"Un long parcours solitaire": des économistes alertent sur les dangers d'un gouvernement RN

La polarisation de la campagne des législatives atteint aussi le monde des économistes. Depuis la dissolution de l'Assemblée nationale et les élections anticipées, de nombreux spécialistes prennent position en faveur d'un camp ou d'un autre. Et après le premier tour, c'est désormais le Rassemblement national qui est clairement ciblé.
Dans une tribune, publiée dans Les Échos, mardi 2 juillet, Philippe Aghion, professeur au Collège de France et proche d'Emmanuel Macron, Jean Pisani-Ferry, économiste également proche du président, et Alexandra Roulet, lauréate du prix du meilleur jeune économiste en 2024, alertent sur les périls économiques d'un gouvernement d'extrême droite.
S'ils estiment toujours que le modèle défendu par la gauche est "aventureux et dommageable", "le deuxième tour impose des choix tranchés", soulignent-ils, mettant en avant une balance de risques en faveur du NFP.
"Avec le NFP, nous risquons de nous faire rappeler à l’ordre par l’UE et par les marchés. Ce serait humiliant et coûteux, pas tragique", exposent les économistes, arguant que l'alliance de gauche, ne disposant pas de majorité absolue au Parlement, serait contrainte d'amender son projet.
En revanche, l'ascension du RN au pouvoir pourrait, selon eux, engendrer divers problèmes économiques. Parmi les scénarios redoutés, on trouve une baisse de l'attractivité, des difficultés dans certains secteurs dues à l'expulsion des travailleurs sans papiers, et une récession provoquée par ce bouleversement électoral.
La crainte d'un affranchissement vis-à-vis de l'Europe est également évoquée: "Avec le RN, nous risquons de nous engager dans un long parcours solitaire, et de détruire méthodiquement les solidarités internationales que nous avons patiemment construites au fil des ans. Parce qu’elle ne pourra pas obtenir de résultats, une Europe entravée risque de ne pas survivre. Comment ne pas voir le coût économique que cela représenterait?"
Des économistes en soutien de la gauche
Cette tribune, qui vise directement le Rassemblement national, marque un revirement. En effet, avant le premier tour, deux blocs s'étaient constitués chacun défendant son camp avec des tribunes mais aussi des échanges sur les réseaux sociaux.
À gauche, le programme économique du Nouveau Front populaire a reçu le soutien de Julia Cagé, lauréate du prix du meilleur jeune économiste en 2023, de Thomas Piketty, ou encore de Michaël Zemmour. Celui-ci repose sur une politique de relance de la demande de 150 milliards d'euros d'ici 2027, dont le financement s'appuie sur la taxation des ultra-riches notamment. Le spécialiste de la question, Gabriel Zucman a également signé une tribune de soutien, où apparaissent d'autres figures telles qu'Anne-Laure Delatte, chercheuse au CNRS.
Présentée comme un appui important au programme de la coalition de gauche, la prix Nobel d'économie, Esther Duflo, a déclaré auprès de France Culture, ne l'avoir pas "validé en bloc" en raison de sa position de présidente "d’une école d’économie où les professeurs ont des choses très différentes à en dire".
Les soutiens au Rassemblement national étant quasi-inexistants dans la galaxie des économistes, le deuxième bloc s'était formé autour du programme défendu par la majorité sortante. Ceux-ci ont très vite renvoyé les propositions défendues par la gauche et l'extrême droite dos-à-dos, présentant Emmanuel Macron comme la seule alternative crédible.
"Les programmes du Nouveau Front populaire et du RN sont irréalistes. Il faut rester au centre", plaidait ainsi Philippe Aghion, dans Les Échos, le 21 juin dernier. Ce proche du président réitérait avec véhémence quelques jours plus tard, toujours dans les colonnes du quotidien:
"Je suis atterré de voir certains de mes collègues économistes utiliser leur nom et leur notoriété pour cautionner le programme économique du Nouveau Front populaire."
D'autres, comme Olivier Blanchard, ancien économiste en chef du Fonds monétaire international et soutien d'Emmanuel Macron en 2017, sont allés plus loin, présentant le programme du RN comme "moins pire" que celui du NFP.
Reste qu'avec les résultats du premier tour des législatives, la donne a changé. La majorité présidentielle est désormais hors course et la coalition de gauche apparaît comme l'unique rempart face à l'arrivée de l'extrême droite au pouvoir.