"Comme si vous invitiez quelqu'un chez vous": les robots humanoïdes vont-ils vraiment arriver dans nos foyers?

Dans 5 ans? 20 ans? Ou peut-être en 2025 comme l’avait annoncé Elon Musk? Les robots humanoïdes cohabiteront très probablement avec nous dans un futur plus ou moins long. Leur morphologie proche de celle des humains est pensée pour qu'ils puissent réaliser des tâches (dont on se passerait bien). Mais ils sont surtout depuis presque 30 ans un sujet aussi fascinant que complexe pour les chercheurs et les industriels.
À coups de belles promesses des géants du secteur, on entend régulièrement plusieurs sons de cloche concernant les potentielles dates de mise sur le marché. Alors qu’en est-il de leur déploiement “civil” (à destination des particuliers)? Combien de temps faudra-t-il patienter? Arriveront-ils dans les mois, années voire décennies qui viennent? Pour le savoir, il faut d’abord s’intéresser à l’état actuel de la robotique humanoïde.
L’optimiste Optimus
Il est un peu devenu maître des horloges dans cette course au premier robot humanoïde. Le personnage d’Elon Musk est devenu incontournable (surtout depuis la victoire de Donald Trump). Ses robots Optimus, développés par Tesla, sont les humanoïdes qui attirent le plus l’attention. Le milliardaire annonçait alors plus tôt dans l’année un déploiement de ces machines dans les usines Tesla en 2025 et une mise sur le marché en 2026 à destination des particuliers.
Leur architecture électromécanique marque un réel progrès dans le secteur. "Pour moi, c’est un très bon robot", constate Jean-Baptiste Mouret, directeur d’équipe de recherche en robotique au Centre Inria de l'Université de Lorraine, auprès de Tech&Co. "L’architecture va plus loin sur beaucoup d’aspects que ce qu’on fait dans un laboratoire. Les robots ont une très belle mécanique, les algorithmes sont bien affinés."

Mais les robots n’ont vraisemblablement pas encore atteint le stade de l’autonomie. Leur dernière démonstration publique était en octobre lors de la conférence “We, Robot”. Les robots étaient alors pilotés à distance par des humains, ce qui n’a pas manqué d’attiser les critiques et les moqueries.
"Les Optimus ne sont pas révolutionnaires", ajoute Jean-Baptiste Mouret, "dans le sens où les techniques de pilotage, qu’ils ont montré lors de la conférence, ont été développées par les laboratoires depuis plusieurs années."
La course s’intensifie
Après la mise en lumière de ces machines par Tesla, ses concurrents ont saisi l’opportunité pour montrer leurs avancées en matière de robotique humanoïde. À commencer par un des pionniers de la robotique, Boston Dynamics, qui montrait à l'œuvre son robot autonome Atlas dans une vidéo. L’humanoïde se cantonne alors à une tâche particulière qui est de déplacer des capots moteurs d’un contenant à l’autre dans un environnement qu’il connaît préalablement.
Un autre concurrent sérieux d'Optimus, c’est Figure 02, le robot de l’entreprise Figure AI. La société américaine, comme Boston Dynamics, n’a pas hésité à montrer son robot en action en milieu industriel. Dans sa démonstration, le robot exécute des tâches en autonomie, mais on comprend la limite s'il venait à intégrer un foyer: ces tâches restent basiques et ont dû nécessiter des heures voire des jours d’apprentissage.
C'est d'ailleurs la face "cachée" de ces vidéos: elles sont le résultat de centaines d'essais minutieusement préparés à l'avance, donnant l'impression d'une efficacité redoutable, masquant les nombreux échecs.
En parallèle, les entreprises chinoises se défendent sur un marché qu'elles dominent avec les États-Unis et le Japon. On a pu récemment observer des démonstrations vidéos des robots GR-2 de l'entreprise Fourier, Forerunner K2 de Kepler Humanoid Robot ou encore Tiangong, la machine open source du Centre d’innovation en robotique humanoïde de Beijing.
Face à ce pied de nez de la concurrence, Tesla ne se laisse pas abattre. Au cours des dernières semaines, l’entreprise a multiplié les vidéos montrant les nouvelles aptitudes d’Optimus. Les ingénieurs derrière le robot ont récemment mis en ligne une démonstration du robot qui attrape une balle de tennis ou une autre où il gravit une pente en forêt avec la volonté de montrer que lui aussi sait réaliser des actions en toute autonomie.
Les grands défis de la robotique humanoïde
Dans cette course à l'innovation, les entreprises de la tech aiment montrer chaque nouvelle petite fonctionnalité de leur robot. Le développement des humanoïdes se fait ainsi étape par étape.
Jean-Baptiste Mouret explique que la recherche en robotique humanoïde s'est penchée ces dix dernières années sur deux défis en particulier. "Le premier grand défi est matériel. Dans un robot humanoïde, il faut beaucoup de moteurs pour bouger quelque chose", explique le chercheur.
"Ça coûte cher et il faut que ces moteurs soient assez puissants. Si par exemple, on regarde la puissance de nos muscles des cuisses, faire la même chose avec des moteurs demande beaucoup d'énergie."
Le deuxième défi concerne la coordination: "Là, c’est un problème informatique, il faut trouver les bons algorithmes qui vont nous permettre de contrôler une trentaine de moteurs en même temps en respectant toutes les contraintes. Si par exemple, je veux ramasser quelque chose par terre, je dois tendre le bras, plier le dos, bouger les cuisses. Pour qu’un robot réalise la même action, il faut coordonner les moteurs de chaque membre."

