Emploi: quel bilan pour le quinquennat d'Emmanuel Macron?
L’objectif était clair: 7% de chômage à l’issue du quinquennat. Cinq ans après son arrivée à l’Élysée, Emmanuel Macron a quasiment réussi son pari. Malgré une succession de crises, le taux de chômage en France a atteint 7,4% au dernier trimestre 2021, selon l’Insee.
Ordonnances travail, réforme de l’apprentissage et de la formation professionnelle… Le chef de l’Etat met en avant ses réformes menées tambour battant dès 2017 pour expliquer ce bon résultat. Même s’il convient de rappeler qu’il a d’abord hérité d’une dynamique favorable amorcée en 2015 et bénéficié au moment de son entrée en fonction d’un contexte international propice à une embellie sur le marché de travail.
Difficile dans ces conditions de mesurer la contribution réelle de l’action d’Emmanuel Macron à l’amélioration de l’emploi dans la première moitié de son mandat. Toujours est-il que les chiffres parlent pour lui: entre mi-2017 et début 2020, le taux de chômage avait déjà reculé de 9,5% à 7,8%.
L'emploi sauvé par le "quoi qu'il en coûte"?
D’aucuns pensaient que la pandémie de Covid-19 balayerait net cette performance honorable. Il n’en fut rien. Et cette fois, l’efficacité du "quoi qu’il en coûte" mis en place par le gouvernement pour préserver l’emploi semble incontestable. Après une brève remontée en 2020 et moyennant des milliards d’euros injectés dans l’économie, le taux de chômage à 7,4% fin 2021 a atteint son plus bas niveau depuis 2008 (hormis la baisse en trompe l'oeil du deuxième trimestre 2020). Certes au prix d’un creusement du déficit.
A 15,9% fin 2021 contre 24,7% cinq ans plus tôt, le taux de chômage des jeunes a rejoint ses plus bas niveaux observés à la fin des années 1980 et 1990. Dans une moindre mesure, celui des seniors a lui aussi reflué, à 5,8% au 4e trimestre 2021, soit 0,7 point de moins que mi-2017.
Plutôt que le taux de chômage, certains experts estiment que le taux d’emploi est plus pertinent pour juger de la bonne (ou mauvaise) santé du marché du travail. Rapport entre le nombre de personnes en emploi et la population en âge de travailler, il s’est établi à 67,8% au 4e trimestre 2021, dépassant ainsi son plus haut historique atteint au trimestre précédent. Chez les 15-24 ans, il a également retrouvé un niveau jamais vu depuis 1991, à 33,8%, contre 28,9% au deuxième trimestre 2017.
Enfin, le taux d’activité (personnes en emploi et au chômage/population totale âgée de 15-64 ans) s’est repliée à 73,3% au 4e trimestre 2021, après avoir atteint au trimestre précédent son plus haut niveau depuis que l’Insee le mesure (1975).
Bilan mitigé pour le "halo autour du chômage"
Afin de prendre en compte les frontières parfois floues entre chômage et inactivité, l’Insee mesure ce que l’on appelle le "halo autour du chômage". Cet indicateur correspond aux personnes inactives qui souhaitent travailler sans pour autant être considérées comme chômeurs parce qu’elles ne recherchent pas d’emploi ou ne sont pas disponibles.
L’évolution de ce halo ces dernières années n’est pas vraiment favorable à Emmanuel Macron. En valeur absolue, ses effectifs ont très légèrement augmenté de 30.000 personnes ces cinq dernières années (1,9 million de personnes fin 2021). Tandis que la part du halo autour du chômage dans la population des 15-64 ans est restée stable, à 4,5% entre mi-2017 et fin 2021.
Autre bémol, "on observe un mouvement des jeunes vers le halo – 6,5% des jeunes se trouvent dans le halo autour du chômage à la fin de l’année 2021 contre 5,8 mi-2017-, les jeunes femmes étant relativement plus représentées (près de 2/3 de l’augmentation)", souligne l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) dans une étude d’évaluation du marché du travail.
Des chiffres manipulés?
Si l’Insee réalise une enquête trimestrielle auprès de 110.000 personnes pour mesurer l’évolution du chômage en France, Pôle emploi s’appuie pour sa part sur sa base de données divisée en cinq catégories: les demandeurs d’emploi de catégorie A (aucune activité), B (activité réduite de 78 heures maximum par mois), C (activité réduite de plus de 78 heures), D (demandeur d’emploi non disponible pour cause de formation, arrêt maladie, etc.) et E (personnes bénéficiant d’un contrat aidé).
