Apple Stores: Steve Jobs a aussi révolutionné le commerce il y a 20 ans

L'Apple store de la Vème avenue de New York. - Pexels
"Si nous ne trouvons pas un moyen de transmettre notre message à nos consommateurs, nous sommes fichus." En 1999, alors qu'il a repris depuis deux ans les rênes d'Apple et relancé l'entreprise avec les iMac, Steve Jobs cherche un moyen de se distinguer des autres constructeurs informatiques.
Lui qui a mis au point le slogan "think different" sait qu'il y a un angle mort dans sa stratégie: la vente. A quoi bon concevoir de nouveaux iMac simples, colorés et performants s'ils sont vendus entre un Dell et un Compaq par des vendeurs informatiques qui ne font que réciter une liste de caractéristiques?
En bon "control freak", Steve Jobs veut donc lancer sa chaîne de magasins. Une idée qui paraît naturelle aujourd'hui mais qui ne l'est pas du tout à l'époque. Les chaînes de supermarchés et les magasins informatiques n'apprécient pas que leurs fournisseurs s'aventurent dans la vente directe. Ils pourraient sortir Apple de leurs rayons.
Mais Steve Jobs n'a que faire des Byte Shops, les magasins informatiques des années 90, et de leurs vendeurs motivés par leur prime de 50 dollars. Il veut ses propres boutiques et il les aura.
Steve Jobs veut faire l'inverse du commerce
Il passe ainsi l'année 1999 à visiter des centres commerciaux et à faire le tour des chaînes de grande distribution à la recherche de managers capables de mettre en forme sa vision. Après plusieurs entretiens infructueux, il jette son dévolu sur un certain Ron Johnson, vice-président du merchandising de la chaîne de supermarché Target connu à l'époque pour dégoter des produits originaux et plébiscités par les clients.
Lors de son second entretien en janvier 2000, Steve Jobs l'amène visiter un centre commercial voisin pour lui exposer son idée. Une vision à rebours des principes du commerce spécialisé d'alors. A l'époque les magasins informatiques -comme tous ceux d'équipement d'ailleurs- sont situés en périphérie des grandes villes où les loyers sont moins élevés. On considère à l'époque qu'un consommateur qui veut faire un achat important comme un ordinateur n'hésite pas à se rendre dans un lieu moins accessible.
Steve Jobs veut faire exactement l'inverse. Les Apple Stores doivent être dans des centres commerciaux fréquentés ou sur de grandes avenues passantes, peu importe le loyer. L'ordinateur doit devenir un achat d'impulsion, un produit désirable. Avec un objectif: convertir au Mac les acheteurs de PC.
"S'ils voient nos produits, leur curiosité sera éveillée, et si nous parvenons à créer un espace suffisamment attractif pour les appâter, un lieu où nos produits sont bien exposés, nous aurons gagné!", décrit Steve Jobs dans la biographie de Walter Isaacson.
Et pour cela, les magasins doivent être grands, très grands. "Apple est plus importante que Gap, nos magasins doivent donc être plus grands que ceux de Gap", estime Steve Jobs. Et tant pis si Apple à l'époque n'a qu'une poignée de produits à vendre (des iMac et des ordinateurs portables pour l'essentiel). Les magasins seront minimalistes, sobres et aérés.
Steve Jobs tient donc son Monsieur commerce avec Ron Johnson ainsi que son concept de grands magasins sobres dans des lieux passants... Problème: le conseil d'administration d'Apple ne veut pas en entendre parler. Tout le monde se souvient à l'époque de l'entreprise informatique Gateway qui a fait faillite quelques années plus tôt avec cette même stratégie.
Le PDG d'Apple ne se démonte et décide de créer dans un entrepôt un magasin témoin sur lequel il va travailler durant des mois en secret avec Ron Johnson. Terminaux de paiement mobiles, magasins organisés par besoin (vidéo, bureau, musique, photo...) plutôt que par produit, matériaux luxueux (bois, verre, grès de Florence...) et service personnalisé (le fameux Genius bar)... Début 2001, il fait visiter son magasin à des membres du conseil d'administration toujours sceotiques mais conquis par la beauté de la réalisation.
