porter un lourd préjudice à Naval Group qui construit les sous-marins nucléaires de la Marine nationale et qui est parfois en concurrence avec des groupes américains.

Autre risque, le Patriot Act qui permet au gouvernement américain de demander à toute entreprise américaine, sans aucune autorisation judiciaire ni la moindre motivation, n'importe quelle information dans le cadre d'enquêtes unilatérales et hors de tout contrôle, effectuées par ses services de renseignement extérieurs. Pour Arnaud Montebourg, qui s'insurge contre cette vente, il s'agirait simplement d'une "activité d'espionnage".

"Il paraît lourdement préjudiciable aux intérêts de notre Nation" que Segault "passe sous le contrôle de Flowserve Corporation [...] Nous ne pouvons accepter que des informations concernant les technologies utilisées par nos sous-marins nucléaires soient potentiellement transmissibles à un gouvernement étranger", explique Arnaud Montebourg dans une lettre adressée au gouvernement.

• Pourquoi les parlementaires comme l'exécutif se mobilisent?

Le rachat de Velan, et donc de Segault, par Flowserve a déclenché une mobilisation nationale et devient une affaire politique. Ces derniers jours, plusieurs élus, dont Sophie Prims (LR), Jean-Louis Thiériot (LR), Olivier Marleix (LR), Marie-Noëlle Lienemann (Gauche républicaine et socialiste) ou José Gonzales (RN) demandent au gouvernement d'intervenir pour empêcher la vente. Sur son site, Marie-Noëlle Lienemann (PS) interpelle le gouvernement sur le sujet.

"Cette opération va être soumise à la procédure de contrôle des investissements étrangers. Nous sommes parfaitement vigilants parce que Segault est une entreprise stratégique", a tenté de rassuré la ministre déléguée au Commerce Olivia Grégoire, à l'Assemblée nationale lors des questions au gouvernement.

"Bercy, qui est chargé de la procédure d'IEF (investissement étranger en France, NDLR), suit le dossier de très près, en lien avec notre cabinet", a indiqué à l'AFP le ministère de la Transition énergétique.

• Un "sauvetage" est-il possible?

Les risques sur la souveraineté industrielle de la défense française sont pris très au sérieux par le gouvernement. Comme nous l'avait indiqué le ministère des Armées dès la semaine dernière, "une recherche de repreneur français est en cours. Donc la messe n’est pas dite". Ce travail est mené conjointement avec Bercy.

Parmi les candidats à une reprise de Segault, l'ex-ministre Armand Montebourg qui a lancé une plateforme de produits "made in France". Il demande au gouvernement de bloquer le rachat et a réuni autour de lui des investisseurs prêt à faire une offre de reprise. Son entreprise, "Les Equipes du Made in France", et la société d'investissement Otium Capital, "se sont associées pour lancer un projet de fonds, le Fonds Souverain Privé pour l'Industrie et l'Agriculture" dédié à la souveraineté industrielle et agricole.

"Nous sommes donc tout à fait en mesure de financer l'acquisition de Segault sur la base des informations actuellement disponibles", affirme-t-il.

• Que dit Segault?

Pour bloquer la vente à Flowserve, Arnaud Montebourg s'appuie sur le décret "Alstom" du 14 mai 2014 relatif aux investissements étrangers soumis à autorisation préalable. Peut-il s'appliquer à une entreprise d'origine française appartenant depuis 16 ans à un groupe canadien?

Et, si l'offre de Montebourg est financièrement cohérente et soutenue par le gouvernement, elle reste soumise à des décisions qui n'appartiennent pas à Segault, mais à Velan. La holding acceptera-t-elle de retirer la PME française de la transaction avec Flowserve? Et si elle le faisait, le groupe texan, qui ne cache pas son intention de se diversifier dans le nucléaire et la défense, ne serait-il pas tenté de revoir son offre?

Nous avons tenté de clarifier ces points auprès de Segault. L'entreprise nous a fait savoir qu'elle ne peut s'exprimer sur le sujet et nous a renvoyé vers sa maison-mère Velan, seule habilitée à en dire plus sur le dénouement de cette affaire.

Pascal Samama
https://twitter.com/PascalSamama Pascal Samama Journaliste BFM Éco