Chauffeur requalifié en salarié: l’Urssaf peut-elle en profiter pour réclamer des millions à Uber?

Les chauffeurs dénoncent également le niveau de commission prélevé par Uber, la présence de "faux chauffeurs" qui utilisent des cartes VTC usurpées, et l'absence de tarif minimum pour les courses. - Uber
Mauvais signal pour les plateformes de VTC. Mercredi, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formulé par Uber et validé la requalification en contrat de travail du lien entre la plateforme et un de ses anciens chauffeurs. En clair, la plus haute juridiction estime par cet arrêt qu’un chauffeur VTC doit être considéré comme un salarié.
Pour Uber, "cette décision ne reflète pas les raisons pour lesquelles les chauffeurs choisissent d’utiliser l’application". Et d'ajouter: "Ils choisissent Uber en raison de l’indépendance et de la flexibilité qu’elle permet". Dit autrement, ceux qui souhaiteraient profiter de ce jugement pour devenir ses salariés sont minoritaires. De plus, selon Uber, l'arrêt de la Cour de cassation n'entraînera pas de requalification immédiate ou automatique de tous les chauffeurs utilisant la plateforme.
Cette nouvelle décision de justice similaire à celles qu'Uber a déjà subies dans d'autres pays fragilise un peu plus son modèle. L’Urssaf a d’ores et déjà prévenu que "la régularisation de la situation de la personne requalifiée en tant que salarié incombe à la société Uber, qui est tenue de déclarer et payer les cotisations sociales dues sur la période en cause dans ce litige". Et pour cause, les charges sociales des salariés sont plus élevées que celles des micro-entrepreneurs qui bénéficie d’un régime spécifique. L’organisme fait également savoir qu’il "pourra ultérieurement déclencher des actions de sa propre initiative visant à vérifier si la régularisation attendue a bien été opérée".
Requalification générale?
Uber devra "établir le bulletin de salaire sur toute la période pour laquelle le chauffeur a travaillé et fournir un certificat de travail, une attestation Pôle emploi, un reçu pour solde tout compte… Comme pour tout salarié qui se ferait licencié", explique Me Alexandre Ebtedaie, avocat associé au cabinet FTPA. Après quoi l’Urssaf devra "reconstituer toutes les sommes versées et appliquer les charges sociales" afférentes, poursuit l’avocat.
Dès lors, la question est de savoir si l’organisme va s’engouffrer dans la brèche en cherchant à récupérer les arriérés des charges sociales salariales et patronales pour l’ensemble des chauffeurs utilisant la plateforme. Rien ne l’empêche sur le principe de tenter une requalification générale, s'appliquant à tous les chauffeurs. Les sommes en jeu seraient d'autant plus considérables que les réclamations de l’Urssaf –qui pourraient concernés quelque 28.000 chauffeurs indépendants dans le cas présent- sont rétroactives. Le délai de reprise des cotisations est de trois ans, en plus de l'année en cours.
Ce ne serait pas la première fois que l’Urssaf tenterait de s’attaquer à Uber. En 2016, elle a déjà exigé de la plateforme de VTC qu'elle paie des cotisations sociales pour tous ses chauffeurs. L’entreprise américaine avait finalement saisi le Tribunal des affaires de sécurité sociale qui avait annulé ce redressement de 5 millions d’euros pour vice de forme. Ce litige n’avait cependant pas permis de régler la question de fond, à savoir si un chauffeur Uber doit être considéré ou non comme un salarié.
Travail titanesque
Désormais, l’Urssaf pourrait se servir de l’arrêt de la Cour de cassation comme d’un argument de poids pour justifier un tel redressement. Mais cela n’aurait rien d’automatique puisque l’on peut sans prendre de risque supposer qu’Uber refusera de payer, obligeant la justice à trancher une nouvelle fois. Dans ce cas, l’entreprise pourrait notamment faire valoir que la décision rendue mercredi par la Cour concerne "un cas individuel et non pas un cas général", suggère Me. Alexandre Ebtedaei. Mais "Uber perdra. Et cette requalification arrivera", croît savoir François Hurel, président de l'Union des auto-entrepreneurs.
Reste à savoir si l’Urssaf est prête à profiter immédiatement de cette aubaine. Car le recouvrement des charges de l’ensemble des chauffeurs Uber serait un travail titanesque et extrêmement complexe. Il s'agirait de recalculer au cas par cas les cotisations dues. Et quid de ceux qui exercent sur différentes plateformes? "C’est une complication que la Cour a éludée. Il est très compliqué de savoir quelle part de son temps de travail le chauffeur a consacrée à telle ou telle plateforme", commente Alexandre Ebtedaei.
Interrogée sur sa volonté ou non de demander la requalification de tous les chauffeurs Uber, l’Urssaf affirme "ne pas pouvoir répondre à cette question pour le moment". Une façon de dire qu'elle ne l'exclut pas. "Ils ne souhaitent pas s’avancer. Ils attendent que les instances dirigeantes se décident", observe Me Alexandre Ebtedaei. Car si l’Acoss, caisse nationale du réseau des Urssaf, est dotée d’un conseil d’administration composé de représentants des organisations professionnelles, elle reste sous tutelle du Ministre de l’Action et des Comptes publics et du Ministre des Solidarités et de la Santé qui peuvent aussi avoir leur mot à dire.