"Apple sert du caviar"
A la différence de la presse et des experts d'ailleurs, à qui Steve Jobs fait visiter son concept.
"Il est temps que le patron d'Apple cesse de penser "différent", estime ainsi un article du magazine de Business Week intitulé "Désolé Steve mais voici pourquoi les magasins Apple ne fonctionneront pas."
Dans ce même article, l'ancien directeur financier d'Apple n'est pas tendre avec son ex-employeur.
"Le problème d'Apple est qu'il croit toujours que la façon de réussir est de servir du caviar à ses clients alors qu'ils sont assez contents avec du fromage et des crackers", se moque Joseph Graziano.
Un consultant célèbre donne deux ans à Apple avant de faire marche arrière sur cette "coûteuse erreur".
Le premier Apple Store ouvre malgré tout le 19 mai 2001 au centre commercial Tysons Corner en Virginie.
Dans une vidéo restée célèbre, on peut y voir Steve Jobs le jour de l'inauguration faire le tour du magasin et y décrire par le menu les différents espaces.
Et le succès est immédiat. Alors que les magasins Gateway recevaient en moyenne 250 visiteurs par semaine, les Apple Stores en accueillent 5400 en moyenne en 2004. Des ventes sont enregistrées toutes les 4 minutes sur les terminaux de paiement et au bout de trois ans, ils réalisent 1,2 milliard de dollars de chiffre d'affaires.
Malgré le succès, Steve Jobs ne cesse d'améliorer le concept supervisant le moindre détail.
"Lors d'une réunion, Steve nous a fait plancher une demi-heure sur la teinte de gris idéale pour le sigle des toilettes", se rappelle le publicitaire Lee Clow dans la biographie de Walter Isaacson.
Steve Jobs envoie ses équipes à Florence en Italie pour sélectionner la teinte de grès idéale dans des carrières sélectionnées par le patron lui-même.
En 2002, les Genius Bars font leur apparition dans les boutiques, en 2006 c'est l'inauguration du plus célèbre Apple Store, la cathédrale de verre de la 5ème Avenue à New York. Ouvert 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, le magasin a accueilli près de 60 millions de visiteurs depuis son ouverture et est devenu un des "monuments" les plus photographiés de New York.
Aujourd'hui, Apple compte 512 magasins dans 25 pays du monde dont 20 en France.

34% du chiffre d'affaires réalisés en vente directe
Les magasins sont les plus rentables du monde au m² et Apple est devenu en 20 ans une des 10 plus grandes chaînes de distribution de la planète. En 2020, le groupe a réalisé 34% de son chiffre d'affaires en vente directe (magasin + site internet), soit plus de 93 milliards de dollars et compte 70.000 employés dans ses magasins.
Les Apple Stores aujourd'hui sont d'ailleurs plus que de simples magasins. Ils jouent le rôle d'ambassadeurs de la marque à la pomme, des lieux où les fans d'Apple se rassemblent le jour de la sortie d'un nouvel iPhone ou encore des "monuments" que l'on visite en vacance.
Après deux décennies de succès, l'actuel patron d'Apple s'interroge pourtant sur l'avenir de ses magasins. Depuis quatre ans, leur nombre plafonne à environ 500 et la concurrence du e-commerce interroge sur la pertinence d'avoir une présence physique aussi importante. Disney a d'ailleurs annoncé en début d'année qu'il comptait fermer 20% de ses boutiques dans le monde.
Pas de décision aussi radicale chez Apple, mais l'époque des ouvertures événementielles d'Apple Stores monumentaux est probablement passée. La marque a ainsi annoncé aux Etats-Unis un partenariat avec la chaîne de supermarchés Target (l'équivalent de Carrefour) pour ouvrir 17 mini-Apple stores. Des produits Apple vendus au milieu des chariots à côté des rayons alimentaires. Une image qui n'aurait peut-être pas plu à Steve Jobs...
