Playstation et le jeu service, une difficile histoire d’amour qui tourne mal

Ils devaient être 12. C’était la promesse (prophétie?) de Jim Ryan d’ici 2025 lorsque l’ancien président de Sony Playstation avait réitéré, au printemps 2022, la volonté du géant du jeu vidéo de s’engager un peu plus dans le jeu vidéo en tant que service. Un nouveau genre qui consiste à assurer une pérennité à un titre en lui offrant fréquemment du contenu supplémentaire monétisable, histoire d'inciter les joueurs à rester et soutenir financièrement le jeu.
La feuille de route était simple: en 2023, Playstation devait passer de trois jeux proposés à six, puis près de 10 en 2024 pour atteindre 12 jeux en 2025. Alors que l’année finale vient de débuter, les comptes n’y seront clairement pas.
12 jeux services promis par Jim Ryan
La semaine passée, le fabricant japonais a annoncé l’annulation de deux jeux service qui devaient voir le jour chez Bluepoint Games (Demon’s Souls sur PS5), autour d’un multijoueur dans l’univers de God of War, et un autre chez Bend Studio (Days Gone). Cela n’entraîne pas de licenciements pour le moment, assurent plusieurs sources proches de Sony, et les deux studios travailleraient à de nouveaux projets.

Cependant, ces deux jeux viennent s’ajouter à la longue liste de titres promis pour enrichir l’offre de jeux services de Sony. Le studio Bungie (Destiny, Halo), spécialiste du genre, avait été racheté à prix d’or pour venir dynamiser le réservoir de Playstation, plutôt connu pour ses aventures narratives solo, mais désireux d’embrasser un nouveau secteur de jeu d’où il était plutôt absent au niveau des exclusivités.
Sur les 12 titres promis par Jim Ryan avant son départ, sept ont été annulés depuis 2023, dont aussi des jeux multijoueurs autour de Spider-Man (Insomniac), The Last of Us (Naughty Dog), Twisted Metal (Firesprite), le multijoueur dans un univers de fantasy que devait réaliser London Studio avant de fermer ses portes. Il faut aussi ajouter Payback, annulé l’an dernier alors que Bungie était aux commandes.
Si Concord est bien sorti sur PS5, son manque d'originalité - trop proche d'Overwatch - et sa sortie estivale mal placée l'ont conduit à devenir un des plus grands fiascos de Sony et à la fermeture du studio Firewalk. Ils ne sont désormais plus que trois à pouvoir encore espérer éviter le couperet: Marathon chez Bungie, un titre autour de la franchise Horizon chez Guerrilla Games et Fairgame$, le prochain titre présenté par Jade Raymond et son nouveau studio Haven Studios.
L’appât du gain
Finalement, Helldivers II est l’arbre qui cache la misère. Couronné de trois prix aux derniers Game Awards, le jeu d’Arrowhead Game Studios a été une énorme surprise à sa sortie début 2024. Il a su susciter un engouement immédiat, certes en perte de vitesse depuis, et se construire une forte communauté, non sans un démarrage poussif dans le suivi. Mais depuis, le suivi dans l’enrichissement du jeu multijoueur de combat a été salué et il maintient sa vitesse de croisière.

Sony n’est cependant pas le seul studio à peiner dans sa quête du jeu service parfait. De Warner avec Suicide Squad: Kill The Justice League à Ubisoft avec Xdefiant, finalement abandonné, ou encore Hyenas de Creative Assembly stoppé en plein vol par Sega à quelques semaines de sa sortie faute de rentabilité potentielle, le jeu d’action en coop ne fait pas recette, même en version AAA.
Pourtant, tous tentent de s’y mettre, attirés autant par l’appât du gain que représente le modèle économique basé sur des achats à répétition ou de la microtransaction à gogo (quand le jeu est gratuit), que par l’idée de capter une communauté qui a tendance à rester fidèle à son jeu préféré.
Même Remedy Entertainment (Alan Wake II, Control) n’a pas semblé refroidi par les échecs des concurrents et va se lancer dans le multijoueur "live-service" avec FBC: Firebreak (une équipe de trois joueurs affronte des ennemis dans un manoir). Le jeu de tir coopératif en ligne se déroulera dans l’univers de Control et le studio a promis quelque chose de différent du jeu service habituel, sur le fond et la forme (disponible PC et consoles, configuration minimale pour fonctionner sur un maximum d’ordinateurs, prix plus bas…).
Un style de jeu qui n’attire pas les développeurs
Mais le souci sera le même pour Remedy comme les autres: comment se démarquer de la concurrence et des ténors du secteur (Fortnite, World of Warcraft, Destiny, GTA Online, Warzone, etc.) qui occupent déjà une bonne partie du temps disponible des joueurs visés? Le game as a service peut être une véritable poule aux oeufs d’or pour qui sait optimiser son concept, être original et différenciant. C’est ce qui a souri à Helldivers II. Mais face à un trop-plein de postulants, les places au soleil restent rares et l’hécatombe en passe de devenir massive pour qui souhaite s’y aventurer.

Selon une étude récente réalisée par la GDC, la conférence des développeurs de jeux, le jeu service concernerait un développeur sur trois parmi les titres AAA (les plus gros budgets), mais 16% seulement de l’industrie dans son ensemble. Mais surtout 13% des développeurs se disent intéressés par la perspective de participer à un jeu service, une aventure au long cours qui permet de nouer des liens avec une communauté en plus de rapporter de l’argent.
Mais contrairement à une idée reçue qui veut que la tendance soit à une overdose de jeux service en ce moment, 41% des développeurs n’ont absolument pas envie de se lancer dans l’aventure, constatant un intérêt déclinant pour le genre auprès des joueurs, un manque de créativité pour le jeu vidéo avec des styles de jeu qui se copient pour espérer fonctionner. Ils disent aussi être réticents aux pratiques engendrées (microtransactions, piège pour capter les joueurs…) et surtout aux risques de burnout que l’implication dans le développement implique. Un point de plus en plus cristallisant dans l’univers du jeu vidéo.