BFM Business
Emploi

Votre employeur peut-il contrôler vos publications sur les réseaux sociaux (comme le Borussia Dortmund avec son joueur Felix Nmecha)?

Felix Nmecha lors du match Juventus-Dortmund (4-4, Ligue des champions), le 16 septembre 2025

Felix Nmecha lors du match Juventus-Dortmund (4-4, Ligue des champions), le 16 septembre 2025 - DeFodi Images/ICON Sport

Le Borussia Dortmund (BVB) validera désormais les propos de son joueur Felix Nmecha, qui s'était exprimé après le meurtre de Charlie Kirk, avant publication sur les réseaux sociaux. Votre employeur peut-il faire de même?

Le footballeur Felix Nmecha n'est plus maître de son compte Instagram. Le joueur du Borussia Dortmund a apporté son soutien et ses condoléances via un message sur les réseaux sociaux à la famille de Charlie Kirk, influenceur américain d'extrême-droite assassiné le 10 septembre dernier.

Dans la foulée, Felix Nmecha a été convoqué par les dirigeants de son club, qui ont décidé que les prochaines réactions du joueur sur les sujets extra-sportifs devront désormais être contrôlées par le service communication du club. Ce n'était pas la première fois que le joueur s'exprimait sur un sujet de société et le BVB a estimé qu'il avait déjà causé trop d'agitation.

Cette histoire s'est passée en Allemagne, et relève donc du droit allemand. Plus généralement, en France, les relations entre les footballeurs et leurs clubs sont régies par le code du Sport et ne relèvent pas simplement du code du Travail. Pour autant, peut-on imaginer, en France, qu'un employeur décide de contrôler les publications d'un employé, ou même de le licencier à cause d'un post? Nous avons posé la question à Ibrahim Cheikh Hussein, avocat spécialiste du droit du travail.

Pas de contrôle a priori

Tout d'abord, pas question qu'une entreprise lambda aille aussi loin que le Borussia et filtre les posts d'un employé.

"Un employeur ne peut pas exiger qu’un salarié fasse valider ses publications personnelles avant de les poster, car cela constituerait une atteinte disproportionnée à sa liberté d’expression et à son droit à la vie privée", décrypte Ibrahim Cheikh Hussein.

En revanche, s'agissant de possibles sanctions après une publication, le droit est moins clair et les tribunaux sont confrontés à un nombre croissant de contentieux. Ils doivent trancher entre liberté d’expression et droit à la vie privée des salariés d’une part, et intérêts légitimes des entreprises d’autre part.

"Bien que la jurisprudence se développe depuis une quinzaine d’années, elle n’offre pas encore un cadre clair", observe Ibrahim Cheikh Hussein. En effet, la Cour de cassation rappelle que "le salarié jouit dans l'entreprise et en dehors de celle-ci de sa liberté d’expression, sauf abus".

Des injures directement adressées à l'entreprise ou à la direction

Mais alors qu'est-ce qui constitue un abus? "Un abus sera notamment caractérisé en cas d’injure, de diffamation ou de propos excessifs", précise l'avocat. Mais selon lui, même en cas d'abus avéré, l'employeur ne pourra se retourner contre son salarié que si les publications concernées ont un caractère public. Cette notion n'est pas toujours interprétée de la même manière en fonction des juridictions. Mais on peut citer l'exemple d'une publication injurieuse sur un groupe Facebook fermé de 14 personnes, qui a été considérée comme privée et ne constituait donc pas une faute grave.

Enfin, selon la jurisprudence, les propos doivent porter directement sur l’entreprise ou sa direction, et donc être liés à un contexte professionnel.

"Il est beaucoup plus délicat de sanctionner un salarié pour un propos public, même abusif, n’ayant aucun lien avec son entreprise, comme un commentaire sur l’actualité", souligne Ibrahim Cheikh Hussein.

Dans tous les cas, l’employeur doit être extrêmement vigilant avant de sanctionner ou de licencier un salarié pour des propos publiés sur les réseaux sociaux. "Si le licenciement est invalidé, il sera considéré comme ayant porté atteinte à une liberté fondamentale, la liberté d’expression, offrant au salarié des indemnités bien plus élevées qu’en cas de licenciement abusif classique", relève l'avocat.

Marine Cardot