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737 MAX: 7 questions pour comprendre la crise historique que traverse Boeing

Des Boeing 737 MAX cloués au sol

Des Boeing 737 MAX cloués au sol - David Ryder / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Cloué au sol depuis mars 2019, le Boeing 737 MAX n'a toujours pas reçu les certifications pour revoler. Et quand bien même elles seraient délivrées d'ici l'été, l'avionneur américain mettra probablement du temps avant de se relever de cette véritable catastrophe industrielle.

Un an après le crash du vol 302 d’Ethiopian Airlines, Boeing est encore loin d’avoir pansé ses plaies. Englué dans la plus grave crise de son histoire, l’avionneur américain a accumulé les déboires depuis que son modèle phare, le 737 MAX, a été mis en cause dans deux accidents aériens. Comptant parmi les avions les plus vendus dans le monde, ce moyen-porteur est encore aujourd’hui montré du doigt. Retour sur une catastrophe industrielle à l’issue toujours incertaine.

> Que s’est-il passé?

Le 29 octobre 2018, le vol 610 de la compagnie aérienne indonésienne Lion Air décolle de Jakarta pour rejoindre Pangkal Pinang, une île au large de Sumatra. L’appareil, un Boeing 737 MAX entré en service il y a seulement quelques mois, s’abîmera finalement en mer de Java dans une zone de profondeur de 30 à 40 mètres. Peu après son décollage, l’avion avait demandé à revenir à l’aéroport avant que le contact ne soit rompu avec le contrôle aérien. L’accident fera 189 morts.

Quatre mois et demi plus tard, le 10 mars 2019, un Boeing 737 MAX d’Ethiopian Airlines à destination de Nairobi s’écrase six minutes après son décollage de l’aéroport d’Addis Abeba. 149 passagers, dont sept Français, et huit membres d’équipage étaient présents à bord. Aucun ne survira au crash.

Ces deux accidents successifs impliquant des 737 MAX ont très vite soulevé de nombreuses questions remettant en cause la fiabilité de cet appareil essentiel pour Boeing. Au point que les autorités ont décidé de le clouer au sol dès mars 2019, date à laquelle l’avionneur a entamé sa descente aux enfers.

> Quel problème majeur a été identifié?

Très vite, le système MCAS (Maneuvering Characteristics Augmentation System) du 737 MAX est soupçonné d’être à l’origine des deux crashs. Contrairement à ce qui a été avancé dans un premier temps, le MCAS n’a pas été conçu pour éviter une instabilité de l’appareil due à des moteurs plus lourds que ceux équipant les 737 d’ancienne génération. L’avion n’avait donc pas tendance à décrocher, comme on a pu le croire initialement.

L’objectif du MCAS était surtout "d’adapter le poids ressenti dans le manche afin de donner aux pilotes une sensation linéaire progressive proportionnelle à leurs actions en faisant appel au compensateur", explique Xavier Tytelman, consultant aéronautique chez CGI Consulting.

Concrètement, les pilotes attendent que le manche retranscrive une force proportionnelle à leurs actions. Si le manche est trop léger, il existe un risque qu'ils tirent trop fort dessus. D’où la nécessaire intervention du MCAS pour faciliter leurs actions.

Le MCAS est donc censé s’activer lorsque l’angle d’incidence, ou degrés d’inclinaison de l’appareil, est un peu élevé, que le pilotage automatique est désactivé et que les volets sont rentrés. Cela concerne essentiellement les phases de décollage ou d’atterrissage. À l’inverse, il ne s'active pas lorsque l'angle d'attaque est faible ou que le pilote automatique est activé.

Seulement voilà, le MCAS ne prenait ses informations qu’auprès d’une seule sonde d’incidence au lieu d’en utiliser plusieurs et de les comparer pour valider la donnée reçue, comme c’est normalement le cas en aéronautique.

En clair, il suffisait que cette unique sonde dysfonctionne pour que le système se déclenche par erreur et oriente brutalement l’avion en "piqué", dépassant ainsi son rôle de poids dans le manche. Lorsque cela se produit, les pilotes perçoivent progressivement un poids de plus en plus fort dans le manche s’ils ne contrent pas l’activation du MCAS manuellement, notamment avec le bouton qui se trouve sous leur pouce. Ils peuvent aussi tirer sur leur manche pour contrer le compensateur mais le poids devient alors de plus en plus fort.

