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"Une perte monumentale de 3% du PIB": l'absentéisme coûte 17 milliards par an à la Sécu mais surtout 100 milliards d'euros à l'ensemble de l'économie française

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Selon une estimation de l'économiste Laurent Cappelletti, l'absentéisme pourrait en réalité coûter plus de 100 milliards d'euros (et pas uniquement les 17 milliards qui pèsent sur la Sécurité sociale à cause des arrêts maladie). Pour réduire les absences, il faudra s'attaquer aux causes racines du mal-être au travail.

Il y a la partie émergée de l'iceberg: ce sont les 17 milliards par an que coûtent les arrêts maladie à la Sécurité sociale. Mais s'arrêter là serait illusoire. Car en réalité l'absentéisme au travail a des "coûts cachés" bien plus importants.

Parmi ces coûts invisibles, on peut notamment citer tout ce que les absents ne produiront pas, ce qui représente de lourdes pertes pour l'entreprise. Il y a aussi l'usure des présents qu'il faut prendre en compte lorsqu'ils reprennent à leur compte la charge de travail des salariés en arrêt. Les contacts et les relations clients qui ne sont pas entretenus sont également autant de contrats à venir qui ne seront pas signés et de clientèle perdue. Une partie immergée de l'iceberg que les systèmes comptables et financiers classiques ne permettent pas de prendre en compte.

"Le mal-être au travail et l'absentéisme ne sont plus des signaux faibles, ils constituent une alerte majeure et une menace pour la compétitivité française", a lancé le psychologue du travail Jean-Christophe Villette ce mercredi 8 octobre lors d'une conférence organisée par le cabinet Ekilibre à ce sujet.

100 milliards d'euros, soit environ 3% du PIB

Ces coûts ne sont jamais évoqués, ni calculés. Enfin... jamais ou presque. Car l'économiste et professeur au Cnam Laurent Cappelletti a travaillé sur le sujet en appliquant une méthode* alternative à la comptabilité classique.

Le résultat est que l'absentéisme coûte en moyenne 5.000 euros par an et par salarié (pas seulement par salarié absent, il s'agit d'une moyenne de tous les collaborateurs). Ainsi, pour une entreprise de 10 personnes, se sont 50.000 euros qui s'envolent chaque année (il s'agit d'un ordre de grandeur).

Et lorsque ce résultat est extrapolé à l'ensemble de la population, on arrive à une estimation de 100 milliards d'euros, soit environ 3% du PIB.

"Or en France, 100 milliards de PIB, c'est 50 milliards pour les recettes publiques, ainsi on pourrait ramener le déficit public dans les clous des critères de Maastricht en quelques années", remarque Laurent Cappelletti.

1 euro investi pour 4 euros de retour sur investissement

Selon lui, il est indispensable de se saisir du sujet car la France est à la traîne. "Par rapport à l'Europe du Nord, aux pays anglo-saxons, et même depuis récemment à l'Europe du Sud, la France décroche sur les indicateurs sociaux comme l'absentéisme, les accidents du travail ou la rotation excessive du personnel", pointe Laurent Cappelletti.

"Or ne pas chiffrer, ne pas regarder le problème, c'est ne pas agir", ajoute-t-il.

Il s'agit selon lui de créer une prise de conscience pour que les dirigeants, les managers et les salariés visualisent l’évaporation budgétaire des sommes qui pourraient servir à augmenter les rémunérations, à investir, etc.

D'autant qu'il est possible d'agir. Selon l'économiste, un tiers de l'absentéisme est résorbable en moins d'un an. Une partie peut être réduite à plus long terme car elle nécessite des changements organisationels plus globaux. Enfin, la dernière partie, entre un tiers et 20%, est considérée comme incompressible.

"Certaines organisations considèrent les mesures de prévention comme de la dépense. En réalité, il y a un retour sur investissement qui est très fort pour l'entreprise, 1 euro investi dans l'amélioration des conditions de travail rapporte en moyenne 4 euros", assure Laurent Cappelletti.

Les causes racines du mal-être au travail

Mais alors comment agir et surtout pour où commencer? Selon Jean-Christophe Villette, psychologue du travail et directeur du cabinet Ekilibre, il faut absolument agir sur ce qu'il appelle "les causes racines du mal être au travail".

Selon les résultats de son baromètre mené en collaboration avec Opinionway, ces causes racines sont les facteurs qui sont statistiquement les plus significatifs dans l'explication du mal être au travail et de l'absentéisme.

Les trois causes principales peuvent être résumées sous l'acronyme des 3S. La soutenabilité (ou supportabilité) c'est-à-dire la charge qui peut être équilibrée ou déséquilibrée et qui induit les contraintes cognitives et émotionnelles auxquelles on fait face et les ressources qu'on peut mobiliser pour y faire face. Ensuite le soutien correspond au manque de reconnaissance, d'écoute et de circulation des informations. Enfin, le sens comprend deux dimensions: la qualité du travail perçue et le sentiment d'utilité.

"Ce sont les grands enseignements que l'on tire de notre baromètre, mais le mieux est toujours de rechercher les causes racines au cas par cas, à l'échelle de l'entreprise, voire d'un service ou d'un métier", explique Jean-Christophe Villette.

"S'intéresser à ces quelques pourcents qui ne sont pas satisfaits"

C'est ce qu'a fait la Maif, accompagnée par le cabinet Ekilibre. Résultat, certains facteurs d'insatisfaction sont fortement prédicateurs de l'absentéisme. Dès lors qu'un salarié ressent une insatisfaction ou un conflit avec un manageur direct, il a 4 fois plus de chance d'être absent. Et la corrélation est deux fois plus forte pour les salariés qui travaillent pour le standard téléphonique par rapport à ceux qui sont postés en agence.

"S’intéresser à l’absentéisme revient à s'intéresser aux résultats qui ne sont pas majoritaires, ces quelques pourcents qui ne sont pas satisfaits, on pourrait se dire que ce n'est pas grave, ce n'est pas la majorité: mais c'est comme ça qu'on arrivera à régler le problème de l'absentéisme au travail", assure Béatrice Gueguiniat, responsable RH à la Maif.

Pour s'attaquer à ces problèmes et trouver des solutions, il faut absolument agir de manière collégiale, en intégrant les syndicats ou le CSE, plaide aussi Jean-Christophe Villette. "On a observé qu'il y avait toujours de meilleurs résultats lorsque les comités de pilotage sont paritaires", pointe-t-il.

Il s'agit également d'intégrer les manageurs à la démarche d'amélioration. "Il ne faut pas qu'ils se sentent pointés du doigt ou attaquer", explique Béatrice Gueguiniat. D'autant qu'ils sont eux-même particulièrement fragiles. Plus de 50% d'entre eux rapportent être victimes de mal-être au travail, selon le baromètre Ekilibre. Il s'agit ainsi de mieux s'intéresser à eux afin de mettre en place des mesures plus globale pour améliorer la santé des salariés et des organisations.

* En appliquant une méthode inventée en 1975 par Henri Savall et Véronique Zardet et présentée dans l'ouvrage "Maîtriser les coûts et les performances cachés", et labellisée par l'OIT (organisation internationale du travail) et le BIT (bureau international du travail).

Laurent Cappelletti a appliqué cette méthode à 3.000 entreprises françaises, petites, moyennes ou grandes (comme des boulangeries, des salons esthétiques, les brioches Pasquier ou encore Vinci) mais aussi des organisations publiques, impliquant au total 200.000 salariés.

Marine Cardot