"Ce sont là les deux grandes directions qui ont animé la recherche depuis dix ans", poursuit le chercheur.
"Il faut à la fois une très bonne mécanique capable de développer beaucoup de force et des algorithmes qui permettent de contrôler plusieurs moteurs et qui doivent prendre en compte l’ensemble du robot. Le problème des algorithmes est maintenant a peu près maitrisé (depuis quelques années seulement) et c’est pour cela que les entreprises se lancent sur ces sujets. La mécanique a aussi beaucoup progressé."
Actuellement, la recherche se concentre sur deux axes de progression: donner la faculté aux robots d’utiliser leurs appuis (par exemple lui apprendre à s'appuyer sur une table pour se lever) et travailler sur la communication verbale du robot, par exemple en faisant appel à ChatGPT. Malgré les récents progrès, l'ampleur de la tâche semble suffisamment immense pour retarder l'intrusion de robots compagnons dans nos foyers de quelques années.
Marché non-négligeable
Dans les faits, c'est plutôt l'industrie qui sera la première à bénéficier des robots humanoïdes. Ces derniers sont particulièrement utiles pour réaliser toutes sortes de tâches répétitives ou à risque dans les usines qui bénéficient d'une infrastructure propice à leur déploiement.
"Un robot humanoïde destiné à l'aide à domicile des personnes représente un autre marché potentiel" assure Abderrahmane Kheddar, directeur de recherche au CNRS, auprès de Tech&Co.
"Il peut être d'une grande aide pour les personnes en perte d'autonomie. Mais le robot doit être capable de se déplacer dans la maison, de nettoyer, d'aider une personne à se mettre au lit."
Le chercheur est très optimiste vis-à-vis des progrès en matière d'autonomie de ces robots. Il raconte que l'arrivée d'un robot à son domicile sera "comme si vous invitiez quelqu'un chez vous. Vous lui présenterez la maison, discuterez avec lui pour qu'il apprenne à vous connaître" imagine-t-il.

