Les écrans sont-ils vraiment dangereux pour les jeunes? Voici ce que dit la science

"Reprendre le contrôle" sur les écrans, notamment pour les plus jeunes. C'est l'ambition d'Emmanuel Macron, qui a critiqué l'effet des smartphones et tablettes sur les enfants, lors de sa conférence de presse de ce mardi 16 janvier. Le président de la République a par ailleurs évoqué un comité d'experts, réuni par ses soins, qui doit permettre d'établir un consensus scientifique pour déterminer des recommandations, voire une régulation.
Pourtant, la littérature scientifique est déjà riche concernant le sujet. De multiples études ont ainsi évalué les effets des écrans sur les jeunes enfants et adolescents, avec des cohortes parfois importantes. Le principe d'un comité d'experts réunis sur une courte période, face à l'abondance des travaux déjà menés, ne convainc donc pas tous les spécialistes. Surtout, la promesse d'un "consensus" scientifique sur le sujet est jugée trop ambitieuse.
"Effet d'annonce"
"Le fait d'avoir un groupe d'expert est une bonne idée si les dits experts ont réellement les qualifications comme des publications scientifiques sur cette question. En revanche, l'idée d'avoir un consensus sur les écrans paraît illusoire dans ce cadre. On aura probablement un jour un consensus sur des usages et des pratiques dans un contexte situé pour une population donnée. Mais en aucun cas un consensus global sur les écrans" note Séverine Erhel, maîtresse de conférences en psychologie cognitive à l'Université Rennes 2, auprès de Tech&Co.
"Un tel travail prend des mois. Avoir des experts qui vont proposer un consensus fin mars, ça ressemble davantage à un effet d'annonce", tranche ainsi l'experte.
Un effet d'annonce, et une demande urgente, qui détonne avec les conclusions des études de référence sur le sujet. Malgré leurs limites - biais, évolution des usages, nouvelles plateformes - elles ont le mérite d'avoir été menées sur des échantillons importants, et parfois sur de très longues durées.
Ainsi, une étude publiée dans la revue Nature en 2019 a évalué 350.000 adolescents américains et britanniques de 12 à 18 ans, entre 2007 et 2016. Le but: évaluer l'effet des écrans sur leur bien-être. Si un effet négatif a bien été mesuré par les scientifiques, il est très limité, voire négligeable. "L'association que nous trouvons entre l'utilisation des outils numériques et le bien-être est négative mais limitée à 0,4% des variations" précisent-ils.
"Selon cette étude, si un psychothérapeute s'occupe du temps d'écran d'un jeune patient, il pourra améliorer son état de 0,4%. C'est très limité" résume ainsi Yann Leroux, docteur en psychologie, auprès de Tech&Co.
Un symptôme plutôt qu'une cause
Toutefois, de nombreuses études constatent des associations délétères entre le temps passé devant des écrans et le développement, notamment au niveau du langage. Des associations qui "disparaissent quand on ajuste les facteurs socio-économiques" rappelle Séverine Erhel.
La chercheuse souligne que le temps passé devant un écran doit davantage être pris comme un symptôme de potentielles difficultés dans l’environnement familial (qui concernent les parents ou les enfants), que comme une cause de troubles psychologiques.
Une étude publiée en 2023 dans The Journal of the American Medical Association Pediatrics évoque également une corrélation entre exposition excessive des enfants aux écrans et troubles du développement, mais là encore en pointant une corrélation plutôt qu'une causalité. Les auteurs évoquent notamment l'absence d'interactions entre l'enfant et son entourage au moment de l'utilisation de l'écran.
"Un usage raisonné n'est pas nocif. Il existe des recommandations en termes de santé publique. Une heure maximum à trois ans, avec un accompagnement des parents. On peut même avoir des bénéfices en termes de sociabilité et fonctionnement émotionnel" rappelle-t-elle, tout en évoquant certains effets nocifs bien identifiés, par exemple sur le sommeil, lorsqu'il s'agit d'une exposition des écrans avant le coucher.
Outre le cas des enfants, les questions autour de l'exposition aux écrans concernent également les adolescents et préadolescents. Elles sont souvent liées aux effets sur la santé mentale de certaines plateformes très utilisées, comme Tiktok et Instagram, notamment par les jeunes filles.
Un design des plateformes problématique
"Tiktok pourrait être associé à des problèmes de perception de l'image corporelle. Mais la question que l'on peut se poser, c'est la place du design de l'application dans ces difficultés. On considère que le fil infini peut être un accélérateur des difficultés des individus. Certains individus fragiles se retrouvent pris au piège du design et du fil infini, ce qui va les exposer à beaucoup de contenus comme des challenges sur les corps parfaits, ce qui va accélérer les difficultés liées à la perception que les adolescentes en particulier vont avoir de leur corps. Clairement, Tiktok pose problème dans ce domaine" regrette Séverine Erhel.
Si le bien-être et la perception de soi des jeunes habituées d'Instagram et Tiktok peuvent ainsi être fragilisés, il est encore bien trop tôt pour faire un lien entre des troubles plus identifiés, comme les troubles du comportement alimentaire, rappelle la chercheuse.
"Les causes de l'anorexie ou boulimie ne se retrouvent pas dans l'utilisation des médias. Ce sont des parcours singuliers qui s'organisent autour de ce trouble" abonde ainsi Yann Leroux.
En revanche, certains phénomènes régulièrement dénoncés sur les réseaux sociaux, comme le cyberharcèlement, ont des effets psychologiques bien identifiés. Ils vont ainsi être associés "à du stress post-traumatique, à des dépressions, à de l'anxiété, ou à des risques suicidaires, qui sont plus visibles chez les filles et chez les adolescents issus de certaines minorités" explique Séverine Erhel.