Un tableau "ni noir, ni rose": ces 5 signes qui montrent que l'économie française résiste malgré tout

Des finances publiques à la dérive, des plans sociaux et fermetures d'usines qui augmentent, un climat politique et géopolitique incertain qui incite les investisseurs à la prudence... Pas de doute, c'est une fin d'année maussade qui s'annonce pour l'économie française.
L'Insee l'a confirmé récemment en prédisant une activité tricolore tournant au ralenti au 4e trimestre, avec une croissance nulle. Mais malgré le pessimisme ambiant, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, appelle à ne pas céder au catastrophisme.
"L'économie française confirme, mois après mois, une certaine résistance, une certaine résilience", a-t-il affirmé sur France Inter mi-novembre.
Car sans ignorer les indicateurs les plus inquiétants, certains signaux viennent nuancer le constat d'une économie en panne sèche. Le tableau est certes loin d'être idyllique, mais il n'est pas aussi sombre que certains le pensent, comme le résume François Villeroy de Galhau: "L'économie française n'est ni noire -comme tout le monde a tendance à le dire aujourd'hui- ni rose". Du moins, pour le moment.
• La France échappe à la récession
Commençons par dire que la croissance nulle attendue au 4e trimestre doit être relativisée puisqu'elle illustre surtout le contrecoup de "l'effet JO" qui avait boosté le PIB entre juillet et septembre (+0,4%). Au final sur l'année 2024, l'activité progresserait de 0,8 à 1,1%, selon les différentes projections, comme en 2023 (+0,9%). C'est certes peu, mais largement suffisant pour que la France échappe à la récession.
Cette croissance "molle" à laquelle la France a été abonnée entre 2012 et 2017 est finalement "peu ou prou alignée avec celles des autres pays du cœur de l'Europe", observe Christopher Dembik, économiste et conseiller en stratégie d'investissement chez Pictet Asset Management. L'Hexagone fait même mieux que l'Allemagne qui, en route pour une deuxième année consécutive en récession, pourrait presque envier la "performance" tricolore.
Si la France ne s'en sort pas si mal, c'est notamment parce que son économie dépend davantage de son marché intérieur et est donc moins exposée aux turbulences de l'économie mondiale. "Le poids de son industrie (dans le PIB) est aussi moins fort" que dans d'autres pays à l'heure où "l'industrie européenne subit de plein fouet une crise de compétitivité", souligne Eric Dor, directeur des études économiques à l'IESEG School of Management. Dans le contexte actuel, "ces facteurs qui sont plutôt des facteurs de faiblesse en temps normal deviennent des facteurs de résistance", ajoute l'économiste.
• Une industrie qui résiste "globalement"
Cette résilience de l'économie française ne doit pas masquer les plans sociaux et fermetures d'usines annoncés depuis quelques semaines, y compris par de grands groupes. Derniers exemples en date: Michelin, qui a décidé la fermeture de deux usines dans l'Hexagone, et Auchan qui entend tailler dans ses effectifs.
Mais dans les deux cas, "ce n'est pas un problème de conjoncture", indique Christopher Dembik pour qui "le contexte conjoncturel n'est pas idéal, mais on a connu bien pire".
Le fabricant de pneumatiques paye surtout le manque de compétitivité à l'échelle de l'Europe, quand Auchan pâtit de difficultés structurelles, le distributeur n'étant pas parvenu à adapter son modèle obsolète centré sur les hypermarchés.
Dans l'industrie, la situation est loin d'être homogène. Certaines entreprises du secteur manufacturier rencontrent d'importantes difficultés, "mais c'est un phénomène mondial" qui n'est pas propre à l'économie française, note Christopher Dembik. Dans sa dernière enquête, la Banque de France remarque surtout qu'"une des bonnes surprises (...) est que l'industrie, globalement," a résisté "relativement bien" en octobre, expliquait François Villeroy de Galhau.
"Par exemple, l'aéronautique, que l’on pensait sinistrée au moment du Covid, est un secteur qui va bien aujourd'hui. L'agroalimentaire est un secteur qui repart", s'est félicité le gouverneur de la Banque de France.
Reste que les défaillances d'entreprises ont bondi de plus de 20% en octobre sur douze mois cumulés. Mais là-encore, attention aux conclusions trop hâtives puisque cette recrudescence est avant tout le signe d'un rattrapage alors que le nombre de défaillances s'était écroulé pendant les années Covid en raison des aides importantes reçues par les entreprises, à commencer par les "zombies".
• Un taux d'emploi record
Après plusieurs trimestres de nette augmentation en 2021 et 2022, l'emploi s'est dégradé au 3e trimestre, avec 17.700 destructions nettes d'emplois comptabilisées par l'Insee. Sur la même période, le taux de chômage a légèrement progressé pour atteindre 7,4% et pourrait s'approcher des 8% fin 2025, selon les prévisionnistes. Le signe d'un retournement de conjoncture?
"Je ne crois pas que ce soit l’économie française qui se retourne, c’est le marché du travail", analyse sur BFM Business Eric Heyer, directeur du département analyse et prévision à l'OFCE.
