Le succès de la "French Touch": "Clair Obscur: Expedition 33", le jeu tricolore acclamé à l'international

Gustave, Maelle, Lune, Renoir et bien d’autres, ainsi qu’une ville baptisée Lumière. Dès les premières minutes de Clair Obscur: Expedition 33, on comprend qu’il y a quelque chose de "très français" dans le monde qui s’offre à nous. L’aperçu dès le premier trailer du jeu de ces représentations parfaitement identifiables et inspirés d’une tour Eiffel détruite et d’un Arc de Triomphe coupé en deux ont rapidement donné le ton.
"On a voulu dès le départ faire quelque chose de très orienté vers le haussmannien, le Parisien, tout ce qui avait un petit côté français", explique à Tech&Co Nicholas Maxson-Francombe, directeur artistique de Clair Obscur: Expedition 33. "On a mis un côté Belle Époque mélangé avec de l’Art Déco, que ce soit aussi dans l’architecture comme les tenues, un peu partout."

Et pourtant, Guillaume Broche, l’homme derrière l’idée initiale, avait initialement pensé à un style plus victorien et Steampunk. "Mais il y avait déjà beaucoup de jeux de ce style et on voulait trouver quelque chose de beaucoup plus unique qui n’avait quasiment jamais été exploré", ajoute Nicholas Maxson-Francombe. Et François Meurisse, cofondateur du studio, d’ajouter: "On est allé chercher dans des inspirations assez françaises en termes de références de cette époque pour les lieux et les éléments. Et puis, le jeu commence dans une ville qui s’appelle Lumière."
Le Paris de la Belle-Epoque
La maison de ville très "art déco" où s’est installé le studio Sandfall Interactive en 2021, avec son grand escalier majestueux, ses hauts plafonds et son architecture très particulière, ne doit pas être très étrangère au style que l’on retrouve aussi dans le tout premier jeu du studio montpelliérain. Un style "un peu destroy", expliquent ses concepteurs, volontairement voulu.
"On a repris énormément de références architecturales, des bâtiments haussmanniens, du mobilier urbain, etc.", précise François Meurisse. Le jeu commence d’ailleurs par une balade dans cette ville et sur ses toits comme pour mieux admirer l’excellent travail visuel réalisé pour donner vie à ce Clair Obscur: Expedition 33 si français. "C’est une ville qu’on connaît bien et on est fier d’avoir pu réutiliser des choses de notre quotidien pour faire un RPG (jeu de rôle) qui ait des inspirations qu’on n’avait pas vues jusqu’à présent dans ce genre de jeux. Ça, c’est notre petit truc un peu spécial." Et elle s'accompagne d'une musique créée aussi en France, par Lorien Testard et Alice Duport-Percier, l’interprète et compositrice de certains morceaux.

Les personnages ont également quelque chose de très hexagonal dans leur apparence, leurs vêtements et leur façon de parler. Les noms de Gustave et Maelle sont écrits en français dans le texte, que le jeu soit en anglais ou en français. Renoir, incarné en anglais par Andy Serkis, apparaît comme un clin d’œil au style artistique parfois éthéré et impressionniste aussi voulu par les créateurs, même si Clair Obscur bascule plus souvent du côté obscur que clair, comme un tableau d’antan avec ses environnements sombres et variés, aux couleurs spécifiques pour chaque zone. Les rochers volants convergeant vers la Peintresse "en position fœtale de femme triste", ce mélange d’inattendu et absurde rappellent aussi la culture visuelle française du début du 20e siècle, passée au prisme de la fantasy et du monde dystopique, pour créer un style visuel unique et mémorable.
Et l’effet est immédiat sur le joueur. La narration épouse aussi ce propos avec une trame, des dialogues qu’on pourrait trouver dans la littérature française du 19e siècle. La figure tutélaire de Gustave décidée à protéger sa sœur Maelle, celle aussi beaucoup plus violente et parfois limite zolienne de Renoir, rappellent des personnages très intériorisés, alternant entre le sombre et le lumineux. Des personnages aux allures de héros du romantisme noir, dans leur physique, leur style vestimentaire très élégant, leurs attitudes, même en combat, bien loin des mécaniques de jeu traditionnelles du RPG au tour par tour.
Sandfall leur a ajouté du temps réel avec des esquives et parades possibles, ce qui rend le tout plus dynamique et moderne. "Guillaume (Broche) avait dans l’idée de révolutionner le RPG, car il ne trouvait pas ce qu’il aimait dans ce genre. Et c’est sans doute le plus grand fan de Final Fantasy au monde", s’amuse François Meurisse. Si on pouvait parler du JRPG (jeu de rôle à la japonaise), peut-être pourra-t-on désormais parler de FRPG (jeu de rôle à la française).
Français jusque dans... la version anglaise
Et pour pousser cette touche française jusqu’au bout, les créateurs du jeu ont même fait enregistrer par les voix anglaises… les gros mots français en français. "La plus grosse difficulté pour moi, ça a été 'Put***'", confie Jennifer English, Ombrecoeur dans Baldur’s Gate 3 et qui prête ici sa voix à Maelle, ravie quand on lui dit qu’elle le prononce bien.
"Guillaume nous dirait non. Il nous disait toujours: 'mais non, pas 'pout***', mais 'put***”, sans que je ne vois réellement la différence”. Son comparse, Ben Starr (Clive dans Final Fantasy XVI), a eu "plus de mal avec le r" d’un autre juron bien français. Mais tous deux en ont en tout cas gardé un souvenir joyeux et "la sensation de parler français" dans ce petit jeu français, d’un studio inconnu qui a su leur plaire par son ambiance et son style artistique bien cocorico, soulignait Andy Serkis.
Et le million de joueurs qui l’avait mis en "wishlist" (liste de souhaits sur Steam notamment) vont sans doute savourer la note Metacritic dithyrambique de 95 sur 100 obtenue par Clair Obscur: Expedition 33 qui en fait le jeu le mieux noté de l’année devant Split Fiction ou encore Monster Hunter Wilds et Indiana Jones et le Cercle ancien (version PS5).
Une note qui résume les critiques de la presse du monde entier, des critiques unanimes qui ont notamment salué la "French Touch" de ce jeu très attendu qui voulait imprimer sa marque française au RPG. Un pari plus que réussi pour un jeu qui apporte un coup de frais à un genre bien établi, en lui donnant encore plus de personnalité.