"Boeing n’aurait jamais dû mettre en place un système reposant sur les informations que d’une seule sonde d’incidence. […] Mais il n’y a pas que Boeing en cause, la FAA (l’autorité de régulation américaine, NDLR) a validé avec trop de légèreté le système MCAS", constate Xavier Tytelman.

La semaine dernière, le Congrès américain s’est exprimé sur les problèmes qui ont mené à la mauvaise conception du MCAS et à son acceptation par la FAA dans sa version initiale, expliquant que le modèle était "fondamentalement défectueux et dangereux".

> Quels autres défauts ont été détectés?

Le consultant en aéronautique reconnaît que le 737 MAX "a été conçu de manière inacceptable". Car d’autres défauts, bien que secondaires, ont été détectés sur l’appareil devenu "le plus investigué de l’histoire de l’aviation".

Mi-2019, une nouvelle faille "potentielle" a été découverte sur le logiciel du 737 MAX. En janvier, un autre problème portant sur le système permettant de s’assurer du bon fonctionnement de certains systèmes de surveillance a également été mis en avant. Plus récemment, des petits débris ont été trouvés dans les réservoirs de certains appareils. Ces nouvelles anomalies n’ont toutefois rien de très inquiétant.

"On fait beaucoup de bruit pour des problèmes qui seraient passés inaperçu pour un autre avion. Qu’on apporte de petites améliorations, c’est quelque chose de normal. Ce sont des défauts secondaires. Tous les avions du monde ont ce type de modifications", relativise Xavier Tytelman.

Reste qu’après les crashs de Lion Air et d’Ethiopian Airlines, Boeing se doit de montrer patte blanche s’il espère faire revoler son MAX.

D’autant que d’autres anomalies, plus embêtantes cette fois, sont à signaler. La formation des pilotes notamment, qui a aussi été mise en cause. Partant du principe que le MCAS était totalement automatisé, "il avait été décidé initialement de ne pas expliquer le système aux pilotes", souligne Xavier Tytelman. Ainsi la formation des pilotes du 737 MAX était réalisée à partir de simulateurs conçus pour un 737 NG. Mais avec le retour d’expérience, il est apparu que celle-ci n’était pas suffisante.

Et ce n’est pas tout. Lundi, le Wall Street Journal a révélé que certains câbles électriques des 737 MAX ne respectaient pas les normes de sécurité, ce qui pourrait renforcer le risque de court-circuits. La FAA envisagerait d’exiger que le constructeur déplace certains câblages sur les 800 appareils déjà produits, ceux livrés aux clients et ceux encore aux mains de Boeing. Une opération, si elle était effectivement nécessaire, qui pourrait prendre deux heures par avion.

> Quels correctifs?

Depuis que le MCAS a été mis en cause, Boeing a travaillé pour apporter les modifications nécessaires. Ainsi, la nouvelle version ne pourra désormais s’activer qu’à une seule reprise et sera basée sur deux sondes d’incidence de manière à ce que le système ne se déclenche pas si les deux sondes ne transmettent pas la même information.

S’agissant de la formation, Boeing a finalement consenti à ne pas se limiter à une formation théorique sur le MCAS et s’est plié aux exigences des autorités qui réclamaient une formation pratique en simulateur pour "que les pilotes voient ce que ça fait lorsque le MCAS se déclenche", note Xavier Tytelman.

"Ils (les dirigeants de Boeing, NDLR) deviennent humbles, ils acceptent les recommandations des autorités et ne cherchent plus à imposer leur timing ou leur point de vue", ajoute-t-il.

Problème, il n’existe que quelques dizaines de simulateurs de 737 MAX. Former des milliers de pilotes pourraient donc prendre beaucoup de temps. Quant aux débris retrouvés dans les réservoirs, aux problèmes de logiciel ou de câblages électriques, Boeing assure "effectuer les actualisations nécessaires" et être "en discussions constantes avec la FAA".

> Quand le 737 MAX pourra-t-il revoler?

