INFOGRAPHIE. Dopée par les frites surgelées et la demande belge, la France s'envole vers une nouvelle production record de pommes de terre

Des patates, des patates, des patates: d'année en année, les tubercules s'amoncellent dans les champs de l'Hexagone. La récolte française de pommes de terre s'annonce une nouvelle fois inédite, avec 8,3 millions de tonnes attendues en 2025, selon les estimations du ministère de l'Agriculture. Alourdie de 450.000 tonnes, la production annuelle progresserait de 12,7% par rapport à l'année précédente, où la pomme de terre tricolore avait déjà atteint "un plus haut depuis trente ans".
S'ils se confirment à la fin de la récolte, ces bons chiffres n'auront rien d'une erreur de parcours: en France, la production de pommes de terre de consommation gagne en volume depuis le milieu des années 2010 et s'est encore amplifiée sur les dernières campagnes. En dix ans, la récolte annuelle française aura gagné près de 3 millions de tonnes supplémentaires. Cette dernière aura même doublé depuis 1995, trente ans plus tôt, où elle stagnait à un peu plus de 4 millions de tonnes.
Les Français n'ont pas été pris d'une soudaine passion pour les pommes de terre sautées – leur amour pour la raclette n'a pas grand-chose à y voir non plus. Le dynamisme de la production française est alimenté par la demande mondiale pour les pommes de terre transformées, et surtout les frites surgelées, elles-mêmes dopées par la bonne santé de la restauration rapide à l'américaine, le développement de l'offre pour la consommation à domicile et les nouvelles habitudes des consommateurs.
200.000 hectares
Alors que l'industrie agroalimentaire réclame toujours plus de patates, les producteurs français se sont mis à la tâche: les surfaces cultivées se sont accrues de 64% en vingt ans pour les pommes de terre de consommation, passant d'un peu plus de 119.000 hectares en 2010 à presque 200.000 hectares en 2025. Par ailleurs, les agriculteurs ont été tentés d'en cultiver davantage "car ils ont rencontré des baisses de rentabilité dans d’autres cultures, par exemple céréalières", précise l'interprofession (CNIPT).
Et les premiers à lorgner sur nos patates, ce sont les Belges, loin de produire suffisamment de tubercules pour satisfaire leurs usines. De la découpe à l'expédition, la Belgique a mis en place un vaste écosystème de la transformation des pommes de terre au tournant des années 2000, la hissant au rang de géant mondial des frites qui alimente, entre autres, l'avide marché européen - en vingt ans, la production de pommes de terre transformées a ainsi quadruplé sur les terres belges.
Les appétits belges ont donné un net coup d'accélérateur dans les champs français à partir des années 2010, au point que la moitié des exportations françaises de pommes de terre s'échappent aujourd'hui outre-Quiévrain. Un vrai paradoxe: premier exportateur mondial de pommes de terre en l'état, l'Hexagone en voit revenir une bonne partie sous forme transformées pour approvisionner ses propres supermarchés.
"Pendant vingt ans, il ne s'est rien passé" en France en termes de nouvelles capacités de transformation, observe Bertrand Ouillon, délégué général du Groupement interprofessionnel pour la valorisation de la pomme de Terre (GIPT), tenant compte de l'entrée en service de l'usine McCain de Matougues (Marne) à l'été 2001 – la troisième usine française du groupe américain, qui ravitaille notamment les restaurants McDonald's.
Trois nouvelles usines
Mais la Belgique n'arrive plus à suivre la cadence et déborde aujourd'hui sur les terres du pays voisin. Déjà solide bastion de la patate, la région des Hauts-de-France émerge en tant que nouvel eldorado des frites surgelées "made in France" où fleurissent les projets industriels. Le groupe belge Clarebout Potatoes, numéro 3 mondial qui vient de passer sous pavillon américain, a tout juste mis en route son usine flambant neuve dans les environs de Dunkerque. Les deux lignes de production devraient être capables à terme de débiter 2.500 tonnes de produits surgelés.
L'autre géant belge Ecofrost a, lui, fait un choix similaire en s'installant à Péronne, dans la Somme. Les travaux quasiment achevés, la production devrait démarrer d'ici janvier 2026 grâce aux contrats passés en amont avec des agriculteurs locaux. Et jamais deux sans trois: Agristo, là encore un groupe belge qui possède plusieurs usines en Flandre, a racheté le site du groupe sucrier Tereos à Escaudœuvres, près de Cambrai, et prévoit d'y lancer la production en 2027. Le géant américain McCain, lui, a mis 300 millions d'euros sur la table pour agrandir son site de Harnes, dans le Pas-de-Calais.
De quoi redonner de l'élan aux patates françaises, qui profitent d'un second coup de boost depuis trois ans, anticipant l'approvisionnement des nouvelles usines. Selon le ministère de l'Agriculture, un surcroît de 1,5 million de tonnes sera indispensable à l'horizon 2027-2018 pour satisfaire ces capacités de production supplémentaires.
"Nous avons encore de grandes marges de manœuvre pour la réindustrialisation en France", soutient Bertrand Ouillon, évoquant une "une croissance mondiale de l'ordre de 3%" pour les seules frites surgelées.
La place, elle, ne manque pas. Contrairement à la Belgique où les terres agricoles sont saturées, la France est encore capable d'augmenter les surfaces cultivées en pommes de terre, et ne se prive pas de le faire. Sans oublier qu'aux côtés des frites surgelées, d'autres produits transformés tirent la demande: surfant sur le succès fulgurant des chips Brets, dont la matière première est française, le groupe breton Altho est en train de construire une troisième usine à Pontivy, en face de son site historique.
Risque de surproduction
Mais a-t-on trop anticipé cette hausse de la demande? "Il ne faut pas que les surfaces et donc potentiellement l’offre de pommes de terre n’augmente plus vite que la demande, sauf à prendre le risque de déséquilibrer le marché à court ou moyen terme", observe le CNIPT. Fin août, l'Union nationale des producteurs de pommes de terre (UNPT) alertait une nouvelle fois au sujet d'une possible surproduction sur le sol français, déclarant alors craindre des "prix destructeurs" pour les agriculteurs.
Dégringolade de la féculerie
La production de pommes de terre de consommation a également profité du désintérêt pour les pommes de terre de féculerie, c'est-à-dire les variétés spécifiques destinées à l'extraction de l'amidon contenu dans les tubercules.
Selon les estimations du ministère de l'Agriculture, 473.000 tonnes de pommes de terre de féculerie devraient être récoltées en 2025, un chiffre en baisse de 41,2% par rapport à la moyenne quinquennale. Délaissées par une baisse de la demande, les surfaces cultivées sont aujourd'hui tombées à 11.000 hectares.
À l'été 2023, le groupe Tereos avait annoncé la fermeture de la féculerie d’Haussimont dans la Marne, l'une des deux dernières de l'Hexagone. La coopérative de Vecquemont, dans la Somme, est désormais la dernière féculerie en activité en France.