Mais peut-être que les premiers robots qui arriveront chez nous seront réservés à certains besoins spécifiques.
"Il y a des schémas qui pourraient se dessiner avec les compagnies d’assurance" poursuit le chercheur. "Par exemple, vous vous retrouvez en situation d'invalidité temporaire suite à un accident. Chez vous, vous n’êtes plus capable de réaliser certaines tâches. Vous louerez donc un robot humanoïde à la sécurité sociale qui vous assistera ou réalisera ces tâches à votre place."
Mais en parallèle des grands enjeux techniques, il en est un autre moins attendu mais crucial: l'aspect règlementaire et juridique. "Le problème qui se posera ne sera pas d’avoir un robot autonome, c’est le cadre pour qu’il intègre un domicile, de la même manière que les véhicules autonomes arrivent sur nos routes. Par exemple, s’il y a un accident, qui sera responsable?" se demande le chercheur.
L’encadrement juridique, une contrainte invisible?
Les fameuses lois d'Asimov (ou "les trois lois de la robotique") ne suffiront pas à encadrer les agissements d’un robot. Il faudra donc bien mettre en place des règles strictes pour encadrer ces nouveaux venus.
"La loi ne doit pas être vue comme une limitation, mais comme un accompagnement", argumente Nathalie Nevejans, professeure de droit à l’université d’Artois et directrice de la chaire IA Responsable, auprès de Tech&Co.
Ainsi, trois textes ont déjà émergé du Parlement européen en vue de réglementer les IA et les machines mises en service sur le territoire, dont l'IA Act. Ces règlements font mention des requis qui devront être intégrés aux robots pour qu’ils puissent être commercialisés dans l'Union européenne. On compte par exemple parmi ces obligations le contrôle humain sur le système, le traitement des données ou des dispositifs de cybersécurité intégrés aux robots.
"Avec Optimus, Elon Musk, pour proposer une offre sur le marché européen, devra obligatoirement respecter ce qui est mentionné dans ces textes" explique Nathalie Nevejans. Optimus et ses homologues devront ainsi suivre une "mise en conformité, c'est-à-dire que la machine devra remplir les différentes exigences européennes."

Tout constructeur a intérêt à respecter ces règles puisque toute transgression ou manquement s’expose à de lourdes conséquences. "S’il y a accident, le constructeur doit payer les amendes administratives qui sont fixées dans les deux textes et qui sont de l’ordre de millions d’euros, mais également des dommages et intérêts aux potentielles victimes" ajoute la spécialiste, qui évoque en plus un risque pénal.
Les robots humanoïdes à domicile, c'est pour quand?
Pour la plupart des chercheurs, le constat est clair: nous ne verrons vraisemblablement pas de robots humanoïdes dans nos maisons d’ici 2025 ou 2026 mais il faudra plutôt compter une dizaine d’années.
"De la même manière que la voiture s'est démocratisée sur plus de 30 ans, il faudra attendre quelques années que la conception des robots soit optimisée pour pouvoir s’en procurer un à un prix abordable", explique Jean-Baptiste Mouret.
"Au delà de quelques cas particuliers, on est sur l’échelle d’une petite dizaine d'années pour que des robots humanoïdes autonomes capables de comprendre des instructions orales soient déployés couramment par les entreprises" estime-t-il.
Abderrahmane Kheddar pense quant à lui voir des robots autonomes "d’ici sept à dix ans". Mais il précise qu'il faudra peut-être attendre un peu plus, le temps de mettre en place "tout un écosystème" juridique.
L’avis est partagé par Nathalie Nevejans qui penche, elle aussi, pour une dizaine d'années. Mais elle estime que les premiers robots qui arriveront dans nos maisons seront dédiés à un lieu précis comme une cuisine.
"On pourrait lui demander de réaliser quelques tâches, comme passer des ustensiles de cuisine, voire cuisiner un peu avec un encadrement bien précis", précise-t-elle.
Pour en apprendre plus sur le devenir de la robotique humanoïde, le CES 2025 à Las Vegas, début janvier, pourrait être le lieu de plusieurs démonstrations publiques. Des grands noms du secteur de la robotique s'y retrouveront pour partager leurs avancées directement avec le public, cette fois en direct.