Réseau de capteurs, missiles, brouilleurs… À quoi pourrait ressembler le "mur anti-drones" aux frontières de l'Union européenne?

C'est désormais leur "priorité". Après les incursions dans le ciel européen d'avions et de drones russes en Pologne, en Estonie et en Roumanie, auxquelles s'ajoute le survol de mystérieux appareils au Danemark et en Norvège, les pays européens proches de la Russie cherchent à sécuriser leur espace aérien.
Si ces violations en série ont illustré l'impréparation des pays européens à la nouvelle menace que représentent les drones, elles ont aussi montré à quel point le système de défense des membres de l'Otan est inadapté. En Pologne, ce sont des avions de chasse F-16 et F-35 polonais et néerlandais qui ont décollé pour abattre à coups de missiles au moins trois drones sur les 19 détectés.
Pour le patron de l'Otan Mark Rutte, les moyens engagés sont excessifs, aussi bien sur le plan opérationnel que financier. "Il n'est pas viable de détruire des drones coûtant mille ou deux mille dollars avec des missiles qui vous coûtent peut-être un demi-million ou un million de dollars", a-t-il déclaré à Bloomberg.
Un système "réactif en temps réel"
La solution? Un "mur de drones", a plaidé la première la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen lors d'un discours mi-septembre. Pour la cheffe de l'exécutif européen, il faut une "capacité européenne développée, déployée et entretenue conjointement, réactive en temps réel" pour détecter les drones et les neutraliser le cas échéant.
Une dizaine de pays membres de l'UE, principalement ceux du flanc est de l'Europe, poussent en faveur d'un tel dispositif. La Pologne, l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie, la Finlande, la Hongrie, la Bulgarie et le Danemark ont participé vendredi dernier en visioconférence à une réunion organisée par le commissaire européen à la Défense, Andrius Kubilius.
"Nous nous sommes mis d'accord sur le point le plus important: la surveillance du flanc est, avec le 'mur de drones' comme élément central, servira toute l'Europe", a-t-il affirmé à l'issue des discussions.
"La réunion d'aujourd'hui est un jalon important. Nous allons désormais nous concentrer sur la mise en œuvre." a-t-il ajouté, alors que le sujet sera au menu du sommet de Copenhague de mercredi.
L'Ukraine prête à "partager son expérience"
Selon un responsable de l'UE à l'AFP, les dix États prévoient d'établir d'ici un an un réseau de "capteurs", terrestres ou par satellites, capable de détecter des drones et de les "tracer".
"Il ne faut pas imaginer que c'est un mur comme la ligne Maginot ou le rideau de fer", explique sur BFMTV le général Vincent Desportes, ancien directeur de l'Ecole de guerre et professeur à Sciences Po. Il s'agit plutôt "d'une succession de points suffisamment rapprochés pour que tout drone franchissant ce 'mur' puisse être détecté et que puisse être déclenchée une manœuvre de destruction".
Contre la Russie, l'Ukraine a construit un système de capteurs acoustiques "dès le début de la guerre, en un laps de temps très court", a expliqué Andrius Kubilius à l'AFP. "Je pense que nous aussi pouvons faire cela assez rapidement", a-t-il estimé.
L'Ukraine, qui participait à la réunion vendredi, se dit prête à partager son "expérience en matière d'interception de drones russes avec l'UE, l'Otan et les pays voisins".
Les Européens pourraient également s'inspirer du "Baltic Drone Wall", un projet de coopération militaire lancé en début d'année par la Pologne, la Finlande, l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie, qui implique plusieurs entreprises de défense comme l'estonien DefSecIntel Solutions ou le letton Origin Robotics.
3.000 km à protéger
La mise en place d'un tel dispositif pose de nombreuses questions, à commencer par celle de l'ampleur de la zone à couvrir. Pour protéger la frontière orientale de l'Union européenne avec la Russie et le Bélarus, il faudrait ainsi tracer une ligne de plus de 3.000 kilomètres.
Quand bien même ce "mur" serait étanche, il ne serait pas forcément suffisant pour mettre fin aux incursions aériennes russes, souligne le général Jérôme Pellistrandi, consultant défense auprès de BFMTV. "Dans le cas des drones au Danemark, les drones ne sont pas partis de Russie. Ils sont peut-être partis de bateaux qui transitaient entre le Danemark et la Norvège, pour passer de la Baltique à la mer du Nord", illustre le militaire.
Pour le directeur de la Revue de Défense nationale, il faut mener une réflexion plus générale pour "surveiller à très basse altitude des pénétrations d'engins qui peuvent arriver aussi bien de l'extérieur des frontières que de l'intérieur". On peut en effet imaginer, selon lui, des "drones placés dans des camionnettes qui passent la frontière et dont on ouvre le toit pour faire décoller les appareils", comme lors de l'opération Toile d'araignée menée en Russie par les services secrets ukrainiens en juin dernier.
La tache s'annonce difficile, alors que l'usage civil des drones a explosé. "Il faut pouvoir voir s'il y a une intention hostile dans l'usage des drones. C'est très compliqué, parce que l'une des caractéristiques des drones c'est que le délai entre le moment où ils sont détectés et le moment où ils peuvent être utilisés à des fins hostiles peut être de l'ordre de quelques minutes", souligne le général Pellistrandi.
Des drones anti-drones
Se pose ensuite la question des moyens utilisés pour intercepter les appareils indésirables. Plusieurs options sont sur la table, comme les canons de brouillage utilisés pour interférer avec les signaux de communication du drone visé et le rendre "aveugles". Une arme qui a ses limites.
"La Russie et l'Ukraine ont fait évoluer les logiciels (...) Un drone qui perd sa connexion va monter en altitude jusqu'à la récupérer. Un FPV qui pique sur une cible va continuer en ligne droite sur sa trajectoire jusqu'à l'impact (...) C'est pertinent sur un champ de bataille mais c'est parfaitement inutile pour la protection d'un aéroport", explique sur X le consultant aéronautique Xavier Tytelman.
Usage de micro-ondes pour "griller" le système électronique du drone, tir au canon ou à la mitrailleuse, déploiement de drones anti-drones comme ceux fabriqués par l'armée ukrainienne... De nombreuses alternatives existent, mais aucune n'est sans risque. Car détruire un drone sur une ligne de front n'a pas les mêmes conséquences qu'abattre un appareil au-dessus d'un pays en paix.
"Il faut d'aborder évaluer la menace représentée par le drone et évaluer le risque en cas de destruction de l'objet volant. Par exemple, on ne va pas tirer sur un drone qui vole au-dessus d'un festival", souligne le général Pellistrandi.
Pour intercepter un drone sans qu'il ne s'écrase, certaines entreprises développent des drones-filets pour capturer les appareils en plein vol. "Vous avez aussi, sur certains aéroports, des rapaces dressés pour s'attaquer aux drones", complète Jérôme Pellistrandi.
Interrogé sur le coût du "mur de drones", le commissaire européen Andrius Kubilius a indiqué qu'il n'y avait pas encore d'estimation ferme, mais estimé qu'il s'agissait d'une fourchette "de plusieurs milliards d'euros, pas de centaines de milliards". "Nous mettrons en place une boîte à outils financière européenne complète pour que ce bouclier devienne réalité", a-t-il ajouté dans son communiqué.