Réseaux sociaux, vie privée, IA: comment Valéry Giscard d'Estaing a prévu l’avènement d’Internet

Valéry Giscard d'Estaing, décédé ce mercredi 2 décembre, fut le président qui, lors de son mandat, dû accompagner le développement de l’informatique moderne et les débuts de l’informatique personnelle. Si des erreurs stratégiques ont été commises, notamment par l’appui de l’investissement dans les technologies utilisées pour le Minitel plutôt que celles qui sont devenues le fondement de l’Internet moderne, il a évoqué à plusieurs reprises les conséquences de cette révolution numérique. Souvent avec clairvoyance.
Le 10 avril 1981, quelques semaines avant la fin de son mandat et dans le cadre de la campagne électorale, Valéry Giscard d'Estaing publie un article dans la revue Informatique et société, où il revient sur les grandes évolutions de ce domaine pendant son mandat.
Il évoque notamment sur la loi dite "informatique et libertés" du 6 janvier 1978, qui a ancré l’importance du consentement de chacun dans la constitution de bases de données contenant des informations personnelles.
Cette loi a notamment acté la création de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), toujours référente de nos jours, qui a inspiré l’ensemble des pays développés par la suite pour mettre en œuvre une politique de protection des données personnelles.
"C'est cette préoccupation qui a guidé la rédaction de la loi sur l'informatique et les libertés du 6 janvier 1978 `loi Peyrefitte` ("la loi du siècle", l'appelait un grand journal du soir): aucun fichier de personnes ne peut être créé en France, sans le contrôle d'une commission éminente, et sans que la décision soit prise par un responsable nommément désigné ; aucun de ces fichiers ne peut être en service sans que les citoyens eux-mêmes puissent accéder aux informations qui les concernent et les faire éventuellement corriger" rappelait ainsi Valéry Giscard d'Estaing.
Le 28 septembre 1979, le président de la République revenait longuement sur les enjeux économiques et sociétaux de l’informatique moderne, lors d’une allocution au colloque international "informatique et société", organisé au Palais des Congrès à Paris.
A cette occasion, il a notamment évoqué le développement de l’intelligence artificielle, mais aussi ses limites.
"L'informatique est-elle une intelligence qui invente? C’est une intelligence qui dépasse l'accumulation des données, mais ce n'est pas une intelligence qui imagine."
Un état des lieux encore d’actualité en 2020, alors qu’aucune intelligence artificielle généraliste, pouvant remplacer un esprit humain, n’a pu être créée. Et ce en dépit des multiples prévisions accumulées depuis un demi-siècle.
Valéry Giscard d’Estaing anticipe également les conséquences de l’informatique connectée par un immense réseau, facilement accessible à tous, notamment sur nos comportements et sur l’évolution de nos habitudes.
"L'homme serait conduit à devenir un consommateur d'images et de signes, placé devant un écran universel, capable de solliciter tous les savoirs, toutes les mémoires et tous les services. Il n'y aurait plus besoin pour lui de se déplacer: l'enseignement, les achats, les consultations médicales, et même une grande partie des activités professionnelles se feraient à domicile. La communication deviendrait abstraite et la révolution, entreprise par la télévision, serait ainsi portée à son terme : le monde entier serait proche, mais l'homme n'aurait plus de prochain, n'aurait plus de voisin" prévoit-il dans une analyse qui n’aura jamais été aussi pertinente qu’en 2020, où le confinement aura considérablement fait avancer ces nouveaux usages.
Dans un autre extrait de ce même discours, le Président anticipe les risques de ces connexions multiples et l’accroissement considérable de la quantité d’information disponible à tout moment.
"Il faut savoir que l'excès d'informations conduit à la désinformation, à l'indifférence et au scepticisme. Un mauvais usage de l'informatique et de la télématique peut accentuer le désarroi de l'homme contemporain : en plaçant, sous son regard, trop de signes, en faisant miroiter devant lui trop de connaissances fugitives. Il faut y prendre garde" assurait-il alors.
Là encore, ces propos semblent parfaitement résumer l’immense rôle que jouent les réseaux sociaux dans la propagation de fausses informations.
"Le passé ne se condensera plus dans des archives lointaines et par la force des choses difficilement accessibles. Il ne s'évanouira plus lentement au rythme de l'oubli des mémoires humaines. Il sera, au contraire, toujours présent avec son cortège de signes et d'images que l'on peut réanimer à volonté, à tout instant" complétait alors Valéry Giscard d’Estaing.
Comme il l’avait prévu, quarante ans plus tard, les politiques, militants, journalistes, artistes, ou simples citoyens ayant partagé en ligne des contenus pouvant jouer en leur défaveur peuvent en subir les conséquences, même de longues années après leur publication.