Tech&Co
YouTube

"Un cercle vicieux": pourquoi il faut se méfier de Cocomelon, la puissante chaîne Youtube pour enfant

placeholder video
Cocomelon, une chaîne de comptines sur Youtube, est le programme pour enfants le plus regardé sur la plateforme. Problème: de nombreux professionnels s'inquiètent de son effet addictif et des potentiels risques sur le développement de l'enfant.

Un autocar scolaire s'apprête à prendre la route. A son bord, un bébé à la mèche blond. D'un geste de la main, il fait signe au chauffeur de s'élancer pour aller récupérer quatre animaux à un arrêt de bus.

"Les roues de l'autobus, elles tournent et tournent dans toute la ville." Sur une musique entrainante, des voix enfantines chantent en boucle cette petite comptine. Ca, c'est une des 1.300 vidéos de Cocomelon, une chaîne Youtube destinée aux 0-3 ans.

Le programme pour enfant le plus visionné

Un véritable succès aux Etats-Unis. La chaîne, suivie par 185 millions d'abonnés, récolte régulièrement plusieurs milliards de vues pour chacune de ses publications. En moyenne, les chansons font 300 millions de vues hebdomadaires. Ainsi, Bath song ("La chanson du bain", ndlr) atteint 7 milliards de vues. Le concept, lancé en 2005 aux Etats-Unis est désormais disponible sur Netflix et Spotify. Une chaîne Youtube française a également été créée en 2021.

Et dans l'Hexagone aussi, les succès s'enchaînent. Les vidéos dépassent régulièrement le million de vues. Certaines comptines, comme les roues de l'autobus, caracolent à plus de 80 millions de vues. Des chiffres impressionnants, donc, qui font de Cocomelon le programme pour enfant le plus visionné dans le monde sur la plateforme.

Le problème, c'est que comme le rapporte une enquête du Parisien, de nombreuses inquiétudes et interrogations gravitent autour de la chaîne. De prime abord, le profil Youtube a pourtant l'air inoffensif. Il s'agit de comptines, les dessins sont enfantins et les paroles très simples. Mais c'est justement ce qui pose problème.

"Une illusion donnée aux parents"

"Cette chaîne donne l'illusion aux parents que les programmes diffusés sont bénéfiques et sans danger", lance Olivier Duris, psychologue spécialiste des usages numériques, interrogé par Tech&Co.

Les parents vont donc laisser leurs enfants devant les vidéos, et c'est là que le piège se referme. Les enfants vont rester de longues minutes, parfois plusieurs heures sur ces vidéos.

"Que ça soit au niveau du design des personnages, des couleurs ou encore de la rapidité des transitions entre les différentes chaînes: tout est fait pour capter l'attention des enfants", observe Stéphanie Laporte, fondatrice de l'agence social média OTTA, interrogée par Tech&Co.

Un risque de surexposition aux écrans

A cela s'ajoutent les chansons, dont les paroles très répétitives entrent facilement dans la tête des enfants comme des parents. Résultat, "Les enfants restent accrochés aux écrans", poursuit l'experte. A tel point que sur les forums américains, les parents ont renommé la chaîne "Cococaine", tellement la chaîne rend accro les plus jeunes.

Pourtant, les émissions pour bébés à la télévision ne datent pas d'hier. En 1997, la BBC a ainsi les Teletubbies, un programme à destination des 1-4 ans. La série, devenue culte, a ensuite été diffusée en France, sur Canal+ puis Tiji. Mais l'arrivée de Youtube a bousculé les habitudes. "Un épisode des Teletubbies, c'est 25 minutes. Ensuite, les parents passent au programme suivent et ce n'est pas dommageable", explique Stéphanie Laporte.

"Or, avec l'algorithme de Youtube, qui fonctionne comme un cercle vicieux et enchaîne automatiquement les vidéos, les enfants peuvent rester devant ces programmes pendant 3 heures."

Le studio d’animation Moonbug, détenteur de Cocomelon, se défend en assurant développer un "programme éducatif très solide" élaboré "en partenariat étroit avec des experts de l’éducation", explique une porte-parole au Parisien.

"Une chaîne pour les bébés n'a aucun intérêt"

Un argument qui fait mouche. "On n'apprend rien avec ces comptines", rétorque Stéphanie Laporte. "Entre ce que les enfants pourraient apprendre et ce qu'ils pourraient perdre au niveau du développement, il y a un déséquilibre."

"Une chaîne Youtube à destination des bébés, ça n'a aucun intérêt", acquiesce Olivier Duris. "Un enfant à cet âge n'a besoin d'être devant un écran et ne cherche pas à l'être."

"Contrairement aux comptines que l'on peut chanter à un enfant, ces vidéos ne sont pas interactives et cela peut avoir de gros impacts négatifs." Et la liste des conséquences de la surexposition aux écrans à un âge aussi précoce est longue.

"Le texte est assez pauvre, avec un risque de surstimulation des enfants", ajoute Samuel Comblez, psychologue pour enfants et directeurs des opérations de l'association e-enfance, interrogé par C à vous. "Ces enfants sur le plan neurologique ne sont pas complètement construits. Cela peut provoquer des troubles du sommeil chez des enfants qui vont être soumis à ces vidéos au moment de se coucher", poursuit-il.

"Cela peut aussi entraîner des troubles cognitifs puisque les enfants qui sont en déficit de sommeil auront des troubles du comportement et auront plus de mal à se calmer."

En avril dernier, un rapport d'experts préconisait déjà d'interdire l'usage des écrans aux enfants de moins de trois ans. Ce mercredi 13 novembre, la ministre de la Santé, Geneviève Darrieussecq a annoncé sur Franceinfo la mise en place d'un nouveau carnet de santé avec des pages dédiées sur le temps d'écran des enfants. Le dispositif devrait être effectif au 1er janvier 2025.

Salomé Ferraris