"On a posé les bases des open worlds modernes": "Assassin's Creed", 18 ans de révolutions, de déceptions et de renaissances

18 ans. C'est l'âge de la maturité, de l'émancipation, dit-on. Celui qu'aura aussi en fin d'année la franchise Assassin's Creed, née des esprits créatifs d'Ubisoft en 2007 et qui accouche de son dernier-né ce 20 mars. Assassin's Creed Shadows se veut le jeu de l'évolution, de l'aboutissement aussi et d'une nouvelle ère.
Ce qui ne devait être au début qu'une trilogie autour de l'histoire de Desmond Miles, un homme du XXIe siècle qui revit la mémoire de ses ancêtres, a vite été dépassé par son concept. "On voulait utiliser l'histoire de l'humanité comme un terrain de jeu, mêler intrigue contemporaine et reconstitution historique", explique à Tech&Co Marc-Alexis Côté, producteur exécutif de la licence. "Le présent et le passé ont toujours eu un lien fort dans Assassin's Creed. Et ça, on y reste fidèle jusqu'à aujourd'hui."
D'une trilogie à une saga en constante évolution
Il faut dire que la franchise est devenue la poule aux oeufs d'or d'Ubisoft, son plus grand succès commercial et son jeu le plus emblématique. De la trilogie initialement prévue, la licence s'est mue en saga annuelle. Avec ses hauts et ses bas au fil du temps. "On a vite réalisé qu'il y avait quelque chose qui fascinait les joueurs avec cette machine (L'Animus, NDLR) et ce retour dans le passé", ajoute le Québécois. Mais ce n'est pas tant le premier jeu qui va asseoir les destinées de la saga.

Les arrivées d'Altaïr, d'Ezio et tous les autres en font un phénomène culturel. La saga est saluée pour la reconstitution historique des époques traversées (Renaissance italienne, Caraïbes des pirates, Révolutions française et américaine, Révolution industrielle…). Jusqu'à épuiser le concept et les joueurs avec des mécaniques répétitives.
Le premier jeu a été un succès immédiat, mais c'était en quelque sorte un prototype de la franchise. Assassin's Creed 2 a posé les bases des open worlds modernes et leur a donné leurs structures", souligne Marc-Alexis Côté.
Après un léger passage à vide et une pause bienvenue, Assassin's Creed Origins (2017) relance la mécanique en amorçant un virage plus RPG (jeu de rôle) dans l'approche. La clé du succès: des mondes ouverts encore plus vastes et remplis, une personnalisation plus grande du héros avec progression, et un gameplay plus fluide. Odyssey et Valhalla ont poussé le concept à son paroxysme avec de très larges mondes ouverts offrant de la liberté d'exploration sans commune mesure. Trop de choses à faire et trop de temps avalé, diront certaines critiques.

"On est passé d’un playtime moyen de 20 heures à plus de 60-80 heures", note Marc-Alexis Côté. Un concept qui perdure jusqu’à Mirage, dont la durée de jeu réduite et l’ambiance d’un univers plus resserré ont plu, donnant aussi à réfléchir à un jeu moins ambitieux sur le fond et la forme. Une sorte de retour aux sources en mélangeant histoire, action et aventure.
Une fiction historique, pas une leçon d'histoire
L’arrivée d’Assassin's Creed Shadows préfigure ainsi d'une troisième ère pour Ubisoft. Celle qui doit allier le meilleur des deux mondes: une narration davantage centrée sur les personnages et une structure plus flexible. "Le mot clé au début de la création du jeu a été dynamisme", rappelle le patron de la franchise. Technologiquement, le jeu profite des avancées du moteur maison Anvil. Il atteint un niveau de réalisme assez bluffant dans cette reconstitution du Japon féodal, avec sa météo changeante, ses saisons, qui ont un impact sur le déroulé du jeu.
S'il opte pour son tout premier personnage jouable historiquement avéré, Shadows s'éloigne un peu plus de l'histoire et refait du cadre historique son terrain de jeu, préférant raconter l'histoire de Naoe et Yasuke comme "une fiction historique".
"On veut y faire venir le vertige de l'histoire, les échos du passé, à travers des histoires qui auraient pu exister", résume le Québécois. "Montrer que les problèmes d'hier ressemblent beaucoup aux problèmes qu'on peut avoir aujourd'hui, et qu'on est capable de tirer des leçons de ce passé-là".

