De Clinton à Trump, comment Elon Musk a opéré un virage ultra-conservateur

Cela ressemble à une prise de conscience soudaine. Lorsque Donald Trump a manqué d’être abattu en juillet dernier par un tireur isolé, Elon Musk a immédiatement tweeté. "Je soutiens pleinement le président Trump" a-t-il annoncé, dans un coming out politique qui n’a étonné personne.
Star de la Silicon Valley, utopiste rêvant d’espace et de planète rouge, l’homme le plus riche du monde a amorcé un virage conservateur en l’espace de quelques années.
Cette semaine, il était encore au cœur des débats au Royaume-Uni, critiqué par le gouvernement britannique pour ses messages incendiaires à propos des émeutes qui secouent le pays. "Une guerre civile", assure-t-il alors que les violences ont été accentuées par les fake news qui pullulent sur X, son réseau social sans modération ou presque.
Personnalité complexe -ses différentes opinions lui valent même une page à part sur Wikipédia-, bavard sur Twitter, bien moins loquace dans la vraie vie, Elon Musk ne cache plus son virage conservateur rappelant les débuts politiques de Donald Trump lorsque celui-ci multipliait les provocations avant de finalement devenir président. Comment en est-il arrivé là? C’est probablement l’aboutissement naturel de cet esprit singulier, marqué par un égo impressionnant.
Une histoire de famille
Elon Musk, c’est aussi une histoire familiale complexe. Son grand-père, Joshua Norman Haldeman, né aux États-Unis, mais qui grandit au Canada, devient dans les années 1930 le leader du mouvement Technocratique, qui plaide pour un gouvernement d’une petite élite de scientifiques et d’ingénieurs. En 1950, il part s’installer en Afrique du Sud qui vient de mettre en place l’Apartheid. Comme le relate la biographie officielle d’Elon Musk, le grand-père flirte déjà avec les idées complotistes et antisémites, imputant les guerres mondiales aux Juifs, et craignant "une conspiration internationale pour établir une dictature mondiale".
Elon Musk nait donc en 1971 à Pretoria, de Maye Haldeman -finaliste de Miss Afrique du Sud en 1969- et d’Eroll Musk, aviateur et surtout homme d’affaires sulfureux. Le couple divorcera en 1979. Si Elon Musk reste proche de sa mère, il a coupé les ponts avec son père, ouvertement raciste et complotiste. "Presque toutes les mauvaises choses auxquelles vous pourriez penser, il les a faites", racontait Elon Musk en 2017 au magazine Rolling Stones.
De cette jeunesse dorée en Afrique du Sud -dont il ne parle pratiquement jamais- et de sa famille encombrante, l’entrepreneur semble peut-être avoir gardé quelques idées. Mais selon le New York Times, qui a enquêté sur ces années, le jeune Elon ne semble pas avoir adhéré aux idées ségrégationnistes du régime, faisant sa scolarité dans un lycée progressiste. Il a même pu développer cette obsession pour la liberté d’expression dans ce pays marqué par le verrouillage de l’information.
À 17 ans, il obtient, grâce à ses origines, la nationalité canadienne pour partir étudier aux États-Unis. Que reste-t-il de cette enfance sud-africaine? L’homme reste très secret. Il a néanmoins forgé son côté "geek”: passionné de jeux vidéo, il fera du Guide du voyageur galactique -un classique de la science-fiction- son livre de chevet.
"L’ego d’Elon Musk lui a déjà causé des ennuis"
Au milieu des années 1990, le voici au cœur de la Silicon Valley où tout ce qui touche à internet se transforme en or. Avec son frère Kimball, il fonde une sorte d'annuaire en ligne pour les professionnels qui sera revendu 300 millions de dollars, raconte le New Yorker. Il fonde alors X.com, une banque en ligne en 1999. La même année, l’influent magazine Salon en tire un portrait ambivalent: "L’ego d’Elon Musk lui a déjà causé des ennuis, et il pourrait bien lui en causer encore d’autres".
Musk affiche sa richesse et son ambition: créer la plus grande banque en ligne du monde. "Il n'a aucune connaissance du secteur bancaire", grince Salon. Le magazine lui trouve tout de même une certaine audace. "Dans la Silicon Valley, tout le monde cherche l’homme chanceux qui pourra les mener au succès. Musk a un talent, mais personne n’arrive à le deviner."
"Peut-être qu’Elon Musk a vraiment une étincelle spéciale qui lui permet de penser de manière plus stratégique que tout le monde autour de lui. Peut-être qu’Elon Musk est vraiment la prochaine grande star."
En 2000, X.com fusionne finalement avec Confinity de Peter Thiel. L’alliance des deux s'appellera PayPal et fera d’Elon Musk un homme riche après le rachat du service pat eBay en 2002.
