Noël en Alsace: comment Turckheim continue de faire vivre sa tradition "un peu oubliée" du veilleur de nuit

Un veilleur de nuit de la commune de Turckheim. - Joël Meyer/Société d'histoire de Turckheim
"Écoutez ce que je vais vous dire, la cloche vient de sonner dix heures." Ainsi commence la chanson, traditionnellement récitée en Alsacien, du veilleur de nuit. Si de nombreux villages alsaciens ont eu un veilleur de nuit jusqu'au début des années 1900, le rôle de ce gardien n'existe aujourd'hui plus qu'à Turckheim, dans le Haut-Rhin.
"C'est la seule commune en France qui a son dernier et traditionnel veilleur de nuit", explique à BFMTV.com Joël Meyer, membre de la Société d'histoire de Turckheim Wickram. Lui-même est devenu veilleur de nuit lorsqu'il est arrivé à la retraite. "On cherchait un petit peu la relève pour faire perdurer cette tradition."
Une tradition également transmise au grand public, qui a l'occasion de suivre gratuitement la visite du veilleur de nuit pendant la période de l'Avent.
Surveiller les départs de feu
Les premiers écrits mentionnant des veilleurs de nuit datant de 1540, "ce qui veut dire que le veilleur de nuit existait déjà avant", explique Joël Meyer.
Historiquement, de riches vignerons avaient fait appel aux veilleurs de nuit pour surveiller leur maison et le vin produit, afin d'éviter les incendies. Le veilleur de nuit effectuait alors sa ronde de 22 heures à 6 heures du matin. Voyant que ces derniers avaient effectivement baissé, la commune a alors décidé de les embaucher, compte tenu du risque de départ de feu à l'époque, puisque les habitations s'éclairaient à la bougie et se chauffaient à la cheminée.
"Les maisons historiques alsaciennes sont principalement composées de bois, d'autant que les habitants stockaient généralement dans leur grenier le bois de chauffage pour l'hiver, mais également paille et foin pour leur bête. Et comme les maisons sont accolées, quand une maison partait en feu, ça pouvait être une deuxième, une troisième, voire tout un quartier."

Équipé d'un cor, le veilleur de nuit devait alors souffler dans l'instrument pour réveiller les habitants et donner l'alerte en cas de départ de feu. Cette alerte était alors transmise au gardien de tour, qui se chargeaient de déclencher des clochetons pour alerter les habitants. "Les personnes valides devaient alors intervenir pour donner un coup de main pour éteindre l'incendie."
En plus de ce statut de gardien de nuit, la commune demandait aux veilleurs de nuit d'effectuer d'autres tâches durant la journée: ils pouvaient donc également endosser les rôles de garde-champêtre et de fossoyeur.
Les rondes du veilleur de nuit ont pris fin en 1939, en raison de la Seconde Guerre mondiale. Mais cette tradition a été ravivée en 1953, avec le lancement de la première Route des vins en France: la Route des vins d'Alsace. L'organisateur avait alors demandé à chaque commune d'organiser un petit événement pour l'occasion. "Turckheim en a profité pour ressortir de ses cartons le veilleur de nuit."
Des visites pour "transmettre l'histoire"
Aujourd'hui, le veilleur de nuit marque 16 arrêts durant sa ronde, au cours de laquelle il entonne sa chanson en alsacien (et sa version traduite pour les visiteurs) et partager des informations sur son rôle, mais aussi sur la commune de Turckheim. Cette dernière a été élevée au rang de ville en 1312, par l'empereur du Saint-Empire germanique, Henri VII.
Le veilleur mentionne aussi durant sa ronde les trois portes d'accès de Turckheim: la porte de France, la porte du Brand et la porte de Munster, cette dernière étant notamment liée au maréchal de France Turenne, venu en 1675 chasser les impériaux.
Reconnaissable à son couvre-chef tricorne et à sa houppelande en guise de manteau, le veilleur de nuit est également équipé d'une hallebarde, car il devait à l'époque faire régner l'ordre dans les rues à la nuit tombée. "Un couvre-feu était mis en place à partir de 22 heures, donc il devait veiller à ce que les auberges soient fermées et qu'il n'y ait personne dans les rues. Évidemment, il y avait des récalcitrants", d'où l'utiliser de sa hallebarde, raconte Joël Meyer.

N'existant désormais plus qu'à Turckheim, la tradition du veilleur de nuit s'est "un peu oubliée" parmi les Alsaciens, mais Joël Meyer et les cinq autres veilleurs de nuit de la Société d'histoire de Turckheim s'appliquent à "transmettre l'histoire". Les visiteurs sont aujourd'hui nombreux à venir du monde entier, notamment de Suisse et d'Allemagne, mais également de Chine et de Californie. "En été, on avait jusqu'à 600, 700 personnes."
Les visites du veilleur de nuit ont ainsi lieu du 1er mai au 31 octobre à partir de 21 heures, mais également pendant la période de l'Avent, à partir de 21 heures. Ces visites gratuites n'ont pas lieu les 24 et 25 décembre, mais historiquement, le veilleur de nuit attendait minuit le 31 décembre pour pouvoir souhaiter la bonne année aux habitants.
La chanson du veilleur de nuit
"Écoutez ce que je vais vous dire, la cloche vient de sonner dix heures.
Prenez soin de l'âtre et de la chandelle, que Dieu et la Vierge vous bénissent.
Me voici de garde, que Dieu nous donne à tous une bonne nuit."
(Traduction du chant traditionnel alsacien)