Comme pour les défaillances d'entreprises, la dégradation du marché de l'emploi semble essentiellement traduire un retour à la normale après des années Covid pendant lesquelles les entreprises ont bénéficié d'un soutien massif pour préserver l'emploi ( chômage partiel, prêts garantis par l'État, aides à l'apprentissage...). Grâce à ces aides, nombreuses entreprises anticipant un rebond de l'activité au sortir de la pandémie ont pu conserver leur main-d'œuvre et même parfois embaucher.
"Les entreprises n'ont pas licencié comme elles le font d'habitude pendant un choc, c'était une anomalie", décrypte Christopher Dembik.
Maintenant que la croissance française a retrouvé un rythme modeste et que les dispositifs de soutien ont disparu, les entreprises "ajustent l'emploi, ce qui est complètement logique", indique Eric Heyer. Et d'ajouter: "Ce n'est pas tellement le fait qu'on va détruire des emplois qui paraît incroyable, c'est qu'on en ait créés autant avant. (...) On a créé 6,5% d’emplois depuis le début de la crise Covid pour uniquement 5% de croissance économique dans le secteur privé". "Donc on réajuste", ce qui conduira à "150.000 destructions d'emplois l'année prochaine et un taux de chômage à 8%", selon l'économiste de l'OFCE.
Dans la même logique, les embauches reculent selon les données de l'Urssaf, tout en restant encore au-dessus de leur niveau d'avant-Covid. Mais pour Christopher Dembik, le "meilleur baromètre du marché de l'emploi, plus que le taux de chômage," reste le taux d'emploi. Or, cet indicateur qui rapporte le nombre de personnes en emploi à la population totale des 15-64 ans au troisième trimestre a atteint un niveau record au troisième trimestre, à 69,1%.
• Une consommation qui reste solide
Élément essentiel à la bonne santé de l'économie française, la consommation des ménages, sans atteindre des sommets, "reste robuste vu les circonstances" grâce à un "pouvoir d'achat qui a été relativement soutenu", estime Eric Dor. En dépit de l'inflation, le pouvoir d'achat des ménages, soutenu par les aides de l'État et par l'amélioration de l'emploi, a en effet rebondi de 0,3% en 2023, après avoir baissé en 2022. Ce même pouvoir d'achat devrait progresser de 1,3% en 2024, maintenant que "l'épisode inflationniste est terminé", observe l'Insee (+1,2% en octobre).
Les seuls salariés ont été moins bien lotis. Leur pouvoir d'achat s'est érodé ces deux dernières années, les revalorisations ayant été globalement moins importantes que l'inflation. Mais la tendance s'est inversée en 2024, l'Insee tablant sur une hausse du salaire moyen par tête réel de 0,9%.
Le retour à la normale du marché du travail depuis quelques mois avec des suppressions d'emplois se traduit en outre par des gains de productivité, ce qui laisse supposer que les entreprises pourront dans les prochains mois continuer d'"augmenter les salariés plus que l'inflation, sans détériorer leurs marges", souligne Eric Heyer.
• Les marchés font toujours confiance à la France
Malgré un dérapage inédit des finances publiques et le manque de réformes structurelles, les agences de notation continuent de se montrer clémentes envers la France. En octobre, Fitch et Moody's ont maintenu la note qu'elles attribuent à la dette tricolore, se contentant de dégrader sa perspective.
Une indulgence qui tient aux caractéristiques de l'économie française "assez bien diversifiée et fortement dépendante à son marché intérieur", selon Eric Dor. "Quand on discute avec les investisseurs étrangers, il n'y a pas de sentiment de panique. La France arrive parfaitement à se financer", complète Christopher Dembik.
Pour l'économiste, "il y a un sentiment de psychodrame en France alors que pour les investisseurs étrangers c'est Business as usal: ils savent que c'est difficile de faire des réformes structurelles en France".
• Et après?
Reste à savoir si la France peut conserver sa capacité de résilience encore longtemps. Car si "le diagnostic de François Villeroy de Galhau est correct, il ne faut pas qu'on s'abrite derrière ça pour ne pas assainir les finances publiques car on ne sait pas encore très bien de quel côté le bateau peut pencher", met en garde Eric Dor.
À très court terme, Christopher Dembik s'inquiète des effets récessifs du Budget 2025. En l'état, le texte "prévoit une hausse de la fiscalité directe et indirecte", rappelle-t-il. Ce qui pourrait coûter quelques dixièmes de points de croissance, selon lui et ce pendant "plusieurs années".
Autre élément susceptible d'assombrir l'horizon: l'instabilité politique. Le dernier baromètre d'EY publié cette semaine faisait déjà état d'une perte d'attractivité de la France aux yeux des investisseurs depuis la dissolution. Mais que se passerait-il en cas de censure du gouvernement à l'issue des discussions budgétaires? Si Edouard Philippe s'inquiète d'une "crise financière" en cas de chute du gouvernement Barnier, Christopher Dembik estime que ce risque est faible, "entre 0 et 10%". Mais "s'il y a un blocage complet, tôt ou tard les marchés vont réagir. C'est ça le danger", prévient Eric Dor qui craint une envolée du spread, l'écart entre les taux auxquels se financent la France et l'Allemagne.
Ajoutés à cela, le contexte géopolitique et la crainte d'une guerre commerciale avec l'arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche qui pourrait affaiblir un certain nombre d'entreprises. Autant d'éléments qui expliquent que l'indicateur d'incertitude mesuré par la Banque de France auprès des chefs d'entreprise "demeure relativement élevé dans tous les secteurs".