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[Tribune] Zones faibles émissions: un assouplissement utile et bienvenu

Un panneau annonçant l'entrée dans la ZFE de Paris

Un panneau annonçant l'entrée dans la ZFE de Paris - Ligue des Conducteurs

Un décret publié la veille de Noël assouplit les règles d'instauration des Zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m), qui doivent limiter la circulation des véhicules les plus polluants dans les grandes de villes de France. Mais est-ce vraiment un cadeau?

À la veille de Noël, le Journal Officiel a publié le décret de la Première ministre qui change les règles de l’instauration des Zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m). Est-ce bien un cadeau mis au pied du sapin des métropoles et des Français?

Un défi social pour les autorités publiques

En mars dernier, l’observatoire des Zones à faibles émissions de l’Institut CSA (*) révélait un profond défi social. En effet, 8 véhicules sur 10 impactés par les ZFE-m se rendent régulièrement dans les agglomérations concernées. 36% des détenteurs de véhicules interdits par une ZFE-m déclarent qu’ils n’ont aucun budget pour remplacer leur véhicule! Pire, 14% de tous les Français impactés affirment qu’ils continueront à utiliser leur véhicule actuel dans les ZFE-m, sachant qu’ils risquent une amende de 68 euros par infraction… La sanction n’est donc pas la solution.

Malgré les difficultés à s’adapter, les Français ne semblent pas réfractaires aux ZFE-m, même si leur véhicule sera interdit au plus tard le 31 décembre 2024. Ainsi, 54% des Français impactés sont favorables au dispositif des Zones à faibles émissions. C’est seulement 3 points de moins que l’ensemble de la population française! La prise de conscience écologique se révèle une tendance de fond.

Il est clair que les Zones à faibles émissions ont pour vocation de réduire la pollution atmosphérique, en particulier, les polluants émis par les véhicules: dioxyde d’azote, particules fines PM10 et PM2,5. Seulement, certaines métropoles atteignent déjà les seuils fixés par la France et l’Union Européenne pour la pollution de l’air. Alors faut-il instaurer uniformément les mêmes restrictions à la circulation au sein de 42 métropoles ayant des niveaux différents de qualité de l’air?

Quelle alternative au dispositif ZFE-m?

Le décret de la Première ministre permet d’éviter l’instauration d’une ZFE-m si "les concentrations moyennes annuelles en dioxyde d’azote (NO2) sont inférieures ou égales à 10 μg/m3".

Tout d’abord, le dioxyde d’azote est un des principaux polluants nuisibles à la santé humaine. Le seuil objectif de dioxyde d’azote fixé par l’Union européenne et la France est de 40 μg/m3. Le seuil de 10 μg/m3 est une recommandation de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Par conséquent, le critère d’exemption choisi par le gouvernement est ambitieux tant au niveau de la réduction de la pollution que de la protection de la santé des Français.

Ensuite, la métropole peut s’exonérer de la mise en place de la ZFE-m si "l’ensemble des stations fixes de mesures de la qualité de l’air de l’agglomération" sont en-dessous de ce seuil. En consultant le site de l’Agence européenne de l’environnement, il est possible de connaître la valeur moyenne de NO2 pour chacune des stations de mesure dans l’Union Européenne.

La France se place parmi les pays avec le plus de villes sous le seuil de l’OMS. Tout d’abord, la métropole de Saint-Nazaire a toutes ses stations avec une moyenne inférieure à 10 μg/m3 sur l’année 2021! Ensuite, les métropoles d’Angers, Brest, La Rochelle, Le Mans, Orléans, Pau, Poitiers et Tours ont une station sous le seuil, les autres légèrement au-dessus. Pour ces agglomérations, l’objectif semble atteignable avec un plan d’actions concret et validé par des simulations d’impact sur la qualité de l’air. La validation du préfet sera alors nécessaire.

Malheureusement, certaines métropoles ne pourront y arriver sans mesures drastiques, peut-être même plus draconiennes que les ZFE-m avec l’interdiction de circuler des véhicules Crit’Air 5, 4 et 3: Bordeaux, Grenoble, Montpellier, Toulon, Toulouse, Rouen et Strasbourg ont au moins une station de mesure 3 fois au-dessus du seuil ; Lyon et Marseille ont chacune une station au-delà de 40 μg/m3 ; et la métropole du Grand Paris possède 2 stations à plus de 50 et d’autres à 40 μg/m3.

En conclusion, la nouvelle règle introduite par le décret du 23 décembre 2022 permettrait à une dizaine de villes de se conformer au seuil de dioxyde d’azote, sans établir une ZFE-m. Pour les autres métropoles, les efforts restent considérables…

Toutefois, le problème reste donc entier pour des millions de Français qui ne pourront pas s’adapter aux Crit’Air autorisés de leur métropole. L’exemple le plus épineux reste la Métropole du Grand Paris où les niveaux de pollution sont élevés et les moyens financiers de beaucoup de Franciliens inadaptés pour changer de véhicule.

Dans le cas d’une détention de plusieurs années, une prime à la casse de 4000 euros, pour se débarrasser d'un véhicule Crit’Air 4 ou 5, aiderait les ménages les plus fragiles en vue de l’acquisition d’un véhicule d’occasion Crit’Air 1. Pour améliorer la qualité de l’air, il est nécessaire de retirer définitivement les véhicules les plus polluants.

Franck Cazenave, expert en mobilité et auteur du livre "La robomobile – Un nouveau droit à la mobilité durable et solidaire", chez Descartes & Cie

(*) Précisions méthodologiques : Enquête en ligne, menée du 8 au 22 février 2022 auprès d’un échantillon représentatif de 1 587 français âgés de 18 ans et plus dont 968 français directement impactés par les ZFE avec au moins un de leurs véhicules Crit’Air 2 (Métropole du Grand Paris et Grand Lyon), 3, 4, 5 et non classé. La méthode des quotas a été appliquée sur des variables de sexe, âge, profession, région et taille d’agglomération d’après les données de recensement INSEE et sur les Crit’Air des véhicules possédés dans le foyer. Cette étude a été réalisée à la demande de l’Association Eco Entretien.

Franck Cazenave