C’est probablement la question la plus complexe. Pour l’heure, Boeing a validé la nouvelle version du MCAS en vol tandis que les pilotes de la FAA l’ont approuvée en simulateur. La prochaine étape sera celle de la phase de test en vol par les pilotes du régulateur américain.

Après quoi, Boeing ne devra plus qu’obtenir la validation administrative de faire revoler son 737 MAX après formation des pilotes. L’avionneur a pour sa part annoncé que "quelle que soit la décision finale" sur les éventuelles modifications à apporter aux câblages électriques, il prévoyait "toujours un retour en service du MAX mi-2020".

En attendant, les 737 MAX restent cloués au sol. Ce qui pénalise les compagnies aériennes qui en possèdent et qui ont été contraintes d’annuler des vols ou de louer des avions, plus consommateurs de carburant, à leurs concurrents. Dans les deux cas, l’opération s’est révélée extrêmement coûteuse. Plusieurs compagnies ont à ce titre réclamé des indemnisations à Boeing. C’est par exemple le cas d’American Airlines, Air China ou encore Southwest. Difficile en revanche de connaître le montant perçu par les compagnies qui ont d’ores et déjà trouvé un accord avec Boeing, les tractations étant confidentielles.

Notons par ailleurs que Boeing a cessé de livrer des 737 MAX dès mars 2019. Environ 400 exemplaires seraient actuellement en attente de livraison. La production a quant à elle été interrompue en janvier dernier, fragilisant les sous-traitants du constructeur.

> Airbus a-t-il profité des déboires de Boeing?

Pas vraiment. Certes, l’Européen est devenu en 2019 le premier constructeur mondial après avoir livré 863 appareils (+9%) à 99 clients. Un record pour Airbus. De son côté, Boeing a enregistré pour la première fois depuis trente ans plus d’annulations de commandes que de nouveaux achats. De fait, le MAX représentait 80% de son carnet de commandes.

Mais les déboires de Boeing n’ont eu que peu d’influence sur les résultats d’Airbus. En effet, il est très compliqué pour une compagnie de changer sa flotte en se tournant vers un nouveau constructeur. Car cela coûte excessivement cher. Et pour cause, il faudrait racheter tous les matériels adéquats dont les simulateurs, mais également former ou recruter une équipe de techniciens et de pilotes. Sans oublier que la compagnie ne sera pas livrée avant "six ou sept ans", précise Xavier Tylteman. Par ailleurs, il y a fort à parier que Boeing réduira fortement le prix de ses 737 MAX. Airbus n’aura d’autre choix que celui de s’aligner au moins partiellement pour rester compétitif.

Au final, Airbus a surtout gagné des points auprès de l’opinion publique alors qu’un sondage de Bank of America révélait fin décembre que 60% des voyageurs disaient vouloir attendre six mois à compter de l’autorisation de voler du 737 MAX avant d’embarquer dans un avion de ce modèle pour être certains de sa fiabilité.

> Un coût surmontable pour l'avionneur américain?

L’affaire du 737 MAX est sans nul doute l’une des plus graves catastrophes industrielles depuis le début du siècle. "Son coût sera encore plus important que le dieselgate", assure Xavier Tytelman. La facture pour Boeing avoisine aujourd’hui les 20 milliards d’euros et croît d’environ un milliard d’euros par mois. Du jamais vu pour l’avionneur qui s’est retrouvé dans le rouge l’an passé pour la première fois depuis 1997.

À cela s’ajoute le coût pour l’économie: "Quand vous réduisez la possibilité de voler, vous réduisez la croissance. On parle ici du premier exportateur américain", rappelle le spécialiste en aéronautique. D’autant que le secteur est porteur d’emploi. On estime qu’une compagnie aérienne qui ouvre une ligne long-courrier permet la création de 3000 emplois indirects.

Si Boeing mettra probablement des années à se relever économiquement de cette crise, l’entreprise devrait néanmoins s’en sortir. "L’avion revolera parce que les problèmes sont corrigeables, […] et ils ne feront pas faillite, ils ont les reins solides. Les États-Unis ne peuvent pas laisser mourir leur champion dans un secteur aussi stratégique que l’aéronautique", conclut Xavier Tytelman.
Paul Louis