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La majorité des salariés sont à la fois heureux et en situation de détresse au travail: un expert explique ce paradoxe

(photo d'illustration)

(photo d'illustration) - Andrea Piacquadio/Pexels

Un baromètre réalisé par Opinionway pour Ekilibre s'est intéressé aux causes racines du mal-être au travail. Il dépeint un tableau sombre de l'état de santé physique et mental des salariés.

Le paradoxe est presque incompréhensible. "Dans les entreprises, on observe une satisfaction globale des salariés élevée et dans le même temps une augmentation de l'absentéisme et des situations de détresse psychologique", explique le psychologue du travail et directeur général du cabinet de conseil Ekilibre, Jean-Christophe Villette.

Ainsi une enquête* inédite publiée ce jeudi 5 juin et commandée par Ekilibre sur "les causes racines du mal-être au travail" montre que 68% des personnes interrogées attribuent une note bonne à très bonne (supérieure à 7 sur 10) sur leur "satisfaction globale au travail".

Pour autant, lorsqu'on leur pose des questions plus précises, leur état de santé est plus qu'alarmant. Près de 8 salariés sur 10 font état d'une fatigue professionnelle, "symptôme d’un épuisement physique et mental devenu endémique", selon l'étude.

"Un épuisement physique et mental devenu endémique"

Mais alors comment expliquer une telle contradiction? Selon Jean-Christophe Villette, ces données ne s'opposent pas mais se complètent: "On peut aimer son travail, ce qui ne veut pas dire qu'on est heureux au travail." Pour le spécialiste, le meilleur exemple est celui du burn-out. "Les personnes qui sont les plus engagées et loyales à leur travail sont aussi les plus susceptibles de s'épuiser face à un déséquilibre entre les contraintes et les ressources", souligne-t-il.

Les trois quarts des salariés vivent ainsi un stress quotidien et 43% expriment un sentiment de mal-être au travail. Parmi ces derniers, trois sur quatre affirment que cet état nuit directement à leur santé mentale et/ou physique. 20% des salariés interrogés déclarent d'ailleurs avoir été en arrêt maladie au cours des six derniers mois, pour une cause liée au travail, qu’il s’agisse d’un burn-out, de douleurs musculo-squelettiques, ou de troubles psychiques.

"Le mal-être psychique et physique est indissociable du travail pour une large part de la population active, parfois de façon silencieuse", assure Jean-Christophe Villette.

Rythmes élevés et changements imprévus prédisent le mal être au travail

Mais alors qu'est-ce qui explique cette souffrance au travail? L'enquête a pris la peine d'interroger les salariés sur des indicateurs précis permettant de mesurer les facteurs de risques psycho-sociaux (RPS).

"Les causes organisationnelles (charge mentale, intensité émotionnelle, absence d’écoute, absence de reconnaissance, inadéquation des moyens) sont les plus puissants prédicteurs du mal-être, bien devant les caractéristiques personnelles ou contextuelles", souligne l'étude.

Dans le détail, trois facteurs sont statistiquement plus liés au mal-être ressentis par les salariés: il s'agit du rythme élevé de travail, des changements imprévus (pour pallier une organisation défaillante ou un manque d'effectif par exemple) et enfin, le fait de devoir cacher ses émotions pour faire bonne figure.

Deux salariés sur trois disent maintenir une vigilance permanente au travail, et près de la moitié disent devoir dissimuler leurs émotions pour rester professionnels, quitte à s’épuiser intérieurement.

Globalement, la pression temporelle est aussi en cause: près de 40% dénoncent un rythme de travail soutenu, et 27% estiment que les moyens mis à disposition sont insuffisants pour atteindre les objectifs fixés.

"Ce déséquilibre génère de la frustration, voire un sentiment d’échec", selon les auteurs.

Enfin, la perte de reconnaissance et de sens est un facteur majeur: 33% des salariés se sentent invisibles ou dévalorisés, et 24% jugent ne pas pouvoir produire un travail de qualité, en raison d’une organisation déficiente.

"Ça me fait froid dans le dos"

Face à ces conclusions, la prévention n'est pas à la hauteur: "Ça me fait froid dans le dos, les actions de formations sont insuffisantes alors que les indicateurs de santé se dégradent", s'inquiète Jean-Christophe Villette, également vice-président de la Fédération des intervenants en prévention des RPS.

Selon l'étude, les dispositifs d'alerte sont mal identifiés par les salariés: plus de la moitié ne savent pas vers qui se tourner. Et ils ont peu confiance dans les RH ou dans les délégués du personnel pour se confier. Jean-Christophe Villette appelle donc les organisations à "sortir de la prévention cosmétique".

"Deux séances de yoga ne suffiront jamais à réparer une organisation qui épuise."

"Parler de santé mentale au travail, c’est parler de gouvernance, de justice organisationnelle, de conditions concrètes pour faire un travail de qualité", conclut-il.

*Sondage réalisé par Opinionway du 28 avril au 9 mai 2025 sur internet par questionnaire autoadministré auprès d’un échantillon représentatif de 1.025 salariés, selectionnés selon la méthode des quotas au regard des critères de genre, d’âge, de région, et de catégorie socio-professionnelle, secteur.

Marine Cardot