Il y a 30 ans, le loup faisait son retour en France dans le parc national du Mercantour

C'était il y a 30 ans, quasiment jour pour jour. Le 5 novembre 1992, au Boréon, deux gardiens du parc national du Mercantour et un agent de l'ONF observaient pour la première fois depuis 1937 deux loups sur le territoire français. Cinq mois plus tard, le parc national du Mercantour révélait cette information à la presse.
Un évènement qui marque le début du grand retour de l'animal en France. 30 ans plus tard, le canidé sauvage a été aperçu en Provence, en Bretagne et même aux portes de Paris.
20 meutes dans les Alpes-Maritimes
Dans les Alpes-Maritimes, 30 ans après l'apparition du premier groupe dans la Haute Vésubie, l'Office Français de la Biodiversité a recensé une vingtaine de meutes, constituées en moyenne de six individus. Le nombre de loups dans le département est donc estimé à 120, un chiffre qui n'a cessé de croître depuis 1992.
"On espérait que la population se stabilise vers 2015, mais chez nous, on connait un phénomène de resserrement du territoire des meutes, c'est quelque chose qui n'existait pas dans la littérature scientifique", explique Louis Bernard, directeur de l'Office Français de la Biodiversité dans les Alpes-Maritimes.
"Aujourd'hui, on arrive au bout de cette logique et la population ne devrait plus augmenter chez nous", ajoute-t-il.
Les méthodes d'élevage bouleversées
Dès le milieu des années 90, les attaques sur les troupeaux se multiplient. Au moment de son retour, une rumeur enfle dans les villages des vallées: le loup aurait été intentionnellement réintroduit en douce par l'homme. Maintes fois démentie par les autorités, cette théorie est encore très répandue chez les éleveurs. Ces derniers s'appuient notamment sur les conclusions floues d'une enquête parlementaire en 2003, présidée par Christian Estrosi, où l'on peut lire:
"La vérité se situe probablement entre les deux: [...] un retour naturel du loup d'Italie [...] est tout à fait possible et les analyses génétiques effectuées depuis 1996 confirment cette possibilité, sans bien sûr la prouver. De même, il est probable que des lâchers clandestins de loups aient eu lieu."
Le retour du prédateur a totalement transformé la manière d'élever des bêtes dans les montagnes de la région. Avant son retour, les animaux étaient en totale autonomie sur les estives. Le propriétaire les laissait paître seules pendant qu'il travaillait à récolter le foin.
D'anciennes traditions de retour
Le retour du loup, c'est également celui d'un métier disparu, berger, puisque la présence de l'animal justifie de veiller à nouveau sur le troupeau.
Les chiens de garde font eux aussi leur réapparition. Les fameux "Patou" protègent les bêtes, mais provoquent par ailleurs de nouveaux conflits d'usage entre randonneurs et éleveurs. Ces derniers mettent également en place un système du parcage fermé en regroupant les bêtes dans un enclos près de la bergerie à la nuit tombée.
Des méthodes auxquelles le loup s'est adapté: dans les années 90, 80% des attaques s'effectuaient la nuit. 30 ans plus tard, la statistique s'est inversée; désormais 80% des attaques se déroulent en journée, indique la préfecture.
Une cohabitation de fait
Le loup est une espèce totalement protégée en France et en Europe. Cependant, l'Etat autorise le prélèvement d'un certain nombre d'individus. Dans les Alpes-Maritimes, 39 loups sont tués en moyenne chaque année. Depuis le mois de janvier, 43 d'entre eux ont été tués.
Le département est celui où l'animal est le plus tué en France, et représente à lui seul 29% des prélèvements totaux. La loi autorise désormais les éleveurs à tirer sur le loup en cas d'attaques répétées, mais ces tirs doivent être expressément autorisés au préalable par la préfecture.
800 attaques de loup sont en moyenne recensées chaque année dans les Alpes-Maritimes, un chiffre stable selon la préfecture. La mortalité inhérente de ces dernières a beaucoup diminué. Une attaque tue désormais trois bêtes en moyenne.
Des pertes indemnisées par l'Etat, qui verse environ 200e par bête perdue. Une indemnisation parfois difficile, alors que la carcasse de l'animal tué est indispensable pour l'obtenir. "On a trouvé un rythme", estime Louis Bernard. "L'éleveur victime d'attaque n'est pas abandonné. Aujourd'hui, même si évidemment les éleveurs soufrent, il y a un équilibre", affirme-t-il.
Crise des vocations chez les éleveurs
Même soutenue financièrement par l'Etat, la filière élevage souffre d'une grave crise des vocations dans les Alpes-Maritimes. En quelques décennie, le stock des brebis mère a chuté de moitié dans le département, passant de 60.000 à 30.000 têtes.
Chaque année, en moyenne trois éleveurs installés dans le département partent à la retraite sans être remplacés, selon la chambre d'agriculture du 06.
Si cette crise des vocations a plusieurs facteurs, le retour du loup est une des causes de diminution du nombre d'éleveurs, puisque les jeunes générations se découragent face aux attaques répétées de leurs troupeaux.