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"On ne voulait pas y aller": un "Malgré-nous" témoigne à l'occasion des 80 ans de la Libération de Strasbourg

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Jean-Marie Hostert, 99 ans, était présent ce samedi à l'occasion des 80 ans de la Libération de Strasbourg. Il a fait partie des "Malgré-nous", ces soldats incorporés de force dans l'armée nazie entre 1942 et 1945. Un épisode encore compliqué qu'il a choisi de raconter.

"Pour préserver mes parents, j'ai accepté de devenir un 'Malgré-nous'". Jean-Marie Hostert, 99 ans, présent aux cérémonies commémorant les 80 ans de la Libération de Strasbourg, a témoigné à l'AFP ce samedi 23 novembre de son incorporation de force dans l'armée allemande en 1942, un épisode encore douloureux.

Le président de la République Emmanuel Macron a justement appelé ce samedi à "nommer, reconnaître et enseigner" la tragédie des "Malgré-nous" qui reste encore taboue.

Mosellan de naissance, né en 1925, Jean-Marie Hostert raconte sa jeunesse insouciante jusqu'à l'annexion de fait par l'Allemagne nazie de l'Alsace et de la Moselle en 1940.

"Ma jeunesse a été studieuse, très animée par ma pratique du scoutisme et heureuse, jusqu'au jour de l'annexion. Je ne pensais jamais que je serais un jour pris dans l'armée allemande. Mais fin août 1942 est venue l'obligation" pour les Alsaciens et Mosellans de rejoindre les rangs de l'armée allemande, avec les décrets des 25 et 29 août 1942.

Pour le jeune homme, un dilemme se pose: partir rejoindre son frère aîné vers Lyon - "c'était facile, la frontière était directement à côté de ma ville natale" - ou se plier à l'incorporation de force.

"J'ai fait partie des 100.000 'Malgré-nous' alsaciens"

"J'ai voulu rester à cause de mes parents, je ne voulais pas qu'ils subissent les représailles qui étaient prévues pour les insoumis", justifie-t-il. "J'ai donc fait partie des 100.000 'Malgré-nous' alsaciens, et des 30.000 'Malgré-nous' mosellans."

"Notre chance, c'est qu'on n'a pas été dans l'infanterie, on a été dans les transmissions. On a été envoyé en Pologne d'abord, et puis après je suis arrivé en Italie dans une station radar", précise-t-il à propos de son groupe de 400 "Malgré-nous".

En 1944, "aussitôt que j'ai su que ma région natale, et que Strasbourg allaient être libérés, dans ma tête, il s'est passé quelque chose. En l'espace de trois minutes, j'ai déserté l'armée allemande".

"Après deux jours d'errance dans la clandestinité, j'ai rencontré une jeune dame qui m'a dit où je devais me cacher la nuit. Et je me suis caché sous un petit pont toute la nuit. Et le lendemain, cette dame m'avait trouvé quelqu'un pour m'emmener jusque chez les partisans. Et je me suis engagé pour la fin de la guerre dans la division Garibaldi Natisone, des partisans italiens."

La guerre terminée, il retourne sur les lieux "saluer" cette jeune fille à qui il doit la réussite de son évasion et reste dans sa famille, travaillant aux "travaux des champs". "Puis l'amour est venu et je l'ai épousée. Je l'ai épousée en Italie et je l'ai ramenée en France. Et c'est devenue la maman de mes enfants."

"Une chose qui a toujours été mal comprise"

Au total, plus de 130.000 Alsaciens et Mosellans ont été incorporés de force de 1942 à 1945. Environ 40.000 de ces hommes ne sont jamais revenus.

"Je suis un miraculé", assure Jean-Marie Hostert. "Dans la famille, sur trois 'Malgré-nous', un n'est pas revenu de Russie, un est revenu de Russie avec les pieds gelés, et moi, qui n'ai pas été en Russie, j'ai eu la chance d'être épargné."

L'histoire des incorporés de force a été une source de malentendus et de méfiance entre l'Alsace, la Moselle et le reste de la France. C'est "une chose qui a toujours été mal comprise", témoigne M. Hostert. "Nous, on ne voulait pas y aller."

Après la guerre, il est devenu cadre à Saint-Gobain puis maire de Cirey-sur-Vezouze, en Meurthe-et-Moselle, pendant 17 ans, jusqu'en 2008.

Quand on lui demande ce qu'il attend d'Emmanuel Macron, la voix brisée par l'émotion, il répond: "Je dis à Macron, s'il peut faire quelque chose, qu'il essaye d'éviter ce drame."

"Quand je regarde les informations, je m'imagine retrouver ce que j'ai vécu quand j'étais jeune, à 14 ans, au moment de l'annexion. On est à la veille d'une troisième guerre mondiale et personne n'aura rien vu venir..."

E.F avec AFP