Guerre en Ukraine: pour affaiblir la Russie, l'Europe vise désormais les importations d'engrais

Un champ de blé à Octeville-sur-Mer (Seine-Maritime), le 29 juillet 2024 (photo d'illustration). - LOU BENOIST / AFP
L'Europe s'attaque aux importations d'engrais russes. S'ils avaient jusqu'alors échappé aux sanctions européennes contre la Russie, les engrais russes pourraient désormais s'alourdir d'importants droits de douane à la porte de l'Union européenne. La Commission européenne a adopté une proposition de règlement visant à instaurer de nouveaux droits de douane sur les engrais en provenance de Russie, mais aussi de Biélorussie, pays allié et autre grand fournisseur d'engrais.
La Russie, géant mondial des engrais, reste un partenaire incontournable pour l'agriculture européenne. En 2024, un quart des importations d'engrais de l'UE provenaient encore de Russie en dépit de la guerre en Ukraine. Au nom de la sécurité alimentaire, l'UE avait jusqu'alors explicitement exclus les engrais des sanctions prises contre la Russie depuis 2014. Or, ils constituent une manne substantielle pour l'économie russe et un possible levier d'action coercitif contre l'Europe.
"Les tarifs douaniers devraient avoir un effet négatif sur les revenus d’exportation russes, affectant ainsi la capacité de la Russie à mener sa guerre d’agression contre l’Ukraine", observe la Commission européenne dans un communiqué.
Plus exactement, Bruxelles vise les engrais azotés, qui représentent plus de la moitié des importations d'engrais depuis la Russie. Pour fabriquer ces fertilisants, il faut de l'ammoniac, lui-même issu du gaz naturel – il représente 80% de son coût de production. Les fabricants russes, directement branchés au robinet, écoulent leurs engrais à moindre prix. En parallèle, les fabricants européens souffrent de la flambée du gaz, d'autant plus que l'Europe est loin d'être autosuffisante en la matière.
"Niveau prohibitif"
Les engrais azotés en provenance de Russie sont, à l'heure actuelle, soumis à un droit de douane de 6,5%. La Commission européenne propose d'y ajouter un droit de douane supplémentaire de 40 euros par tonne à partir du 1er juillet 2025, puis de l'augmenter progressivement pour atteindre 315 euros à partir du 1er juillet 2028. Les engrais mixtes contenant de l'azote verraient, eux, ce droit spécifique partir de 45 euros par tonne au 1er juillet 2025 pour atteindre 430 euros trois ans plus tard.
Ce "niveau prohibitif" correspondrait à un droit de douane "d'environ 100%" au terme du processus, assure la Commission européenne dans sa proposition de règlement. En outre, les engrais importés au-delà d'un certain seuil se verraient imposer immédiatement le tarif maximum pour freiner l'afflux de fertilisants russes sur les champs européens. Pour les engrais azotés, ce seuil serait fixé à 2,7 millions de tonnes au 1er juillet 2025 et abaissé progressivement jusqu'à l'été 2028.
Ces droits de douane alourdis limiteraient l'avantage concurrentiel des fabricants russes sur le marché européen, pour redonner du souffle aux industriels locaux, contraints de réduire leur activité ces dernières années. Ils permettraient également "de diversifier l'approvisionnement en provenance de pays tiers", soutient la Commission européenne, qui promet "des mesures atténuantes" pour les agriculteurs en cas d'une hausse consécutive du prix des engrais.
Ces nouvelles mesures contre la Russie restent, pour l'heure, une proposition de la Commission européenne et n'ont pas encore été adoptées. La proposition de règlement passe désormais dans les mains du Parlement européen et du Conseil de l'UE, qui représente les États-membres.
L'Union européenne a importé 6,18 millions de tonnes d'engrais depuis la Russie en 2024. Parmi eux, on compte 2,54 millions de tonnes d'engrais azotés, 498.000 tonnes d'engrais potassiques, 1,86 millions de tonnes d'engrais mixtes, auxquels il faut également ajouter 793.000 tonnes de phosphates et 490.000 tonnes d'ammoniac, selon les données de la Commission européenne.
En matière d'engrais, l'Europe est encore dépendante du géant russe. Mais cette dépendance s'est allégée sur la dernière décennie. La Russie représentait encore 30,9% des importations d'engrais de l'UE en 2014, contre 25,5% en 2024. L'UE s'est notamment tournée vers d'autres partenaires, comme l'Ouzbékistan, le Canada, les États-Unis, la Chine, le Kazakhstan ou encore l'Égypte.