Pourquoi l'amélioration sur le front de l'emploi en France ne va probablement pas durer

Tous les voyants sont au vert sur le front de l'emploi. Alors que les prévisionnistes tablaient initialement sur un taux de chômage en France compris entre 10,5 et 11% fin 2021, il s'est finalement établi à 8,1% de la population active au troisième trimestre. Soit le même niveau que sur les trois derniers mois de 2019, avant la crise sanitaire.
Mieux encore, le taux d'emploi, c'est-à-dire la part de la population en âge de travailler (15-64ans) qui occupe un emploi, a atteint 67,5% au 3e trimestre. Du jamais vu depuis 1975. Et l'emploi salarié privé qui avait retrouvé son niveau d'avant-crise dès le deuxième trimestre a fini par le dépasser fin septembre avec 185.600 emplois supplémentaires (+0,9%) par rapport à la fin 2019.
Aussi encourageants soient-ils, ces chiffres interrogent. Car si la France compte d'avantage d'emplois qu'avant la crise, le PIB, lui, a retrouvé son niveau de 2019 sans pour autant le dépasser: "Ce qui est très étonnant aujourd'hui, c'est qu'on est à peine revenu au niveau d'activité d'avant-crise et on a 185.000 emplois supplémentaires. Cela veut dire qu'aujourd'hui, il nous faut plus de personnes pour produire la même chose qu'il y a deux ans", résume sur BFM Business Eric Heyer, directeur du département Analyse et prévision à l'OFCE, précisant que cette situation ne s'observe nulle part ailleurs.
Or, "on devrait avoir besoin de moins de personnes (pour produire autant, ndlr) puisqu'on a des gains de productivité d'à peu près 0,8% par an. On aurait dû détruire 300.000 emplois et on en a 185.000 de plus", poursuit-il. Ces gains de productivité associés aux emplois supplémentaires auraient donc dû permettre à l'activité française d'être "aujourd'hui à peu près 2,5 points au-dessus du niveau d'avant-crise", estime encore l'économiste.
Baisse de la productivité ou rétention de main-d'oeuvre?
Alors, comment expliquer que la France ne produise pas davantage qu'en 2019 avec plus de main-d'oeuvre? Selon Eric Heyer, deux lectures sont possibles. L'une particulièrement négative: l'Hexagone fait face à une baisse de productivité. "Si c'est cela, c'est une catastrophe. Cela veut dire qu'il y a une perte de compétitivité et qu'il va falloir baisser les salaires", détaille-t-il.
L'autre lecture, plus probable, est que les entreprises ont fait de la rétention de main-d'oeuvre pendant la crise: "Elles ont gardé leurs salariés, dans un premier temps parce qu'elles étaient aidées par l'activité partielle et aujourd'hui parce qu'elles savent qu'il va y avoir une reprise. Elles se disent: 'Ca va repartir. A quoi bon licencier maintenant pour devoir recruter dans six mois?'", explique Eric Heyer.
Mais derrière cette hypothèse se cache aussi une mauvaise nouvelle selon lui: la croissance 2022 estimée à plus de 4% risque de ne pas être "riche en emplois". "On va créer très peu d'emplois. Les entreprises vont utiliser cette rétention de main-d'oeuvre pour produire, donc le chômage va arrêter de baisser parce qu'on va créer moins d'emplois", prédit le directeur du département Analyse et prévision de l'OFCE. Les chiffres de l'Insee du troisième trimestre tendent d'ailleurs à confirmer cette hypothèse puisque l'emploi salarié privé n'a progressé que de 0,5% malgré une croissance de 3%.