Violence, abrutissement... Pourquoi il faut oublier les clichés autour du jeu vidéo Call of Duty

A la Paris Games Week, le plus grand salon du jeu vidéo français qui se tient du 23 à 27 octobre au parc des expositions, les fans de la franchise Call of Duty s'impatientent. "Je pensais qu'un matin à 9 heures, il y aurait moins de monde", peste Thomas. L'adolescent de 14 ans est venu avec trois amis dans un but précis: tester le nouveau Call of Duty Black Ops 6.
Quelques mètres plus loin, la trentaine de minutes d'attente n'effraie pas Lylian et Tim. Les deux frères, venus tout spécialement de Toulon pour l'occasion, sont fans de la franchise depuis la sortie du premier titre en 2003. "On y joue depuis 20 ans", sourit Lylian.
"Ce n'est pas la violence à laquelle nous pensons"
"C'est sûr que l'aspect nostalgique fonctionne bien, c'est le jeu de notre enfance", ajoute son frère. "C'est aussi une franchise qui m'a fait grandir et évoluer. Ca m'a appris à me canaliser et à travailler en équipe. C'est presque du développement personnel", s'esclaffe-t-il.
Pourtant, les jeux vidéo n'ont pas toujours eu bonne presse. Il suffit d'une simple recherche internet pour s'en rendre compte. Les joueurs de la franchise d'Activision seraient "violents" ou "agressifs".
"Après la tuerie de Columbine il y a plus de vingt ans, les études établissant un lien entre jeux vidéo et violence se sont multipliées", rappelle Yann Leroux, psychologue et auteur du livre Le jeu vidéo expliqué aux parents et aux éducateurs.
En effet, après ce massacre dans un lycée américain en 1999, le jeu Doom, pratiqué à outrance par les deux tueurs, avait été considéré à tort comme une des causes du passage à l’acte. Résultat, tous les jeux de guerre, de tirs ou assimilés, comme GTA ou Call of Duty, ont été considérés comme dangereux.
Depuis, le discours a changé. "La plupart des publications qui établissaient un lien direct entre jeux vidéo et hyper violence sont progressivement retirées à cause de vices méthodologiques", souligne Yann Leroux. Au contraire, les dernières études tendent à montrer qu’il n’existe aucun lien de cause à effet entre jouer à des jeux violents, comme Call of Duty ou Fortnite, et le devenir dans la réalité.
Pour preuve, une étude singapourienne de 2020 sur 3.000 adolescents démontre ainsi que le jeu vidéo ne rendait pas plus anxieux, dépressif ou hyperactif. Une autre étude a été publiée dans la revue Cyberpsychology, Behavior, and Social Networking un an plus tard. Elle conclut qu'il n'y a pas plus de violence chez les joueurs ayant joué à des jeux vidéo violents pendant plus de 10 ans que chez les autres adultes du même âge.
Pour Yann Leroux, il existe bien un lien entre jeu vidéo et comportements violents. "Mais ce n'est pas la violence à laquelle nous pensons".
"Jouer à Call of Duty ne donne pas envie d'aller faire une tuerie de masse ou un attentat. Les effets sont limités dans le temps et dans l'intensité. Par exemple, après une partie, le joueur peut être légèrement agacé, pousser un ou deux jurons ou au pire casser une manette. Mais ça ne va pas plus loin."
Un constat partagé par les joueurs eux-mêmes. "Call of Duty, ça nous permet de nous énerver un petit peu sur le jeu pour être plus détendu", plaisante Kenyé, 28 ans.
Désensibilisés aux images violentes
Toutefois, les joueurs sont bels et biens désensibilisés aux images violentes. Publiée en 2022 dans la revue Psychology of Popular Media, une étude montre que les jeux vidéo violents, comme Call of Duty, peuvent entraîner une désensibilisation aux images douloureuses. En effet, les joueurs réguliers ont montré une réponse neuronale diminuée aux images douloureuses par rapport aux joueurs occasionnels. En d’autres termes, selon ces chercheurs, jouer à des jeux vidéo a un impact négatif sur votre empathie.
Rien d'alarmant pour Yann Leroux. "C'est comme lorsqu'on vous montre plein de photos de chats. A force, vous ne les trouverez plus aussi mignons." D'autant que, selon le psychologue, les joueurs de Call of Duty ne s'intéressent pas forcément au décor et aux scènes de violence.
"Les joueurs ne voient pas les images comme un spectateur lambda. Bien sûr, lorsqu'ils commencent le jeu, ils observent l'environnement. Mais rapidement, ils font abstraction du décor pour se concentrer sur la stratégie", poursuit-il.
A la Paris Games Week, William, 26 ans, vient de finir une partie sur le prochain Black Ops 6. Interrogé sur le décor qu'il vient de visionner, il botte en touche. "Je n'ai pas tellement regardé. Quand je joue, j'essaye surtout de me focaliser sur ma position et celle des autres joueurs. J'essaye de regarder combien il me reste de munitions et de points de vie ou si un véhicule peut me servir de planque", énumère-t-il.
Un jeu de stratégie, donc, qui permet aux joueurs de développer de nouvelles compétences. Selon une étude de 2017 du professeur Matthew Barr, maître de conférence en informatique et professeur associé à l’université de Glasgow (Royaume-Uni), les jeux vidéo permettraient aux jeunes de développer de précieuses aptitudes, comme la communication, ou les capacités d'adaptation.
Une autre étude du National Institutes of Health (2022) sur 2.000 enfants démontre que les jeunes qui jouaient aux jeux vidéo trois heures par jour avaient de meilleurs résultats aux tests de contrôle des impulsions et de mémoire.
Esprit d'équipe, réflexes et gestion de l'espace
Pour Yann Leroux, les jeux de tir à la première personne (FPS) aident les joueurs à développer des compétences cognitives et émotionnelles, comme la précision visuelle, ou encore la gestion et la représentation de l'espace. "Dans Call of Duty, si vous ne savez pas où vous êtes, vous êtes un homme mort", sourit Yann Leroux.
"Les joueurs améliorent donc leur capacité à visualiser un espace en 3D. De la même manière, gagner une partie difficile, c'est un vrai challenge. Ca peut aider à développer sa confiance en soi" estime-t-il.
"Esprit d'équipe", "réflexes", "coopération"... Les joueurs présents sur le stand de Call of Duty à la PGW regorgent d'exemples. "Il faut être réactif pour jouer. Call of Duty, ça m'a vraiment aidé, notamment dans les situations de stress où il faut prendre une décision rapidement, note Dressa, 20 ans. "A la base, je suis quelqu'un de solitaire. Ce jeu ça m'a permis d'apprendre à travailler en équipe et à me concentrer", ajoute son ami Mathieu.
"La vraie question, c'est de savoir si ces compétences se traduisent dans la vraie vie", questionne Yann Leroux. "Est-ce que gérer une équipe sur Call of Duty ou un atre FPS aide à devenir délégué de classe?"
Le psychologue est sceptique. "Je n'en suis pas sûr." D'autant que s'il existe des études sur le sujet, elles "n'indiquent pas clairement" si les compétences acquises pendant les parties peuvent être réutilisées dans la vie réelle. Un constat qui pourrait amener à considérer le célèbre jeu vidéo comme ce qu'il prétend être: un simple loisir populaire.