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Salaires, finances publiques, industrie: les défis qui attendent le nouveau ministre de l'Économie

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Travail, politique industrielle, et comptes publics seront très vite sur la table d'Antoine Armand, successeur de Bruno Le Maire.

Qui pour prendre la succession de Bruno Le Maire, resté sept années à Bercy? L'annonce est tombée ce samedi 21 septembre, avec la composition du gouvernement Barnier: c'est Antoine Armand qui prend les rênes de l'Économie, des Finances et de l'Industrie. À 33 ans, Antoine Armand n'a pour fait d'armes "que" l'Inspection générale des finances, et des travaux en tant que député de Haute-Savoie depuis 2022, notamment sur la sécurité énergétique.

Pourtant, il faudra faire preuve de sens politique et de compétence pour redresser la situation économique du pays, laissée bien mal en point par l'administration Le Maire: selon une note de l'OFCE (organe de recherche plutôt marqué au centre-gauche) publiée en avril, la dette, notamment, s'est stabilisée entre 2017 et 2020, avant de largement évoluer - et 31% de la hausse de la dette observée sur la période 2017-2023 est liée à des choix politiques, et non à une quelconque crise (pandémie ou crise énergétique).

"La hausse structurelle de la dette publique depuis 2017 est en grande partie attribuable à des mesures budgétaires non financées", rappelle l'OFCE.

Rétablir les finances publiques

Il faudra donc très vite s'atteler, pour le nouveau ministre de l'Économie, au rétablissement des comptes publics. Le déficit pour 2024 est déjà perdu -5,6% attendus a minima- mais Emmanuel Macron tend à espérer encore ramener ce chiffre sous les 3% à l'horizon 2027. La France est désormais placée en procédure de déficit excessif par Bruxelles, une procédure qui n'a pas jusqu'ici infligé de sanctions à un État-membre, mais qui signe le durcissement des rapports entre l'UE et Paris. La possible abrogation de la réforme des retraites - qui devait permettre d'économiser 10 milliards d'euros - pourrait encore aggraver la copie.

Le budget 2025 devrait acter un gel des crédits par rapport à 2024, proposition faite par Gabriel Attal et reprise, à peu de choses près, par Michel Barnier dans le "tiré à part" transmis aux responsables budgétaires de l'Assemblée. Le régalien (armée, justice) sortirait raffermi, l'écologie ou l'aide au développement amputés. Reste à négocier désormais des économies supplémentaires, annoncées par Bruno Le Maire, mais restées en suspens depuis la dissolution. À moins que de nouvelles recettes ne soient trouvées, après 40 milliards d'euros de baisse les deux dernières années.

Relancer la croissance

Corollaire de l'affermissement des comptes publics, la relance de la croissance devrait s'avérer un chantier tentaculaire pour le nouveau locataire de Bercy: la France a déjà acté 1 point de croissance cette année, ce qui correspond à ses objectifs pour 2024. L'Insee et la Banque de France prévoient désormais 1,1% pour l'année, grâce notamment à un fort rebond des exportations, inattendu mais salutaire pour la balance commerciale du pays.

Reste que pour redresser un déficit, le dynamisme devra être plus fort encore: et sans marge de manœuvre budgétaire, l'État ne pourra pas - ou ne voudra pas s'endetter pour le faire - investir lui-même. Les prévisions pour 2025 sont donc encore prudentes, autour là encore de 1,2%. La France, selon les dernières estimations de la Banque de France, démarrerait 2025 avec un "acquis de croissance" (qui mesure la dynamique) très faible, de 0,2% environ à peine. En Europe, l'Allemagne, actuellement à l'arrêt (+0,0%), tire le continent vers le bas.

C'est plutôt la baisse de l'inflation et le retour d'une politique monétaire expansionniste qui viendrait soutenir la consommation : cette dernière est stable et faible cette année (+0,6%), frappée par l'inflation. Les investissements des entreprises, eux, naviguent carrément en territoires négatifs (-0,7% selon, là encore, les prévisions de l'Insee). À charge du prochain gouvernement de relancer la machine.

Allier politique industrielle et transition

Les ristournes fiscales aux entreprises, accordées par Bruno Le Maire durant son mandat, n'auront en effet pas suffi à relancer les dépenses des entreprises, et à générer suffisamment de croissance pour équilibrer les pertes. Son successeur devra donc aussi mener la politique de réindustrialisation affichée par la France, notamment portée par le dispositif France 2030. Ce dernier est en perte de vitesse : sous-utilisé en 2023, il a vu ses crédits réduits - notamment pour la décarbonation qui a perdu 18% de ses crédits en 2024.

Pourtant, les États-Unis investissent lourdement dans les industries vertes en subventionnant les usines, et la Chine cherche à changer son modèle économique vers une spécialisation dans les industries vertes comme les panneaux, les voitures électriques et les batteries. L'Europe et la France sont donc sommés de réagir, et l'ont en partie fait via des lois à Bruxelles (Chips Act pour les puces, Net Zero Industry Act pour l'industrie verte, PIIEC pour les industries stratégiques).

Mais Paris devra insister pour allier stratégie industrielle et verdissement indispensable de l'économie : le secteur automobile est par exemple désormais plongé dans une crise, pris en étau selon le lobby des constructeurs ACEA entre l'arrivée de modèles chinois à bas coût, et de possibles amendes en 2025 du fait de l'arrivée de nouvelles normes d'émissions de CO2 plus sévères.

Mieux récompenser le travail

Enfin, dernier chantier majeur à Bercy, le travail. Les salaires ont progressé plus vite que l'inflation en France l'année dernière, mais restent mis sous pression. La fin de la "prime Macron" - n'étant plus défiscalisée, elle risque d'être très largement abandonnée par les entreprises - et l'inflation de ces deux dernières années ont et vont mettre à mal le pouvoir d'achat des Français.

En outre, si le chômage reste très bas, 7,3% au deuxième trimestre, et que les pénuries de main posent encore problème aux entreprises, le maintien de taux d'intérêt élevés et la croissance laborieuse pourraient aggraver la situation.

Surtout, c'est la rémunération du travail qui reste au centre des préoccupations. Gabriel Attal avait pour objectif de "désmicardiser" la France et le futur ministre de l'Économie devrait s'en inquiéter également: pour augmenter un revenu disponible de 100 euros, il faut aux patrons débourser jusqu'à 500 euros, ce qui maintient au salaire minimum beaucoup d'employés.

Dans une interview donnée au JDD, dès ce samedi 21 septembre, Antoine Armand a rappelé avoir porté "l'amorce d'un travail parlementaire" sur le "travail décent", s'inspirant d'une idée "mise en oeuvre par le groupe Michelin", qu'il assure emporter avec lui à Bercy. Le nouveau ministre a également estimé que "la lutte pour des salaires décents" faisait partie des sujets surlesquels le gouvernement pourrait travailler avec le Nouveau front populaire (NFP).

Le rapport commandé aux économistes Antoine Bozio et Etienne Wasmer, sur le sujet, pointe ces trappes à bas salaires, constituées par l'accumulation d'exonérations fiscales destinées à favoriser les embauches. Elles coûtent par ailleurs 80 milliards d'euros à l'État: de quoi réformer profondément le système pour s'adapter aux nouvelles donnes du marché du travail. Bercy pourrait aussi choisir de réformer la fiscalité du capital, plutôt que du travail : une réforme de la flat tax d'Emmanuel Macron est sur la table pour réaliser des économies.

Valentin Grille