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"Tous les signaux au vert": les vins français pourraient sortir gagnants d'un accord UE-Mercosur

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L'accord commercial entre l'Union européenne et les pays sud-américains du Mercosur pourrait permettre aux vins et spiritueux français de gagner de nouvelles parts de marché en Amérique latine.

Le projet d'accord UE-Mercosur agite l'agriculture française. Sans faute note, toutes les voix s'accordent en France pour tenter de lui faire obstacle, alors qu'il pourrait être signé dès le début du mois de décembre par la Commission européenne, poussée par le soutien farouche de certains États membres, à l'image de l'Allemagne et de l'Espagne.

Derrière une unanimité française de façade, certaines filières pourraient toutefois sortir gagnantes d'un tel accord commercial, entrevoyant une nouvelle relation prospère avec les pays sud-américains du Mercosur –à commencer par les vins et les spiritueux, champions immuables des exportations tricolores.

La France a-t-elle les moyens de s'opposer à l'accord avec le Mercosur?
La France a-t-elle les moyens de s'opposer à l'accord avec le Mercosur?
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La filière des vins et des spiritueux "est clairement offensive" dans l'accord UE-Mercosur, au contraire de la "position défensive" tenue par les céréales, le sucre ou la viande bovine, confirme Elvire Fabry, chercheuse à l’Institut Jacques Delors. À l'heure actuelle, les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay, Bolivie) appliquent des droits de douane de 27% sur le vin. Ils oscillent entre 20 et 35% dans le cas des spiritueux, tels que le whisky ou le gin. Le texte prévoit une suppression totale, à terme, de ces tarifs douaniers. Mécaniquement, les alcools français seraient beaucoup plus compétitifs sur le marché brésilien, argentin ou uruguayen.

"Pour des vins sensibles au prix, sur l'entrée de gamme et le milieu de gamme, la baisse pourrait être proportionnelle, en théorie", estime Jean-Marie Cardebat, professeur à l'université de Bordeaux et affilié à l'Inseec.

Les pays du Mercosur ne représentent aujourd'hui qu'une moindre partie des exportations françaises. Selon les chiffres de la Fédération des exportateurs de vins et spiritueux de France (FEVS), aucun d'entre eux ne pointait dans le top 20 de nos exportations en 2023, largement dominé par l'Amérique du Nord, l'Asie et les voisins européens. Tous les regards se tournent vers le Brésil: ses 220 millions d'habitants incarnent de substantielles opportunités.

"C'est un pays où l'on a l'habitude de boire de l'alcool, avec une classe moyenne qui se développe", détaille Jean-Marie Cardebat, pour qui "tous les signaux sont au vert" de l'autre côté de l'Atlantique.

Espagne et Portugal

Mais les Français ne sont pas seuls sur la ligne de départ. L'Espagne et le Portugal, autres grands producteurs de vin, s'intéressent à l'Amérique latine – expliquant, entre autres, le soutien résolu de Madrid et Lisbonne à l'accord commercial. D'autant qu'en raison d'une proximité culturelle avec les pays du Mercosur, les deux pays ibériques disposent d'un avantage.

"La France reste la France en termes d'image et de notoriété, ce qui joue en sa faveur", nuance toutefois Jean-Marie Cardebat, citant le champagne et le bordeaux.

Le traité intègre la protection de 357 indications géographiques européennes, où les alcools français occupent une bonne trentaine des places.

Dans un monde chahuté par les tensions commerciales, le Mercosur (et surtout le Brésil) pourrait redonner du souffle aux exportateurs français en gagnant quelques parts de marché en Amérique latine. La Russie s'est fermée dans le sillage de la guerre en Ukraine, la Chine a embarqué le cognac dans sa bataille douanière avec l'UE et les États-Unis se préparent au retour incertain de Donald Trump qui a promis, au cours de sa campagne électorale, une hausse de 10 à 20% des droits de douane sur les produits importés. "Cela s'inscrit dans un contexte de baisse de la consommation de vin en Europe, ce qui pousse à chercher d'autres marchés", y ajoute Elvire Fabry.

"On ne peut être que solidaires de nos collègues qui s'opposent à l'accord", mais "nous avons besoin de gagner des nouvelles parts de marché dans le monde", explique Jean-Marie Fabre, président du syndicat des Vignerons indépendants.

S'il estime que l'UE ne devrait pas signer le texte actuel, sans y apporter des modifications pour protéger d'autres secteurs agricoles, Jean-Marie Fabre reste favorable à une adoption "rapide" d'un accord commercial avec le Mercosur. Les vins et les spiritueux français "ont commencé à se positionner depuis une dizaine d'années" en Amérique du Sud, mais "nous avons besoin de droits de douane nuls" pour "aller plus vite", anticipe-t-il, évoquant les "prémices d'un marché solide" qu'il faut "rapidement préempter".

En dépit d'une concurrence interne, l'Europe doit jouer serrée: les concurrents australiens, sud-africains et californiens se sont déjà engagés sur le terrain.

Le précédent japonais

En matière viticole, les accords commerciaux jouent généralement en faveur de la France. En 2019, année où l'accord de libre-échange entre l'UE et le Japon est entré en vigueur, les exportations vers l'archipel nippon avaient grimpé de 10% en volume et de 12% en valeur, dépassant pour la première fois la barre des 600 millions d'euros, selon un bilan annuel de la FEVS.

Mais le monde viticole reste très discret sur le sujet du Mercosur, tant l'affaire est brûlante au sein de l'agriculture française. "Le Mercosur, ça peut attendre!", a même mis en garde le président du Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne (BIVB), François Labet, au micro de France Bleu.

Jérémy Bruno Journaliste BFMTV