TOUT COMPRENDRE. "Le transport sanitaire est passé en 5 ans de 40 à 85% de mon chiffre d'affaires": pourquoi la mobilisation des taxis se durcit

Depuis lundi, plusieurs milliers de taxis manifestent en France contre les nouvelles conditions du transport sanitaire et la concurrence des VTC. A Pau (Pyrénées-Atlantiques), devenu un des centres de la mobilisation parce que c'est la ville du Premier ministre François Bayrou, des centaines de taxis, 100 selon la police, étaient encore mobilisés jeudi matin, selon Stéphane Abeilhou, l'un des représentants des taxis venus d'Occitanie. Ils aimeraient d'ailleurs rencontrer le chef du gouvernement :
"Si le Premier ministre ne souhaite pas de débordement, il doit nous recevoir, sinon il en sera comptable", a lancé Stéphane Abeilhou.
A Paris, plusieurs centaines de taxis venus de toute la France bloquaient toujours le boulevard Raspail, près du ministère des Transports, a indiqué l'association Elite Taxi, qui défend les intérêts de la profession. Et un barrage filtrant a été mis en place à l'entrée de l'aéroport Charles-de-Gaulle par une vingtaine de taxis, selon un des organisateurs.
• En quoi consiste le projet de nouvelle tarification imposée par l'Assurance maladie?
Les taxis ont manifesté à sept reprises ces derniers mois pour exprimer leur inquiétude sur ce projet. La nouvelle tarification, approuvée vendredi dernier par le gouvernement, doit entrer en vigueur le 1er octobre, selon l'Assurance maladie. L'objectif est de contrôler la croissance de la dépense de transports sanitaires, qui s'est élevée à 6,74 milliards d'euros en 2024, dont 3,07 milliards pour les taxis conventionnés (+45% depuis 2019). Les taxis seront rémunérés sur la base d'un forfait de prise en charge et d'une tarification kilométrique alignée sur le tarif fixé dans chaque département.
"La nouvelle tarification sera favorable aux taxis conventionnés dans deux tiers des départements, notamment ruraux", avait assuré Marguerite Cazeneuve, n°2 de l'Assurance Maladie, en présentant la réforme la semaine dernière.
Dans le tiers restant, la Caisse nationale d'Assurance maladie veut notamment éviter que les taxis fassent du transport à vide, coûteux, via une coordination avec les hôpitaux pour grouper des patients sur des trajets proches. L'activité de transport sanitaire représente aujourd'hui plus de 50% du chiffre d’affaires des quelque 40.000 taxis conventionnés par l'Assurance maladie, et peut atteindre 80% du chiffre d'affaires, voire davantage pour certains d'entre eux, selon l'Assurance maladie.
"Pour moi le transport sanitaire c'est 85% de mon chiffre d'affaires environ, reconnaît Stéphane, chauffeur de taxi à Colmar. Avant le Covid c'était de l'ordre de 40%."
Ce chauffeur fait surtout de la longue distance entre Colmar et Strasbourg (73 km), ce qui lui rapporte environ 240 euros pour l'aller-retour. Avec la nouvelle convention cette somme pourrait être divisée par deux.
Certains taxis reconnaissent cependant qu'il peut y avoir des abus de la part des patients ainsi que du corps médical qui auraient la main lourde sur l'usage des taxis.
"Je dirais qu'environ 15 à 20% de mes patients transportés pourraient prendre un autre moyen de transport", estime un chauffeur de taxi parisien qui veut rester anonyme.
Les dépenses de transport sanitaire ont cru de 4,4% par an en moyenne depuis 2016, selon la même source. Les taxis représentent la moitié de ces dépenses, le reste revenant aux ambulances et aux véhicules sanitaires légers. Le secteur des taxis se dit prêt à discuter, notamment du transport partagé et de "l'optimisation des coûts". Mais il demande le gel du projet actuel, selon lui défini unilatéralement, ne prenant pas en compte par exemple les variations des temps de trajet.
• Comment évolue la mobilisation depuis lundi?
Durant la seule journée de lundi, plusieurs milliers de taxis ont manifesté à travers la France, à Pau, Amiens, Paris ou Bastia. Dans la capitale, grosses berlines, SUV et autres taxis "en colère" ont bloqué à grand renfort de klaxons et fumigènes le boulevard Raspail et des rues adjacentes, au sein du quartier très central du ministère des Transports.
Dans la capitale, la présidente de la FNDT Emmanuelle Cordier revendiquait 3.000 manifestants contre près d'un millier selon la préfecture de police qui a également fait état de 64 interpellations. Au niveau national, la police a recensé 65 actions mobilisant 7.500 taxis. Après quelques pneus brûlés, de brèves échauffourées ont eu lieu en fin d'après-midi sur le boulevard Raspail avec les CRS, suivies de tirs de gaz lacrymogènes. Des représentants des taxis ont été reçus par les cabinets de leurs différents ministères de tutelle, a indiqué le ministère des Transports, sans avancées selon la FNDT.
