Crise agricole: le vrai-faux sur le Ceta

Les éleveurs ont notamment peur de l'inondation du marché bovin français par la viande canadienne - Loïc Venance - AFP
Depuis près de deux semaines, plus d'une quinzaine de permanences de députés de la majorité ont été dégradées, murées, taguées ou ont vu du fumier et autres produits agricoles être déversés devant leurs portes. Les auteurs? Principalement les agriculteurs. Et ils assument parfaitement leurs actions. En cause? Le vote à l'Assemblée nationale le 23 juillet dernier du Ceta.
Les élus La République en Marche, dont les permanences ont été prises à partie ces derniers jours, ont en effet pour point commun d'avoir voté en faveur de cet accord de libre-échange en l'Union européenne et le Canada, qui prévoit notamment la suppression des droits de douanes pour 99% des produits échangés entre l’UE et le Canada. Un texte dont la négociation a débuté sous la présidence de Nicolas Sarkozy, et qui s'est poursuivie sous celle de François Hollande.
Ce traité fait en effet l'objet de vives critiques de la part du monde agricole. Ses détracteurs craignent principalement une concurrence déloyale des producteurs canadiens, qui ne sont pas soumis aux mêmes contraintes réglementaires que leurs homologues européens (farine animale, antibiotiques...). Les agriculteurs pointent aussi du doigt le risque de chute des prix avec l'arrivée massive de viande bovine d'outre-Atlantique sur le marché français et la qualité supposée moindre des produits. Petit décryptage des critiques adressées au Ceta.
- Une concurrence déloyale des producteurs canadiens?
C'est certainement l'inquiétude principale des agriculteurs opposés au Ceta, car la suppression des droits de douanes sur les produits importés du Canada les mettront en concurrence directe avec leurs homologues nord-américains. Or, ces derniers sont soumis à des règles de production moins strictes que les agriculteurs français, et l'Union européenne autorise l'importation de denrées produites avec des normes différentes de celles en vigueur sur son territoire.
Concernant les bovins, les éleveurs canadiens ont par exemple le droit d'utiliser des antibiotiques, considérés comme des activateurs de croissance par les éleveurs français. Selon le ministère de l'Agriculture, un règlement décidé par le Parlement et le Conseil européens, début 2019, "demande à la Commission de prendre des dispositions visant à interdire l'importation à partir de pays tiers qui continuent à autoriser les antibiotiques comme promoteurs de croissance." Ce texte ne devrait cependant entrer en vigueur... qu'en 2022.
- Des risques sanitaires ?
"Bientôt, les Français auront dans l'assiette. De la merde! (...) Et M. Castaner, il oublie un truc, c'est que c'est nous qui faisons à manger aux Français. Et nous, on fait de la qualité", a lancé un céréalier, Jean-François Lamassé, à BFMTV. Un coup de gueule qui témoigne d'une autre grande peur des agriculteurs concernant le Ceta.
Face aux normes de productions différentes en vigueur au Canada, ils pointent également du doigt les possibles soucis sanitaires que peuvent poser les importations massives et dédouanées en provenance du pays outre-Atlantique, où les normes sanitaires sont moins strictes qu'en France.
Au Canada, les éleveurs ont en effet le droit d'utiliser des farines animales - interdites en Europe au nom du principe de non-cannibalisme - pour nourrir leurs bêtes, ce qui a poussé les éleveurs français à s'alarmer sur un possible retour de la "vache folle" en Europe. Dans les colonnes du Monde, le ministère de l’Agriculture a cependant assuré que le risque de transmission de cette maladie était "nul" et que que Canadiens et Européens avaient "sécurisé leur circuit de distribution".
"Quand on parle de farines animales, on fait référence aux farines de ruminants, qui ont été à l'origine de la maladie de la vache folle", a affirmé le ministère, qui ajoute que ces produits sont également interdits au Canada. Les farines animales utilisées par le pays sont ainsi issues de volailles et de porcs. Mais pour Bruno Dufayet, le président de la Fédération nationale bovine qui s'est confié à l'AFP, "le risque de contamination croisée est toujours présent".
- Vers une guerre des prix sur la viande bovine?
Troisième grande préoccupation, principalement des éleveurs de vaches: l'inondation du marché bovin français par de la viande canadienne. Or, la taille des exploitations canadiennes, qui peuvent parfois regrouper plusieurs milliers ou plusieurs dizaines de milliers d'animaux, rend possibles de nombreuses économies dans la production. Les agriculteurs craignent donc de faire face à un déferlement de viande canadienne à prix cassés.
Il existe cependant des quotas. Le Ceta prévoit la possibilité pour le Canada d'exporter jusqu'à 65.000 tonnes de viande bovine par an vers l'Union européenne, qui en produit elle-même 400.000 chaque année.
"Cela peut ne pas paraître beaucoup. Mais il faut avoir en tête que ces importations concernent avant tout les pièces nobles, le secteur de l'aloyau, le plus rémunérateur. Or, ce marché pèse 400.000 tonnes en Europe. On voit donc bien qu'il va être fortement déstabilisé", expliquait à l'AFP Bruno Dufayet, qui craint que les Canadiens se positionnent sur cette filière particulièrement rémunératrice avec des bêtes au coût d'élevage beaucoup faible que les leurs.
Pour l'instant, l'inquiétude des éleveurs de boeufs français ne s'est cependant pas concrétisée. De nombreuses clauses du Ceta étant déjà entrées en vigueur depuis 2017 à titre provisoire, le ministère de l'Agriculture affirme que la France n'a importé que 119 tonnes (équivalent carcasses) de bovins canadiens en 2018. Au niveau de l'Europe, ce chiffre passe à 1000 tonnes et reste loin des 65.000 tonnes que les Canadiens sont désormais autorisés à exporter vers l'Union européenne (il correspond à environ 1,5% du quota).
La baisse et la suppression des droits de douane étant prévues de manière progressive sur cinq ans, il paraît cependant probable que les exportations de viande bovine en provenance du Canada montent en puissance.