Traditionnellement, c’est le nombre des inscrits n’ayant exercé aucune activité récemment qui est le plus commenté. Or, les effectifs de cette catégorie A fin 2021 (3,34 millions de personnes, hors Mayotte) confirment que la France n’en a pas encore fini avec le chômage de masse. Reste que la tendance positive observée par l’Insee se retrouve dans les données de Pôle emploi, les demandeurs d’emploi de catégorie A étant 409.000 de moins entre le deuxième trimestre 2017 et le quatrième de 2021. Un recul d’autant plus remarquable que la population active a augmenté entre les deux périodes.
Une partie de l'opposition, Rassemblement national en tête, conteste la baisse du chômage des dernières années. Son argument: toutes catégories confondues, les effectifs de Pôle emploi n’ont pas diminué sur le quinquennat. En clair, les sorties de catégorie A se retrouveraient dans les autres catégories par un jeu de vases communicants. Qu’en est-il réellement?
Fin 2021, les catégories A, B, C, D et E rassemblaient un total de 6,4 millions de personnes, contre 6,6 millions cinq ans plus tôt. Quant aux inscrits des seules catégories A, B et C (sans activité ou activité réduite), ils étaient 5,7 millions en fin d’année dernière, contre 5,9 en 2017.
Les effectifs globaux de Pôle emploi ont donc bien reculé ces dernières années même s'il est vrai que la baisse est moins prononcée en proportion que celle observée pour la seule catégorie A. Cela atteste sans doute qu’une partie des demandeurs d’emploi de cette catégorie a bien basculé vers une autre. En particulier vers la C, la seule avec la D à avoir vu ses effectifs progresser entre mi-2017 (1,33 million en France métropolitaine) et fin 2021 (1,55 million).
L’autre reproche souvent adressé à Pôle emploi est de multiplier les radiations pour faire baisser artificiellement les chiffres du chômage. Au quatrième trimestre 2021, le nombre de radiations a certes atteint un niveau record (52.300), mais cet indicateur ne peut suffire à expliquer l’embellie sur le marché de l’emploi. En effet, le nombre de radiations n’a connu aucun mouvement clair, à la hausse comme à la baisse, ces dernières années.
Quid du chômage de longue durée?
Pour mesurer l’évolution de l’exclusion des personnes sans emploi au cours du quinquennat, il est intéressant de se pencher sur le chômage de longue durée qui contribue à accentuer le phénomène de pauvreté. Sur ce point, les conclusions de l’Insee et de Pôle emploi qui, rappelons-le, utilisent une méthode totalement différente, sont diamétralement opposées.
D’un côté, les chiffres de Pôle emploi témoignent d’une progression du chômage de longue durée. Mi-2017, 2,6 millions de personnes étaient inscrites en catégorie A, B ou C depuis plus d’un an (hors Mayotte). Cinq ans plus tard, ils étaient 2,8 millions dans cette situation, soit 49,6% du total, contre 44% en 2017. Par ailleurs, Pôle emploi recensait 1,1 million d’inscrits depuis plus de trois ans en fin d’année dernière, contre 924.000 il y a cinq ans.
De son côté, l’Insee souligne au contraire que la part des chômeurs de longue durée a baissé de 0,8 point sur le quinquennat, à 29% de la population en situation de chômage. Cette divergence avec Pôle emploi tient de la méthode de calcul:
"Les demandeurs d’emploi inscrits depuis plus d’un an à Pôle emploi en catégories ABC ne sont pas nécessairement des ‘chômeurs de longue durée’ au sens de l’Insee: une part importante d’entre eux peuvent avoir travaillé au cours de l’année, voire travailler encore, et être inscrits en catégories B ou C. Dans ce cas, ils ne sont pas chômeurs au sens du BIT qui est, pour rappel, un actif au chômage depuis plus d'un an", explique Pole emploi à BFM Business.
1,2 million d’emplois créés
La baisse du chômage au cours du quinquennat est bien sûr à mettre en lien avec les créations d’emplois observés sur la période. Entre le deuxième trimestre 2017 et fin 2021, l’emploi a progressé de 4%, ce qui représente plus d'un million de personnes supplémentaires en emploi.
Comme l’Espagne, la France a eu la particularité de créer "suffisamment d’emplois pour absorber" la hausse de sa population active et "engendrer une baisse de son taux de chômage" ces cinq dernières années, note l’OFCE. "La dynamique du marché du travail dans ces deux pays aura donc été plus vertueuse qu’en Italie au sens où la baisse du chômage est davantage le résultat de créations d’emplois que d’un découragement des chômeurs italiens basculant ainsi dans l’inactivité", relèvent encore les experts de l’organisme indépendant.
A lui seul, l’emploi salarié a contribué à hauteur de 3,6 points à la hausse de l’emploi total. Et notamment dans le secteur privé (+4,8% sur le quinquennat) alors que l’emploi salarié public a montré un dynamisme de moindre ampleur (+0,5%). L’activité non salariée a quant à elle progressé de 5,3% avec 100.000 emplois en plus.