A Bastia (Haute-Corse), la sortie du port de commerce a été bloquée, selon la police. A Amiens, les taxis ont causé des ralentissements au nord de la ville, selon la préfecture de la Somme. Et à Montpellier, deux convois ont mené des opérations escargot. Mardi, quelque 250 taxis, selon la police, se sont à nouveau mobilisés dans les Bouches-du-Rhône pour le deuxième jour consécutif.
Mercredi, Marseille, Paris et Pau étaient toujours le théâtre de manifestation de plusieurs centaines de taxis "en colère". Dans la capitale, entre concerts de klaxons et feux d'artifice sous la pluie, plusieurs centaines de taxis venus de toute la France bloquaient toujours le boulevard Raspail, près du ministère des Transports. A l'aéroport d'Orly, des taxis ont bloqué des accès secondaires à la plateforme durant une quinzaine de minutes, les axes principaux étant contrôlés par les forces de l'ordre, a indiqué la police.
A Pau, les taxis indiquaient mercredi avoir reconduit leur préavis de grève "de façon illimitée", selon Baptiste Ondarts, vice-président d’un syndicat local de taxis. Après être allés devant la maison du Premier ministre François Bayrou, ils envisagent "de s’inviter dans des évènements et des rendez-vous institutionnels à Pau". Du côté de Marseille, des files ininterrompues de dizaines de taxis bloquaient dans le calme un des principaux axes du centre-ville, l’avenue du Prado, engendrant de grosses difficultés de circulation mais dans le calme.
• Pourquoi les taxis ciblent aussi les VTC?
De nombreux taxis manifestent aussi contre la concurrence des véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC), coordonnés par des plateformes comme Uber ou Bolt, et demandent l'application des lois limitant l'activité des VTC. La FNDT appelle aussi à manifester contre "l'impunité" accordée aux plateformes numériques de VTC, "qui encouragent leurs chauffeurs à enfreindre les réglementations" (prise de clients sur la voie publique, etc.) et "optimisent fiscalement leurs activités en France".
Mardi à Marseille, un chauffeur VTC avait été la cible de jets d’œufs, avant de foncer sur des chauffeurs de taxis, en blessant deux d'entre eux. "Viens, viens, on va s'expliquer", lançaient aussi mardi des manifestants à des chauffeurs VTC se retrouvant dans des rues donnant sur la manifestation parisienne.
La plateforme de VTC Uber a appelé au calme mercredi en regrettant l'agression physique de quatre chauffeurs lundi, à Paris, Grenoble et Marseille, "incluant des menaces avec une arme à feu, un taser et même avec utilisation d’une bombe lacrymogène". "Les réglementations VTC et taxi sont claires, et chacun doit pouvoir exercer son activité sereinement dans le respect de la loi sans être la cible d’intimidations", a souligné dans un communiqué Laureline Serieys, directrice d'Uber en France.
"Nous appelons à une désescalade des tensions et au respect de la liberté de chacun".
• Quelle est la réponse du gouvernement?
Mardi, la ministre de la Santé Catherine Vautrin a jugé "logique" de chercher à maîtriser la croissance des dépenses de transports sanitaires. "Il est important que nos concitoyens quand ils en ont besoin puissent être transportés", mais "les dépenses de transports sanitaires ont une courbe d'augmentation très importante" et représentaient en 2023 6,3 milliards dans le budget de la santé, a-t-elle indiqué.
"Donc il est logique que nous puissions regarder comment on peut travailler avec les taxis, de façon à ce qu'on puisse à la fois maitriser la dépense et rendre le service autant que de besoin."
Les économies attendues du nouveau système de tarification "représentent à peu près 150 millions d'euros", a ajouté la ministre de la Santé, en rappelant qu'il s'agissait d'unifier la tarification des taxis sur le territoire, et aussi notamment "d'optimiser les retours à vide". Elle a également promis "d'autres discussions" avec les transporteurs : "6,3 milliards c'est un budget important qui mérite qu'on discute".
Le lendemain, le ministère des Transports a proposé un contrôle renforcé des véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC). Le ministère propose de demander aux préfets un "renforcement des contrôles contre la fraude visant notamment l’exercice illégal d’activité, les maraudes et les racolages illégaux". Ces contrôles renforcés s’appuieront notamment sur "l’expérimentation en cours depuis avril de nouvelles amendes forfaitaires délictuelles (jusqu’à 1.000 euros), qui permettent de simplifier et d’accélérer les sanctions contre les fraudeurs, précise le ministère.
Le ministère a aussi proposé mercredi de lutter contre "le système abusif de rattachement de certains VTC à des gestionnaires de flottes, favorisant l’activité de faux professionnels ainsi que la fraude fiscale et sociale". Le ministre des Transports a indiqué avoir prévu de rencontrer les plateformes de VTC dans les prochains jours à ce sujet. Il propose également de mieux réguler l’accès à la profession de chauffeur VTC, par "une révision de la voie d’accès dite par équivalence", qui bénéficie aux personnes ayant déjà un an d'expérience dans le transport de personnes.