La majorité veut encadrer le "far west" numérique, les oppositions alertent sur les risques pour les libertés

Cyberharcèlement, arnaques sur internet, propos haineux, accessibilité des sites pornographiques aux mineurs... Autant de maux contre lesquels les députés ont affirmé leur volonté de légiférer mercredi, à l'ouverture des débats sur le projet de loi sur la sécurisation et la régulation de l'espace numérique (SREN).
La France insoumise avait déposé une motion de rejet, qui aurait mis fin aux débats prématurément sur ce texte adopté le 5 juillet au Sénat. Mais les députés l'ont repoussée à une très large majorité (32 voix pour, 172 contre).
La députée LFI de Paris Sophia Chikirou a défendu cette motion de rejet en dénonçant un texte "fourre-tout", qui n'atteindra pas les objectifs de protection des citoyens qu'il se fixe, mais qui risque de mettre "gravement (...) en péril" les libertés individuelles. En ligne de mire, une disposition du projet de loi, ajoutée en commission à l'Assemblée, qui veut généraliser l'affectation à chaque internaute d'une "identité numérique".
"Cette loi vise à ouvrir le chemin du contrôle d'identité pour l'accès à internet et aux services d'internet", a critiqué Sophia Chikirou.
Le projet de loi ouvre aussi la possibilité pour l'Etat "d'exiger le blocage de certains sites". "Comment garantir qu'à terme un gouvernement ne l'utilise pas à des fins politiques ?", s'est alarmée l'élue.
"Protection des citoyens, des enfants et des entreprises"
Mais si nombre de députés partagent les inquiétudes de la France insoumise concernant les "dérives" potentielles du texte en matière de libertés publiques, les orateurs des groupes ont quasiment tous dit leur volonté d'examiner le texte.
"Nous voulons aller au débat", a déclaré le député RN Aurélien Lopez-Ligori, même s'il s'est dit inquiet de la "généralisation de l'identité numérique", un "pas de plus vers une société de surveillance".
Pour le député Hervé Saulignac (PS), le texte soulève des "sujets graves, sérieux", et s'il est "fourre-tout", cela ne "semble pas justifier un rejet". Le député EELV Aurélien Taché est le seul député hors LFI à avoir voté pour la motion, s'alarmant lui aussi de "libertés numériques en danger".
Prenant appui sur les règlements européens sur les services numériques et les marchés numériques (DSA et DMA), le texte a pour "fil rouge", la "protection des citoyens, des enfants et des entreprises", avait expliqué le ministre délégué chargé du Numérique Jean-Noël Barrot.
Le rapporteur général du texte, le député Paul Midy (Renaissance) avait défendu de son côté une loi qui vise à mettre de l'ordre dans le "far west" d'internet, à l'heure où "50% des jeunes" disent s'être fait harceler en ligne, où "80% des enfants ont été exposés à la pornographie à cause d'internet", et où "neuf millions de français se font arnaquer chaque année".
Le projet de loi donne notamment la possibilité à une autorité administrative de bloquer les sites pornographiques n'empêchant pas les mineurs d'accéder à leur contenu. Il donne aussi des devoirs de modération aux grandes plateformes de réseaux sous peine de sanctions pécuniaires, il crée une "peine de bannissement des réseaux sociaux" pour les cyberharceleurs, et propose d'instaurer des amendes pour les auteurs de discours haineux.
Un cadre légal jugé peu opérant
Le texte propose aussi de réglementer le "cloud" pour permettre davantage de concurrence parmi les fournisseurs d'infrastructure et de services informatiques, ou d'encadrer le lancement à titre expérimental de "Jeux à objets numériques monétisables" (Jonum), un mix entre jeux d'argent et de hasard d'un côté et jeux vidéo de l'autre.
Il pourrait également accueillir des éléments du plan de lutte contre le harcèlement scolaire (confiscation du téléphone portable, bannissement des réseaux dans le cadre d'un contrôle judiciaire).
Plusieurs députés se sont montrés critiques vis-à-vis des articles concernant les "Jonum". "Nous ouvrons une brèche importante dans l'interdiction sauf dérogation des jeux d'argent et de hasard", a dit la députée Soumya Bourouaha (PCF).
Les critiques ont également plu sur les dispositions concernant les sites pornographiques, certains députés se mettant à l'unisson des associations de protection de l'enfance pour juger peu opérant le cadre légal prévu.