"Assassin's Creed Shadows": comment Yasuke est devenu la cible de l'extrême droite

Ubisoft avait-il raison de mettre Yasuke en personnage principal d'Assassin's Creed Shadows, le nouveau jeu de la saga qui arrive ce jeudi? Pour une frange réactionnaire des joueurs, la réponse est non, faute de réalité historique, clament-ils. Au point de fragiliser le jeu évènement de l'éditeur français, qui se serait bien passé de cette polémique.
Ce qui est certain, c'est que ce protagoniste, qui a véritablement existé dans l'histoire du Japon, n'a laissé personne indifférent.
Retour en 2024: Ubisoft annonce son nouveau jeu évènement avec un "samouraï noir" comme personnage principal. Yasuke n'est pas le seul à pouvoir être joué mais il cristallise les tensions.

Yasuke, également connu sous les noms Kuro-san ou Kuro-suke est décrit dans le jeu d'Ubisoft comme un combattant ayant rejoint le crédo des assassins pour accomplir sa légende, comme le veut le récit de la saga.
"Le choix éditorial d'Ubisoft d'en faire un des deux personnages principaux ne me paraît pas si étonnant que ça, car c'est un personnage que l'on voit depuis longtemps dans la pop culture japonaise," note à Tech&Co le journaliste Romain Mielcarek, auteur de Yasuke: le samouraï africain (Plon Editions, 21 euros).
D'ailleurs, Yasuke a déjà été le héros d'un anime diffusé sur Netflix en 2021, produit par le studio MAPPA (Jujutsu Kaisen, Dororo...), ainsi que de plusieurs mangas et oeuvres cinématographiques locales, comme Afro Samouraï.
"Ca a aussi déjà été un personnage important dans plusieurs jeux vidéo, comme Nioh, où il est un boss important" poursuit Romain Mielcarek. Ce n'est pas un personnage qui a eu un rôle important au Japon, il est en fait quelqu'un qui va croiser des figures importantes de l'histoire. Mais c'est typiquement japonais que de s'intéresser aux protagonistes plus secondaires, par exemple dans les shonen."