Il convient cependant d’apporter quelques réserves à ces bons résultats d’autant plus surprenants au regard des crises qui se sont succédé. D’abord, les emplois créés l’ont surtout été dans le secteur tertiaire marchand qui représente des activités à faible valeur ajoutée. Ensuite, les 422.000 emplois d’apprentis créés entre 2019 et 2021 expliqueraient "l’immense majorité des emplois créés depuis 2019", selon l’OFCE. Dit autrement, "la très forte baisse du taux de chômage, notamment le chômage des jeunes, reposerait donc sur une contribution très importante de l’apprentissage, lui-même dopé par un niveau de subvention atypique".
Or, les aides à l’apprentissage doivent prendre fin mi-2022, date à laquelle "les entrées en apprentissage risquent fort de retrouver un rythme de croisière conforme aux incitations et aux aides de droit commun mises en place par la réforme de 2018, c’est-à-dire des niveaux d’entrées semblables à ceux observés à partir de la rentrée 2019".
Malgré plusieurs réformes, le quinquennat qui s’achève ne s’est pas non plus traduit par une "amélioration notable de l’efficacité du marché du travail", note l’OFCE. Car si le taux de chômage a bien baissé, le taux d’emplois vacants a doublé passant de 1 à 2,3%, ce qui témoigne de tensions sur le marché avec une inadéquation entre les compétences de la main-d’œuvre disponible et celles recherchées par les employeurs.
Il faut enfin rappeler que l’emploi a dépassé son niveau d’avant la crise sanitaire plus tôt que le PIB n’a dépassé le sien. En d’autres termes, l’activité a augmenté moins vite que l’emploi salarié depuis la fin 2019. Ce qui suppose un fléchissement temporaire de la productivité et une croissance moins riche en emplois à l’avenir.
Quels emplois?
Des centaines de milliers de chômeurs en moins et un million d'emplois en plus… Le bilan quantitatif du quinquennat en matière d’emploi est globalement positif. Encore faut-il que cette amélioration ne se fasse pas au détriment de la qualité de l’emploi. Or, l’exécutif a souvent été accusé de vouloir traiter le dossier du chômage quitte à favoriser la précarisation de l’emploi.
Si la part de l’activité réduite a augmenté au sein des effectifs des catégories ABC de Pôle emploi, passant de 37 à 42%, la part du temps partiel dans l’emploi total s’est établie à 17,6% fin 2021, soit deux points de moins qu’il y a cinq ans. De la même manière, le taux d’emploi à temps partiel des 15-64 ans est passé de 12,5% mi-2017 à 11,5% fin 2021, tandis que le taux d’emploi à temps complet a pris plus de trois points sur la période pour s’établir à 56,3%. A noter toutefois que les femmes sont toujours surreprésentées dans l’emploi à temps partiel (taux d’emploi de 17,4% contre 5,4% pour les hommes).
S’agissant de la nature du contrat, le CDI a gagné du terrain. Ainsi, le taux d’emploi des 15-64 ans en CDI est passé de 48,9% mi-2017 à 50,1% fin 2021. Le taux d’emploi en CDD ou en intérim est lui en légère baisse sur la période, de 7,2% à 6,9%. Il a en revanche tendance à augmenter depuis mi-2020, lorsqu’il n’était "que" de 5,7%. Et tend à se rapprocher de ses niveaux standards observés avant la crise sanitaire.
La situation du sous-emploi s’est aussi améliorée. Ce terme regroupe des personnes à temps partiel souhaitant travailler davantage et disponibles pour le faire. Au quatrième trimestre, ce sous-emploi représentait 4,7% de l’emploi des personnes de 15 ans et plus, soit deux points de moins qu’en 2017.
Le plein emploi n’est pas pour demain
Comparée à ses voisins, la France reste globalement à la traîne dans la lutte contre le chômage. Son taux de chômage reste encore aujourd’hui supérieur à celui de la moyenne de l’OCDE (5,3%) et de la zone euro (7%) où il a baissé de 2,1 points ces cinq dernières années, soit un recul de même ampleur que celui observé dans l’Hexagone.
La France reste particulièrement à la traîne de son voisin allemand dont le taux d’emploi est de neuf points supérieur et le taux de chômage de quatre points inférieur.
Le plein emploi atteint par certains de nos voisins est donc encore loin pour la France. Pas de quoi décourager Emmanuel Macron qui promet d’y parvenir en cas de second mandat: "L’objectif du plein emploi est atteignable", a assuré le président-candidat lors de la présentation de son programme à Aubervilliers jeudi. Et d’assurer qu’il suffira de faire "dans les 5 ans qui viennent ce que nous avons fait dans les 5 ans qui viennent de s’écouler" pour relever le défi.