Pour Airbus, il est "naturel" que Boeing soit taxé en Europe si les Etats-Unis maintiennent ses surtaxes

"C'est quelque chose que nous surveillons comme du lait chaud. Cela change tout le temps, alors il est un peu difficile de tirer des conclusions. Mais nous avons des raisons d'espérer qu'une approche transactionnelle de ces discussions commerciales aboutira à la réouverture des accords commerciaux", a déclaré mercredi Christian Scherer, directeur des avions commerciaux d'Airbus, lors d'une visite de presse à Toulouse.
Le responsable juge ainsi "encourageantes" les discussions américano-chinoise cette semaine à Londres (qui ont débouché sur un accord) et espère une solution positive pour l'Europe dans le dossier des droits de douane mis en place par Donald Trump.
L'ensemble des produits dont les avions ou pièces pour les avions importés d'Europe vers les États-Unis doivent s'acquitter d'une surtaxe de 10% introduite en mars, qui pourrait monter à 20% à l'issue du sursis de 90 jours annoncé par le président américain le 9 avril pour négocier des traités commerciaux.
"Beaucoup d'incertitudes"
"Cela crée beaucoup d'incertitude, mais nous avons vu des signes encourageants à Londres où se tenaient des négociations commerciales entre la Chine et les États-Unis", a-t-il ajouté.
Christian Scherer a réitéré la position d'Airbus concernant d'éventuelles mesures de rétorsion de la part de l'Union européenne en cas du maintien de 10% des droits de douanes ou leur augmentation à 20%: taxer les avions importés en Europe et pas les pièces pour ne pas fragiliser davantage la chaîne d'approvisionnement mondialisé.
"Si nous sommes taxés sur les avions que nous envoyons aux États-Unis, il devrait être naturel que les Européens taxent les avions qui viennent des États-Unis", a-t-il souligné en faisant allusion aux appareils de Boeing, son principal concurrent américain.
"C'est l'avis que nous avons exprimé à l'Union européenne, mais l'UE pourrait vouloir adopter une position un peu plus dure que celle d'Airbus", a-t-il dit.
Le constructeur espère compenser cette offensive sur deux axes: la demande internationale en avions neufs -qui n'a jamais été aussi forte auprès des compagnies aériennes (notamment en Asie)- et la présence de sites de production aux Etats-Unis.
Airbus dit pouvoir compenser
Airbus a en effet inauguré en 2015 une usine d'assemblage final à Mobile (Alabama), de laquelle étaient sortis, fin 2024, 500 avions A320 et A220. Il assemble et modernise des hélicoptères civils et militaires dans le Mississippi et produit des satellites en Floride.
Airbus achète aussi chaque année pour plus de 15 milliards de dollars de pièces à ses quelque 2.000 sous-traitants américains, répartis dans 40 États, affirme qu'il soutient ainsi 275.000 emplois aux États-Unis.
Reste qu'Airbus ne sortira pas indemne de cette offensive.
Car sa présence aux Etats-Unis est à double tranchant: si les avions assemblés n'y seront pas taxés, les pièces importées d'Europe le seront, sauf accord. Selon Goldman Sachs, chaque Airbus A320 produit à Mobile pourrait subir un surcoût de 5 à 6 millions de dollars. Reste que la production américaine d'Airbus reste encore assez marginale.
Des sous-traitants en danger?
Tout comme ses sous-traitants, en première ligne, qui vont se retrouver face à un marché américain devenu plus cher, plus compliqué à adresser.
Mais pour François Sfarti, Consultant Principal chez Emerton Strategy à BFM Business: "dans beaucoup de domaines aéronautiques, il y a très peu d'équivalents américains aux sous-traitants européens. Et si les Etats-Unis veulent un tissu d'entreprises dédiées, cela va prendre beaucoup de temps, je ne vois pas de danger du jour au lendemain".
Pour autant, si Airbus et ses sous-traitants risquent de souffrir, Boeing pourrait être encore plus secoué. Déjà fragilisé par ses problèmes de production et de procès, le géant américain est également exposé à la flambée des droits de douane.
Car si Boeing produit l'essentiel de ses avions aux Etats-Unis, il doit importer des pièces d'Europe: systèmes électriques, trains d’atterrissage, actionneurs de vol, composants de voilure, systèmes de freinage et surtout la moitié de ses moteurs qui constituent 30% du coût d'un avion.
Le calcul est assez simple: avec des pièces détachées européennes 20% plus chères, l'avionneur n'aura d'autres choix que d'augmenter ses prix et être donc moins compétitif face à Airbus qui aura moins ce problème de renchérissement des pièces.
Boeing frappé par les hausses de prix des moteurs venus d'Europe
D'autant plus que Boeing dispose de sites de production de pièces en Europe (notamment au Royaume-Uni) qui envoient des composants aux Etats-Unis, composants désormais taxés.
Bref, plus que le prix des avions, ce sont surtout les surtaxes sur les pièces qui pourraient peser lourd dans un secteur déjà confronté à d'importants problèmes d'approvisionnement. Et pénaliser les deux géants.
"Sur le court terme, nous ne nous inquiétons pas au niveau commercial", a-t-il assuré, soulignant que le groupe disposait de "beaucoup de stock" acheté avant l'instauration de droits de douane, indique Boeing.
L'enjeu, c'est la capacité à produire, pas le prix de vente
Mais finalement, compte tenu de la demande toujours plus forte en avions neufs, les deux industriels pourraient limiter les dégâts.
"Pour Airbus, il y aura un impact sur le prix final de vente de ses appareils, impact qui pourrait être amplifié par la baisse du dollar. Pour Boeing, l'impact s'observera sur ses coûts de production à cause des importations de pièces, d'Europe mais aussi du Mexique. Donc, les conséquences ne sont pas au même niveau et pourraient avoir pour effet d'effacer les différences entre les deux", précise François Sfarti.
"Par ailleurs, avec une demande toujours forte des compagnies avec des délais de livraisons de cinq ans, le vrai problème reste et restera la capacité à produire, pas les ventes", complète-t-il.
En d'autres termes, selon l'expert, même avec des prix d'achats plus élevés (qui rappelons-le se négocient de gré à gré), les grandes compagnies ne reverront pas leurs commandes à la baisse.