Ambition spatiale
À l’époque, il apparaît comme un jeune et ambitieux entrepreneur made in Silicon Valley. Déjà fantasque, certes, mais largement dans l’ombre des nouvelles stars de la tech, Mark Zuckerberg en tête. S’il n’est pas encore connu du grand public, il est admiré pour son audace, surtout lorsqu’il lance SpaceX avec l’ambition délirante de viser la planète Mars. L’idée de SpaceX est de créer des lanceurs réutilisables, dont tout le secteur spatial se gausse. À tort: l’histoire lui donnera raison.
En parallèle, il investit dès 2004 dans une petite entreprise en vogue, Tesla. Quatre ans plus tard, il prend la tête du fabricant de véhicules électriques et en fera un mastodonte financier. C’est grâce à la valeur du cours Tesla qu’Elon Musk est actuellement l’homme le plus riche du monde. Viendront ensuite The Boring Company pour construire des tunnels et Neuralink pour les implants cérébraux. Mais le point de bascule est évidemment le rachat de Twitter.
Une acquisition comme un blague, qui entraînera l’homme d’affaires dans plus de galères qu’autre chose. Toujours dans l’ombre de Mark Zuckerberg -qu’il va défier en combat singulier dans une énième blague ou provocation- Twitter est finalement l’occasion pour le milliardaire d’obtenir son média.
Celui qui affirme être atteint du syndrome d’Asperger n’est pas encore, du moins totalement, le "troll" provocateur que l’on connait. On l’imagine plutôt libertarien, ce courant typiquement américain qui promeut la liberté sous toutes ses formes. Il reste éloigné des démocrates comme des républicains, mais reconnaît, en 2022, avoir voté pour Hillary Clinton en 2016 puis Joe Biden en 2020.
L’arrivée de Trump et son programme plus libéral l’intéresse, mais c’est bien le rachat de Twitter qui semble avoir changé l’homme. Car, ce réseau social, acheté à prix d’or - 43 milliards de dollars- en réalité, il n’en voulait pas mais il a rapidement été piégé par son engagement verbal, devenu engagement légal.
En novembre 2022, le voici donc à la tête d’un réseau social qui lui a coûté une fortune à l’achat, lui coûte une fortune au fonctionnement. Il va donc licencier la majeure partie des salariés pour réduire les coûts et tout faire pour rendre la plateforme rentable. Mais il va surtout prendre conscience de l’effet communautaire de cet outil puissant qui lui permet de faire passer ses messages.
Natalité, immigration, "virus woke"...
Fin 2023, il réalise par exemple le poids qu’a pris son service d’internet par satellites Starlink dans le conflit entre la Russie et l’Ukraine. Le voici faiseur de rois, dragué par les uns, conspué par les autres. Forcément pas de quoi apaiser son égo alors que la plupart des médias et observateurs critiquent sa gestion de Twitter, qui deviendra X. Absence de modération, réintégration de profils controversés… au lieu de lutter contre la désinformation, Elon Musk voit de la jalousie et des attaques personnelles. Les médias "traditionnels" qui multiplient les rapports alarmants deviennent des ennemis de X, seule source fiable d’informations, selon Musk. Les annonceurs, qui refusent de revenir sur son réseau social sont aussi sa cible.
Mais d’autres sujets semblent aussi le tourmenter: la natalité, l’immigration ou une potentielle guerre civile en Allemagne ou dernièrement en Angleterre.
Lui, qui compte désormais 12 enfants de plusieurs femmes différentes, évoque aussi les questions de genre, affecté par la transition d’un de ses fils, qu’il estime avoir été tué par le "virus woke". Si sa proximité avec les idées conservatrices de Donald Trump ne faisait plus vraiment de doutes, la tentative d’assassinat contre l’ex-président l’a incité à officiellement apporter son soutien au républicain.
Le méchant de service
Prompt à relayer des fake news -comme cette fausse de vidéo de Kamala Harris qu’il juge "communiste"- il a aussi été contraint de s’excuser après avoir validé un message complotiste et antisémite sur son réseau.
Désormais isolé des annonceurs, seuls à pouvoir maintenir financièrement à flot X, il entretient aussi une haine féroce contre les démocrates et leurs attaques contre lui comme contre ses entreprises.
À peine semble-t-il retrouver un semblant de normalité lorsqu’il s’occupe de SpaceX ou Tesla. Mais derrière sa photo de profil X, où il arbore pour Halloween un costume de "champion du mal", l’entrepreneur semble se complaire dans cette image de "méchant". A-t-il des ambitions politiques? Il ne sera jamais président des États-Unis, faute d’être né dans le pays, mais son influence et celle de réseau social joueront un rôle majeur dans l’élection de novembre, qui accouchera du prochain président américain.