Doubler voire quadrupler la production de missiles: face à la menace chinoise, le Pentagone demande aux industriels américains de l'armement d'accélérer les cadences

Mêmes causes, mêmes effets. Les États-Unis veulent eux aussi accélérer leur réarmement. Face à la menace chinoise et à des stocks de munitions qui s'amenuisent, le Pentagone veut doubler, voire quadrupler la production d'une douzaine d'armes jugées "critiques", a révélé le Wall Street Journal.
Le message a été passé aux industriels du secteur, de Lockheed Martin à Raytheon, mais aussi Anduril et des producteurs de batteries et de propergol (utilisé pour la propulsion des missiles), lors de réunions régulières entre les officiels du Pentagone et les fabricants d'armement. Une initiative, baptisée "Munitions acceleration council" (conseil pour l'accélération des munitions, NDLR) a été créée dans ce but, elle est menée par le secrétaire adjoint à la défense Steve Feinberg, qui joue un rôle particulièrement actif, selon le WSJ.
Les efforts sont concentrés sur 12 types d'armements jugés prioritaires, tels que les missiles intercepteurs Patriot, les missiles de frappes de précision, les missiles air-sol de longue portée ou encore les missiles mer-surface SM-6.
Le Patriot est jugé particulièrement important, Lockheed Martin ayant du mal à suivre la demande de production au niveau mondial, notamment en raison des quantités destinées aux forces armées ukrainiennes. Le Pentagone a attribué un contrat de près de 10 milliards de dollars au géant américain en septembre dernier, pour la production d'environ 2.000 missiles PAC-3 Patriot d'ici à 2026.
La demande du Pentagone viserait à multiplier par quatre la production de missiles, selon des sources interrogées par le WSJ. Outre le conflit en Ukraine, qui "consomme" un grand nombre de PAC-3, la stratégie américaine est également tournée vers l'Indopacifique – et en particulier la protection des bases et des alliés face aux velléités d'expansion de la Chine.
Selon le média, une demande d'information préliminaire a été envoyée aux industriels, qui devaient détailler leurs mesures pour multiplier leur production actuelle par 2,5 sur les 6, 18 et 24 prochains mois, ainsi que les pistes pour attirer de nouveaux capitaux privés et "éventuellement accorder des licences de production" à des fabricants tiers, précise le Wall Street Journal.
Une porte-parole de Lockheed Martin indique que l'entreprise envisageait d'investir davantage dans la production des missiles, tandis qu'un porte-parole de RTX (le producteur du SM-6 notamment) s'est refusé à tout commentaire.
Des cadences intenables?
Si le porte-parole du département de la Guerre (le nouveau nom du département de la Défense) Sean Parnell indique que l'initiative est "le fruit d'une collaboration entre les dirigeants et les hauts responsables du Pentagone", des sources interrogées par le WSJ alertent sur le fait que les objectifs fixés par le Pentagone ne sont pas réalistes.
La production d'armement nécessite toute une chaîne d'approvisionnement en composants, ainsi que des phases d'essais et de qualification d'une durée incompressible, pour s'assurer que l'équipement répond aux normes de qualité et de sécurité. Il ne suffit pas de décréter une augmentation des cadences de production pour que celle-ci soit effective immédiatement.
Le Pentagone cherche à produire une cartographie des chaînes d'approvisionnement pour identifier les faiblesses et des sources secondaires. C'est le cas par exemple pour Boeing, qui fabrique l'autodirecteur du Patriot et qui a récemment achevé un projet d'agrandissement de son usine, pour répondre à la demande de production.
C'est aussi une question de moyens financiers: les entreprises de défense sont dépendantes de la commande publique et donc des fonds alloués par le gouvernement, elles ne peuvent pas financer intégralement la production sur fonds propres. Si la "Big beautiful bill" décidée par Donald Trump en juillet dernier prévoit une enveloppe supplémentaire de 25 milliards de dollars sur cinq ans pour la production de munitions, des analystes évoquent le chiffre de dizaines de milliards supplémentaires pour atteindre les objectifs fixés par le Pentagone.
Certains fournisseurs se disent prêts à prendre des risques financiers avant même d'avoir obtenu des contrats, à l'image de Northrop Grumman, dont un porte-parole a déclaré au WSJ que des investissements "de plus d'un milliard de dollars dans des installations pour la production de propergol solide" avaient été réalisés en anticipation de futurs contrats.
Le WSJ indique que les grands de l'armement Lockheed Martin et Raytheon ont recruté du personnel, agrandi leurs sites et augmenté leurs stocks de pièces détachées pour se préparer à une éventuelle hausse de la demande, mais d'autres fournisseurs de rang moindre hésitent à investir alors que le gouvernement n'a pas encore débloqué de fonds spécifiques.
Comme en France – et en Europe –, depuis le début de la guerre en Ukraine en 2022, l'industrie de l'armement fait face à la nécessité de s'adapter à la hausse des dépenses d'armement, qui nécessitent une augmentation des cadences de production. Une équation difficile à résoudre, l'outil industriel n'étant pas – encore – dimensionné pour répondre à la demande.