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"Oui, c'est envisageable": la France pourrait-elle vraiment être mise sous tutelle après l'alerte du FMI?

Le ministère de l'Economie à Bercy, le 5 juin 2023

Le ministère de l'Economie à Bercy, le 5 juin 2023 - AFP

Longtemps impensable, l'hypothèse d'une mise sous tutelle de la France compte tenu du dérapage de sa dépense publique n'est plus totalement exclue par les experts à moyen ou long terme.

Les alertes sur l'état des finances publiques françaises se suivent et se ressemblent. Pour la énième fois en février, la Cour des comptes a mis en garde le gouvernement contre une dépense publique "en roue libre" plaçant la France "au pied du mur". Ce jeudi, c'est le Fonds monétaire internationaI qui est revenu à la charge en insistant sur la nécessité de prendre des "décisions difficiles" pour redresser les comptes de l'État.

Le gouvernement promet pourtant de revenir sur la voie du sérieux budgétaire en ramenant le déficit public sous les fameux 3% en 2029, contre 5,8% en 2024. Le problème, c'est que personne n'y croit. Ni la Commission européenne, ni la Cour des comptes qui jugent l'exécutif trop "optimiste". Ni même le FMI qui estime que sans nouvelles mesures "significatives", le déficit resterait autour des 6% du PIB et que la dette publique augmenterait jusqu'en 2030.

Mais la France peut-elle se payer le luxe de laisser ses comptes dériver encore longtemps?

"Dès que les investisseurs arrivent à la conclusion que le contrôle du budget n'est pas évident, ils se disent: on ne va peut-être pas être payés. Ils demandent alors une augmentation des taux d'intérêts", ce qui peut déclencher un mouvement de panique sur les marchés, avait mis en garde sur BFM Business Olivier Blanchard, ancien chef économiste du FMI.

L'ancien ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, agitait déjà ce spectre en 2024 en faisant planer la menace d'une possible "mise sous tutelle" de la France en cas d'arrivée au pouvoir du RN ou du NFP dont il jugeait les programmes trop dispendieux.

La BCE au secours de la France

Mais cette hypothèse d'une France sous la houlette d'un Fonds monétaire international est-elle plausible?

Le scénario d'une France "sous tutelle" est crédible "à moyen ou long terme" compte tenu de "l'incapacité des gouvernements quels qu'ils soient à réduire significativement la dépense publique", selon Christopher Dembik conseiller en stratégie d'investissement chez Pictet AM.

"Oui, c’est envisageable que le FMI débarque en France. J’espère, et je pense qu’on arrivera à un accord entre les partis (politiques), ou qu’un parti suffisamment fort y arrivera, pour qu’on évite cette case. Mais ce n’est pas impensable", confirmait sur notre antenne l'ex-chef économiste du FMI, Olivier Blanchard.

Pour Christopher Dembik, ce n'est toutefois pas le FMI qui viendrait toquer à la porte le premier "pour la simple et bonne raison que la Banque centrale européenne interviendrait avant et donc l'intervention du FMI ne serait pas utile".

La BCE avait déjà joué un rôle de premier plan lors de la crise des dettes souveraines au début des années 2010. Depuis, elle a renforcé son panel d'outils pour endiguer la panique sur les marchés en cas de nouvelles turbulences d'ampleur.

Remplaçant le SMP, le programme OMT (Opérations monétaires sur titres) créé en 2012 mais jamais dégainé lui permet par exemple de "racheter en quantité illimitée des obligations sur le marché secondaire" afin de réduire la pression sur les taux d'intérêt, relève Christopher Dembik.

En contrepartie, le pays concerné par ce programme doit négocier avec la Commission européenne et le Conseil européen ce que l'on appelle dans le jargon de l'UE un "plan d'ajustement budgétaire". Pour être plus clair: un plan d'austérité.

D'autres institutions comme le Fonds monétaire international ou le Parlement européen peuvent être associées aux discussions pour apporter un appui technique. Mais la contribution du FMI n'est pas toujours très appréciée du côté de Francfort. Déjà en 2010, l'ancien président de la BCE, Jean-Claude Trichet avait vécu comme une "humiliation" la participation de l'institution de Washington (défendue par l'Allemagne) au sauvetage de la Grèce: "Si le FMI (...) exerce à la place de l'Eurogroupe, à la place des gouvernements, leur responsabilité, c'est évidemment très très mauvais", avait-il jugé.

Un plan d'austérité "extrêmement douloureux"

Rassurons-nous, ce n'est pas demain que la BCE volera au secours de la France. Pour en arriver là, il faudrait "une volatilité extrêmement forte des taux de redements obligataires et une forte augmentation dans la durée", indique Christopher Dembik. La France étant too big too fail, il y aurait dans ce scénario "un risque de contagion à d'autres pays" si bien que la BCE "n'aurait pas d'autre choix" que d'intervenir, ajoute l'économiste.

Quid du plan d'austérité exigé en contrepartie? "Ce serait extrêmement douloureux et cela durerait plusieurs années, prévient d'emblée Christopher Dembik. On considérera certainement qu'il faudra aligner le ratio de dépense publique sur le PIB actuellement à 57% sur la moyenne européenne, soit une baisse d'environ dix points. C'est massif".

Cela passera aussi sans doute par une réforme des retraites avec un net relèvement de l'âge légal de départ "car le sujet de la dépense publique en France est avant tout un sujet de retraites qui constituent le premier poste de dépense publique", rappelle-t-il.

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La meilleure alternative serait de résoudre le problème de crédibilité de la France en matière de gestion des finances publiques. Mais "il y a un manque de volonté politique" doublé "d'un manque de consensus politique" depuis la dissolution, observe encore Chritsopher Dembik qui regrette l'enlisement des débats dès lors qu'il s'agit de "faire 15 à 20 milliards d'économies alors que c'est insuffisant".

C'est avant tout à ce jour le coussin de sécurité que représente la BCE qui permet encore à la France de ne pas être sanctionnée par les investisseurs. Mais sans la protection de Francfort et sans monnaie unique, le pays serait déjà sans doute "au bord" d'une intervention du FMI, prévient l'économiste.

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis Journaliste BFM Eco