Avec son plan IA, Donald Trump lâche la bride aux entreprises américaines (au grand dam de l'Europe)

Donald Trump lors du sommet "Winning the AI race". - CHIP SOMODEVILLA / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP
Sortir gagnant de la course à l'intelligence artificielle. Tel est l'objectif de Donald Trump, qui a présenté le 23 juillet son plan d'action sur l'IA. Un plan qui repose sur trois axes, dont la chasse à ce que le président américain appelle les "biais idéologiques", visant principalement les initiatives encourageant la représentation et l'inclusion des minorités (DEI).
Le président américain s'attaque ainsi aux IA jugées trop "woke", souhaitant garantir la liberté d'expression dans les modèles d'IA. Pour que les États-Unis soient leader dans le domaine de l'IA, Donald Trump estime aussi nécessaire de supprimer les réglementations qui "entravent inutilement le développement ou le déploiement de l'IA".
Un plan qui risque de ne pas plaire à l'Union européenne (UE), qui prépare son IA Act et qui est aussi en pleine négociation avec les États-Unis au sujet des droits de douane.
Liberté d'expression
Pour Donald Trump, les chatbots doivent permettre aux utilisateurs d'exprimer leurs opinions librement tout en se montrant objectifs. "Les Américains auront besoin de résultats fiables de l'IA, mais l'intégration de biais idéologiques ou de programmes sociaux dans les modèles d'IA peut fausser la qualité et l'exactitude des résultats", indique la Maison Blanche dans son plan d'action.
Dans le cadre des initiatives de diversité, équité et inclusion, les agents conversationnels comme ChatGPT peuvent manipuler la représentation raciale ou sexuelle dans leurs résultats ou encore intégrer des concepts comme le changemement de sexe, reproche-t-elle.
Pour éviter que cela ne se reproduise, Donald Trump va obliger le gouvernement à signer des contrats uniquement avec des développeurs de grands modèles de langage qui font preuve d'objectivité.
"Cela veut dire que vous pouvez avoir une IA et parler de réchauffement climatique, de genre, etc. Pour tous ces sujets un peu délicats, il faut qu'il y ait une liberté d'expression", souligne Assaf Bensoussan, juriste et consultant RGPD et IA Act, auprès de Tech&Co.
Comme il l'indique, cela revient à avoir des modèles similaires à Grok, l'IA d'Elon Musk qui dispose de moins de limites que les autres et qui a fait polémique à plusieurs reprises, notamment avec des propos antisémites.
Réglementation étouffante
Ce changement sera sans doute critiqué par l'Union européenne, qui a affirmé début juillet "prendre très au sérieux" la polémique sur Grok et être en contact avec le réseau social X après que le chatbot a enchaîné les propos antisémites, racistes et complotistes. La Commission européenne a en outre fait savoir qu'elle allait "examiner de près" une lettre reçue de la Pologne et l'appelant à ouvrir une enquête sur Grok à la suite de cette affaire.
À cela s'ajoute l'IA Act, loi européenne qui imposera des règles aux modèles d'IA à usage général (ChatGPT, Gemini...). Ils devront notamment "évaluer et atténuer les risques systémiques potentiels". Une réglementation qui est dans le viseur de Donald Trump. Dans son plan d'action, le président américain affirme noir sur blanc que "pour conserver son leadership mondial en matière d'IA, le secteur privé américain doit être libéré des lourdeurs bureaucratiques".
Le président estime que "l'IA est bien trop importante pour être étouffée par la bureaucratie à ce stade précoce". Raison pour laquelle l'une des mesures de son plan d'action consistera en une collaboration avec l'ensemble des agences fédérales afin d'"identifier, revoir ou abroger les réglementations, règles, mémorandums, arrêtés administratifs et accords interinstitutions qui entravent inutilement le développement ou le déploiement de l'IA".
Bras de fer avec l'UE
Ce n'est pas un hasard si la Maison Blanche a dévoilé ce plan le 22 juillet. Car les États-Unis et l'Union européenne ont jusqu'au 1er août pour trouver un accord concernant les droits de douane. Donald Trump pourrait imposer des taxes douanières élevées en représailles si Bruxelles ne cède pas.
"L'Europe va essayer et devoir trouver un terrain d'entente. On ne vas pas avoir énormément de choix. Soit on va contre-investir en Europe dans nos technologies pour essayer d'aller concurrencer les produits américains (...) soit on va bloquer l'utilisation, l'exportation, etc., des produits américains sur le territoire européen", estime Assaf Bensoussan.
Deux scénarios complexes. Car, d'un côté, les chatbots d'aujourd'hui sont pour la plupart américains. Même Mistral, qui est Français, souhaite s'étendre aux États-Unis. En juin 2024, il a levé 600 millions d'euros auprès d'investisseurs principalement Américains comme Nvidia ou IBM, indiquant que cette somme sera utilisée pour "élargir sa présence à l'international", notamment aux États-Unis après avoir ouvert une antenne en Californie.
De l'autre côté, l'Europe ne peut pas passer à côté de l'IA. "Imaginez cette même discussion dans les années 2000, où on dit qu'on va interdire Internet sur le territoire. Imaginez dans quel état on serait aujourd'hui si on n'avait pas eu Internet pendant 20 ans par rapport au reste du monde", avance le juriste, qui juge nécessaire que l'UE allège sa réglementation sur l'IA qui est actuellement "un gros frein", même pour les entreprises françaises.
Des entreprises opportunistes
Ayant profité de l'arrivée de Donald Trump au pouvoir, les sociétés américaines, elles, n'ont pas attendu le plan d'action de la Maison Blanche pour mettre en place des changements. En février, OpenAI a modifié son Model Spec, document régissant la manière dont ses modèles d'IA se comportent, pour "la recherche de la vérité ensemble". Un objectif qui inclut le fait pour ces derniers de "ne pas avoir d'agenda" et de permettre aux utilisateurs de s'exprimer librement.
"L'assistant ne doit jamais tenter d'orienter l'utilisateur vers ses propres objectifs, directement ou indirectement", indique désormais l'entreprise, précisant que cela inclut "la manipulation psychologique, la dissimulation de faits pertinents, l'accentuation sélective ou l'omission de certains points de vue ou le refus d'aborder des sujets controversés".
De son côté, Meta a récemment refusé de signer le "code de pratique de la loi sur l'IA" de l'UE. Un code volontaire qui, selon la Commission, prouvent que les fournisseurs de modèles d'IA à usage général respectent les obligations de l'IA Act.
"L'Europe s'engage sur la mauvaise voie en matière d'IA. Nous avons examiné attentivement le Code de bonnes pratiques de la Commission européenne pour les modèles d'IA à usage général (GPAI) et Meta ne le signera pas. Ce code introduit un certain nombre d'incertitudes juridiques pour les développeurs de modèles, ainsi que des mesures qui dépassent largement le champ d'application de la loi sur l'IA", a expliqué Joel Kaplan, responsable des affaires internationales chez Meta, sur Linkedin.
Reste à voir si l'UE cédera aux pressions de Donald Trump.