Pour cela, la narration a été modulée, repensée. Pendant longtemps, les assassins partaient en quête de fragments d'Eden trouvés dans le présent pour mieux comprendre le passé. "Notre manière de raconter cette relation passé/présent a évolué pour maintenir l'intérêt des joueurs," reconnaît-il. Pour se détacher aussi du procès en véracité historique fait parfois à Ubisoft qui ne s'est pourtant jamais posé en historien.
Que ce soit Jean-Luc Mélenchon et Alexis Corbière s'en prenant à Assassin's Creed Unity qui dépeignait une Révolution française revisitée avec quelques anachronismes volontaires (la flèche de Viollet-le-Duc, des personnages historiques croisés un peu tôt…), la présence d'un samouraï noir ou bien les quelques "approximations" historiques pour les besoins de l'histoire, la licence ne s'est jamais positionnée en professeur d'histoire.
"Ça nous a affectés et beaucoup ébranlés certaines fois. J'ai eu des gens en pleurs, touchés par des critiques souvent injustifiées, photos prises sur place à l'appui pour la couleur de feuilles d'arbres au printemps par exemple qu'on leur reprochait", reconnaît Marc-Alexis Côté. "Je leur ai beaucoup rappelé la qualité de ce qu'on s'appliquait à faire: livrer le jeu le plus abouti et une fiction."
D'un héros solitaire à un duo d'histoires
Pour ce 14e opus, l'histoire a aussi évolué avec ses personnages aux destins parallèles, puis entrelacés jusque dans le gameplay. Pour la première fois, de très nombreuses missions sont jouées au choix avec l'un ou l'autre des personnages. Naoe, la shinobi adepte de l'infiltration, du parkour et de la furtivité, plus assassin finalement dans l'esprit et la jouabilité que le nouveau venu, samouraï brutal et qui va au combat en force. Mais pour la première fois, le joueur a vraiment le choix.
D'un héros solitaire à l'histoire linéaire, on arrive désormais à un vrai duo. Syndicate avait tenté une première ébauche avec Jacob et Evie, frère et soeur aux capacités différentes, mais figés dans la structure de l'histoire. Odyssey avait donné le choix entre Kassandra et Alexios dès le début, mais "des héros finalement assez similaires". Mais l'expérience a porté ses fruits pour faire évoluer les personnages.

"Sur Syndicate, on était extrêmement fiers d'avoir été capables de livrer deux héros. On a découvert plein de choses, mais on avait été limités par le temps," rappelle celui qui était aussi directeur du jeu à l'époque. "On a appliqué les leçons en faisant Kassandra et Alexios sur Odyssey. Mais ils étaient un peu en miroir. Et là, on s'est dit “Bon, maintenant, on sait vraiment comment faire. Donc, on y va avec Yasuke et Naoe'."
Mais l'évolution des personnages, la façon de les mettre en scène dans des environnements toujours plus grandioses, tient aussi à une façon de les penser. Un virage opéré finalement dès Black Flag avec Edward Kenway. "Avec Assassin's Creed IV, on a introduit le concept de l'hybridation des fantaisies", se souvient Marc-Alexis Côté. "Il y a la fantaisie de l'assassin et celle du pirate qui se mélangent et apportent encore plus d'immersion".
L'identité de l'assassin se teinte alors des éléments de son époque (mythologie, le viking, le mercenaire, le ninja…). "A une époque, la fraîcheur d''AC' venait de la découverte d'une nouvelle époque. Je pense que, dans le futur, cela va venir de la qualité de la recherche et du rendu de l'époque qu'on est capable d'offrir autant que du gameplay", plaide-t-il. "Notre objectif reste toujours d'avoir le meilleur du meilleur pour Assassin's Creed et de nous servir des apprentissages des jeux précédents."
Ubisoft a encore de nombreux jeux Assassin's Creed dans sa besace et en cours d'élaboration. La licence peut-elle s'essouffler? Les équipes espèrent que les évolutions apportées vont permettre de renouveler l'intérêt et surprendre les joueurs, qui ont été bien plus écoutés qu'ils ne pensent, sous-entend Marc-Alexis Côté. Entre respect de ses origines et besoins d'innover, l'avenir dira si Shadows est le tournant espéré ou une transition éphémère. "Tant que la passion des créateurs et l'engouement des joueurs resteront présents, la saga continuera d'explorer de nouvelles époques", promet-il.