Les jeunes ont des "connaissances théoriques": pourquoi l'IA n'a pas supprimé d'emplois sauf chez les travailleurs de moins de 25 ans

Donne-moi ton âge, je te dirai si tu seras remplacé par l'IA. Selon une étude publiée le 26 août par trois chercheurs de l'université de Stanford, les travailleurs les plus expérimentés n'ont pas de soucis à se faire. Les plus jeunes, en revanche, ont la plus forte probabilité de se faire évincer par l'intelligence artificielle.
Pour arriver à cette nouvelle conclusion, les trois chercheurs ont analysé les données (via les fiches de paie) de 25 millions de salariés travaillant dans 90.000 entreprises américaines de 2022 à 2025. Ils n'ont retenu que les emplois correspondant à l'une des 7.000 appellations reconnues.
Ainsi ils ont pu les comparer au degré d'exposition à l'IA de ces métiers. Et leur conclusion est sans appel.
Ils notent "des baisses substantielles de l’emploi pour les jeunes travailleurs (22-25 ans) dans les professions les plus exposées à l’IA, comme les développeurs logiciels et les représentants du service client."
Chez les jeunes développeurs logiciels, les effectifs chutent de près de 20% entre fin 2022 et juillet 2025. Il faut savoir que selon l'étude, ces résultats restent valables même une fois exclus les potentiels chocs économiques subis par un secteur ou une entreprise. Les auteurs assurent avoir écartés le plus de variables tierces possible.
Salariés "augmentés" vs salariés remplacés
Pour définir les métiers les plus exposés à l'IA, les chercheurs se basent sur deux études: Eloundou et al. (2024) et Handa et al. (2025). Les métiers considérés sont notamment le service client, les comptables et auditeurs, les développeurs software (logiciels, applications et systèmes), les secrétaires et assistants administratifs.
Et plus un métier est exposé à l'IA, plus l'effet sur l'emploi des jeunes est marqué. L'inverse est aussi vrai et dans les métiers considérés comme "irremplaçables" (comme les aides-soignants par exemple) l'emploi des jeunes stagne ou progresse.
Les chercheurs différencient également le type d'exposition à l'IA. Dans certains jobs, l'IA automatise la tâche, c'est là qu'on observe les plus forts déclins en terme d'emploi. Dans d'autres cas, l'IA va "augmenter" les capacités d'un salarié en lui permettant d'apprendre plus de choses, de "brainstormer" ou de vérifier ses productions. Dans ce cas, on n'observe pas d'effets sur l'emploi.
Les pertes d’emploi se concentrent donc dans les métiers où elle remplace directement les tâches, pas dans ceux où elle sert d’assistant ou de collaborateur.
Les astuces et les connaissances tacites comme bouclier
Pour expliquer ce phénomène d'exposition des jeunes salariés, les chercheurs évoque la nature des connaissances. Selon eux, l'IA est plus à même de remplacer des tâches "codifiées", ces mêmes compétences qu'apportent les jeunes recrues en sortie d'étude. Des connaissances qui sont acquises lors des "apprentissages théoriques" de leur formation.
À l'inverse, fort de leur expérience, les travailleurs plus âgés ont accumulé un tas de trucs et astuces, grâce à la pratique. On peut supposer que ces tâches, qui peuvent être plus complexes ou plus subtiles, par exemple en lien avec le relationnel ou la connaissance du fonctionnement singulier de l'entreprise, sont plus difficilement remplaçables.
"L'IA pourrait être moins à même de remplacer les connaissances tacites, ces astuces et conseils idiosyncrasiques qui s'accumulent avec l'expérience", écrivent les auteurs.
"De plus, les travailleurs plus expérimentés pourraient être plus qualifiés dans d'autres domaines, ce qui les rendrait moins vulnérables à la substitution par les outils d'IA", poursuivent-ils.
L’expérience pourrait ainsi agir comme un bouclier grâce aux compétences implicites qu'elle confère. Mais selon les auteurs, cette hypothèse doit faire l'objet d'autres recherches pour pouvoir être vérifiée.
* Etude publiée par les chercheurs de l'université de Stanford Erik Brynjolfsson, Bharat Chandar et Ruyu Chen, réalisée à partir de données fournies par l'entreprise de paie ADP. Elles concernent 25 millions de salariés dans des entreprises américaines, à temps plein et âgés de 18 à 70 ans.