Pourtant, sur Assassin's creed, un samouraï noir, ça ne passe pas. Peut-être parce que la saga aime a toujours revendiqué une certaine réalité historique - par exemple, la reconstituion de Notre-Dame - sans s'y tenir formellement: le jeu reste une fiction et même une science-fiction.
Mais sur les forums, sur les réseaux sociaux, les critiques onr déchainé des foules de crtiiques. Aux Etats-Unis, en France mais aussi au Japon, un mouvement hétéroclite, bruyant, se créé, allant même jusqu'à la création d'une pétition souhaitant l'interdiction du jeu. Celle-ci a récolté plus de 100.000 signatures eu Japon.
"Parmi toutes les réactions négatives sur les réseaux sociaux, il n'y en a qu'une partie, en fait, qui sont des joueurs d'Assassin's Creed" tempère Romain Mielcarek.
"Le principal moteur, c'est la réaction (à une nouvelle information sur le jeu, NDLR), notamment sur les sujets portés par les MAGA (mouvement pro-Trump ultraconservateur) - le jeu ayant été dévoilé en pleine campagne américaine - et qui en profite pour taper sur les questions de diversités et des minorités," poursuit le journaliste.
Mais le phénomène autour de Yasuke n'est pas uniquement le fait de la politique américaine. En France, une frange de l'extrême droite s'est emparée du sujet, en étant particulièrement bruyante sur les réseaux sociaux.
"L'extrême droite est prête à tous les prétextes" assure Romain Mielcarek citant notamment le Raptor Dissident ou Psyhodelik (deux influenceurs français actifs sur Youtube et réputés réactionnaires, NDLR), pointant du doigt leur tendance à réagir sans connaître les ressorts historiques.
Esclave au Japon
Au Japon en revanche, la polémique est historique. "Certains Japonais ont l'impression qu'on leur vole leur histoire, leur image du samouraï, pour le donner à quelqu'un d'autre, en l'occurrence un personnage noir" poursuit Romain Mielcarek. "Et il y a un vrai débat historique sur la manière dont il faut le décrire, comme un samouraï ou non." Un débat qui permet donc des libertés, Ubisoft a fait son choix.
Pour le journaliste, c'est davantage la présentation faite par Ubisoft qui pose problème, notamment lorsqu'il est décrit comme un personnage quasi légendaire: "Quand on regarde historiquement, il n'y a rien qui permet de constater qu'il a fait des miracles au combat," note Romain Mielcarek.
Dans les faits, Yasuke est arrivé esclave au Japon en 1579. Deux ans plus tard, il rencontre le seigneur de guerre Oda Nobunaga qui va le prendre comme serviteur, sans que l'on sache s'il a été affranchi ou s'il est resté esclave. Il disparaît de l'histoire japonaise en 1582 après la mort de son maître.
Malgré l'absence de sources, Yasuke est victime d'une véritable chasse aux sorcières violente, alors même que l'occident s'est déjà emparé de la question d'un étranger devenant samouraï, notamment dans le film Le Dernier samouraï avec Tom Cruise. "Ca n'a choqué personne à l'époque" rappelle Romain Mielcarek.
Une minorité liée à l'extrême droite, y compris en France
"Vous avez une minorité de quelques comptes liés à l'extrême droite sur les réseaux sociaux qui engagent énormément de conversation en créant beaucoup de contenu, avec une communauté très engagée," renchérit auprès de Tech&Co Olivier Mauco, président de l'Observatoire européen des jeux vidéo.
Dans sa dernière enquête, on découvre que Yasuke fait face à "une croisade morale" portée par le monde conservateur et des influenceurs mobilisés contre les jeux "woke". Les résultats de l'étude montre ainsi que dans plus de 822.000 conversations tenues sur X, Youtube ou encore la presse en ligne, les rebonds les plus négatifs concernent le choix d'incarner un personnage noir, et sont réalisés par des influenceurs proches du mouvement "Gamer Gate", vecteur d'une campagne de harcèlement sexiste contre des femmes journalistes et développeuses.
Parmi ces influenceurs, on trouve ainsi Asmongold et Grummz, deux figures du Youtube conservateur, qui se sont toujours opposées aux choix d'inclusivité des sociétés de jeux vidéo.
"Ils ne lâchent pas et sont omniprésents, quitte à faire un copier/coller de leurs réponses," révèle Olivier Mauco, qui regrette "un travail de sape" incarné par "une toute petite minorité."
L'étude démontre que les joueurs exprimant une opinion aussi négative sur Yasuke et les choix d'Ubisoft ne représentent que 0,8% de ceux s'exprimant sur le jeu de manière générale. Pourtant, ils pèsent pour 22% des interactions générées autour du jeu (sous la forme de réponse à des publications, de vidéos...), rien qu'aux Etats-Unis. Une minorité très bruyante.
Une stratégie numérique portée par Elon Musk
Olivier Mauco y voit d'ailleurs la conséquence des événements ayant mené au retour de Donald Trump à la Maison blanche: "Lors de la campagne de Donald Trump, on a bien vu que cela faisait partie de sa stratégie numérique. D'autant plus que ces personnes à l'origine de ces critiques peuvent ensuite compter sur la validation d'un Elon Musk, par exemple, qui réagit régulièrement au sujet." Le milliardaire ne s'en est évidemment pas privé.
Au-delà des débats occidentaux, le Japon, pourtant premier concerné, fait figure d'exception. Entre novembre 2023 et novembre 2024, la courbe entre les avis positifs et négatifs ne s'est jamais inversée. Elle est ainsi de 19,9% pour un sentiment positif, contre 14,6% de sentiment négatif.
"Au Japon, il y a davantage eu des réactions négatives au sujet des journalistes occidentaux et des experts ne parlant pas japonais," ajoute Olivier Mauco.
Un débat qui n'est pas prêt de s'arrêter puisqu'une nouvelle cible vient d'être trouvée: Ghost of Yotei, suite de Ghost of Tsushima, qui met en scène... une femme.