Coronavirus: comment la SNCF s'organise pour transporter des malades en TGV

24 malades ont été transférés en train médicalisé de Nancy à Bordeaux ce dimanche 29 mars 2020 - ALEXANDRE MARCHI / POOL / AFP
De l'équipement des rames à la surveillance des passages à niveau, la SNCF a dû rapidement définir un plan d'action millimétré pour transporter des malades du Covid-19 en TGV, raconte Benjamin Huteau, le coordinateur de cette mission inédite.
La compagnie a fait circuler depuis le 26 mars huit TGV médicalisés, qui ont transporté 157 patients du Grand Est et de l'Ile-de-France vers les régions de l'ouest, moins touchées par l'épidémie. Les deux prochains trains sont annoncés pour vendredi.
"C'est le Samu de Paris qui a créé le concept" en organisant en mai 2019 un exercice d'évacuation de victimes d'un attentat fictif, rappelle Benjamin Huteau, qui est aussi le directeur des opérations industrielles pour les TGV de la SNCF. "Je ne pense pas qu'on se serait lancé dans une opération aussi compliquée si on n'avait pas pu la valider avec un exercice en grandeur réelle", estime-t-il.
48 heures de préparation
"Le défi principal, c'est le temps". Il faut 48 heures de préparation pour que la SNCF puisse faire rouler ces ambulances géantes à grande vitesse. Des cellules thématiques -appelées "lots"- ont été mises en place pour gérer la communication avec le ministère de la Santé, tracer les sillons (les créneaux de circulation des trains), préparer le matériel, former les équipes, assurer la sûreté, anticiper les crises, parler aux médias, etc.
Pour chaque voyage, les gares sont inspectées au préalable -et éventuellement fermées au moment où les malades sont transbordés-, les parkings évacués, les passages à niveau sensibles surveillés, des locomotives diesel positionnées sur le parcours au cas où...
"L'événement redouté principal, c'est la rupture de caténaire et l'absence d'alimentation de la rame", relève Benjamin Huteau. D'où l'embarquement de groupes électrogènes pouvant tenir huit heures. Ils sont indispensables pour le matériel médical.
Chaque convoi est composé de deux rames, un TGV sanitarisé et une rame standard placée en tête pour absorber le choc en cas de rencontre avec un animal. "Le scénario de base dans ce cas, c'est séparer les deux rames pour que la rame sanitaire puisse repartir immédiatement dans l'autre sens" et ne pas rester bloquée pendant plusieurs heures, dit-il, en touchant du bois pour que tout continue à bien se passer.
Des TGV qui ne roulent pas à pleine vitesse
"On a adapté la vitesse, elle est maintenant au maximum de 220 km/h" au lieu de 300 à 320 km/h, pour rendre le parcours "plus fluide", remarque le responsable. "On perd 10 ou 20 minutes sur le temps de parcours, mais comme les patients sont à bord dans les mêmes conditions que s'ils étaient dans un hôpital, ce n'est pas forcément gênant."
Toutes les équipes SNCF sont doublées avec deux conducteurs, deux chefs de bord, des dépanneurs, des agents de sûreté... Tous volontaires. "C'est à chaque fois une grosse opération qui mobilise pas mal de monde", commente Benjamin Huteau, reconnaissant volontiers que la très faible activité ferroviaire du moment facilite les choses.
"Honnêtement, ça serait sans doute ingérable avec un plan de transport normal!" Seuls 6% des TGV circulent actuellement pour cause de confinement de la population. La SNCF a dédié huit rames Duplex au transport des malades du Covid-19. Dans six voitures (sur huit au total), les dossiers et les appuie-têtes ont été retirés pour qu'on puisse poser les brancards de quatre patients dans la salle basse, tandis que la salle haute est laissée libre pour la circulation des personnels soignants. Le bar sert de QG de l'opération, tandis que la huitième voiture est transformée en magasin.
L'espagnol Renfe intéressé
Chaque TGV sanitaire peut donc transporter jusqu'à 24 malades, ce qui correspond à la capacité en réanimation d'une ville de 200.000 habitants. Ils sont accompagnés d'une cinquantaine de soignants.
Ces "rames chardon" -du nom de code de l'opération- sont préparées et acheminées à la gare de départ la veille du voyage. Elles rentreront au dépôt le soir ou le lendemain, "et ensuite il nous faut un peu de temps pour les décontaminer", note Benjamin Huteau. "On peut faire circuler deux rames tous les deux-trois jours", précise-t-il.
La SNCF préfère ne pas évoquer le coût de ces TGV sanitaires. Il n'est de toute façon pas question de les facturer. Et l'originalité de ce dispositif est susceptible d'intéresser les autres compagnies ferroviaires. La SNCF a ainsi été approchée par son homologue espagnol Renfe, qui s'intéresse sérieusement au concept.