ÉDITO. Discrimination positive: arrêtons de penser que les États-Unis sont nos amis

Cette lettre a été perçue comme une forme d’humiliation d’une Amérique qui voudrait nous dicter notre ligne de conduite. Une énième provocation de Washington, de la part de ceux que nous pensions être des amis et qui nous bousculent sans égard depuis l'élection de Donald Trump. Cette analyse passe, selon moi, à côté de quelques éléments importants.
D’abord, il faut arrêter de penser que les États-Unis sont nos amis. Les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts. L’Amérique applique cette règle de base de la géopolitique avec une rigueur toute militaire.
Notamment avec le dollar, qui est une arme de domination massive. Les États-Unis n’ont pas besoin de chars pour imposer leur loi: toute transaction en billet vert tombe sous le coup de la juridiction américaine.
Des sanctions massives
L’extraterritorialité de leurs lois est une machine de guerre, qu'elles passent par la fiscalité (FATCA), la lutte anti-corruption (FCPA), ou encore les sanctions économiques comme les embargos, par exemple.
La France en a d'ailleurs fait les frais, notamment sous Barack Obama. Les attaques contre la France étaient alors beaucoup plus violentes que la lettre que vient d'envoyer l'ambassade des États-Unis. Entre 2010 et 2018, plus de 10 milliards de dollars d’amendes ont été infligés par la justice américaine aux entreprises françaises, même quand elles n’avaient rien à voir avec les États-Unis. Souvenez-vous: il y a dix ans, BNP Paribas a payé 9 milliards pour avoir financé des transactions en dollars en Iran, au Soudan et à Cuba.
Une sanction qui a coïncidé, comme par magie, avec le rachat d’Alstom par General Electric. Souvenez-vous de ce cadre d’Alstom emprisonné deux ans aux États-Unis et relâché juste au moment où le deal était conclu.
C'est pour mettre un terme à ces amendes que la loi Sapin 2 a été votée en 2016. Jusqu'alors, les Américains avaient des fonctionnaires du Department of Justice (DOJ) dans de nombreuses tours de la Défense.
Des “monitors” grassement payés par les entreprises françaises, qui devaient s’assurer que les procédures anti-corruption étaient bien mises en place et qui transmettaient tous les documents qu’ils recevaient aux États-Unis. Une catastrophe en termes d’intelligence économique et un scandale pour notre souveraineté nationale.
Un non-événement
Tous ces épisodes doivent nous rappeler que l’Amérique n’hésite jamais à frapper ses alliés là où ça fait mal. L’histoire le prouve. Alors, cette lettre de l’ambassade est un non-événement. D'ailleurs, les quelques groupes français qui ont reçu la lettre ne sont pas très inquiets.
Pour plusieurs raisons: la première étant que la France n’applique pas de quotas ou de discrimination positive. Aucune entreprise française n’impose d’embaucher un Noir, un Asiatique ou un Latino à un poste donné.
Le seul sujet d'inquiétude porte sur la féminisation des entreprises. Mais il suffit de dire qu'il n'y a pas de quotas –même en les appliquant de manière informelle– pour passer sous les radars de l'administration. A priori, rien ne va changer. Parce que notre intérêt est bien évidemment de continuer à faire le maximum de business avec les États-Unis. Et que les États-Unis ont aussi tout intérêt à commercer avec nous.
Logiques différentes
Un dernier point sur l'extraterritorialité. Vendredi, Bercy a réagi en indiquant que la lettre de l'ambassade américaine était "le reflet des valeurs du nouveau gouvernement américain, mais ne sont pas les nôtres".
"Le ministre le rappellera à ses homologues au sein du gouvernement américain", insiste l'entourage du ministre.
La même critique que l'on entend ailleurs dans le monde, en Afrique notamment, à l'égard des entreprises tricolores qui, en vertu de la CSRD et de la CS3D, réclament la mise en place de politiques RSE chez leurs sous-traitants. Des entreprises qui, du coup, se tournent vers d'autres nationalités, comme les grands donneurs chinois, par exemple.
La logique est la même que celle des Américains. La grande différence, c'est que nous le faisons pour le bien... évidemment.