Tech&Co
Cybersécurité

"Ils te retournent le cerveau": pression psychologique, harcèlement, comment les arnaqueurs trompent même les vendeurs sur Leboncoin

Leboncoin.

Leboncoin. - Lionel BONAVENTURE / AFP

En essayant de vendre sa table sur le site de petites annonces, une jeune femme s'est faite escroquer de 450 euros. L'escroc lui a fait croire que son compte en banque avait été vidé de 10.000 euros, et l'a même menacée de porter plainte.

En prévision de son déménagement prévu en septembre, Stella* a décidé de faire un peu de tri. Ni une ni deux, la jeune femme décide de mettre en vente sa table sur Leboncoin pour cent euros, tout rond.

"Assez vite, j'ai eu une offre au prix", se remémore la jeune femme, qui vend pour la première fois un article sur la plateforme. Enthousiaste, elle clique sur l'offre de l'utilisateur pour l'accepter. Le hic? Il s'agit en réalité d'un lien frauduleux qui renvoie Stella vers un faux site.

"Félicitations! Vous avez effectué une vente avec Leboncoin", lui affirme le site, qui emprunte le nom et la charte graphique de la plateforme de petites annonces. "Pour confirmer la transaction, merci de cliquer sur le bouton et de suivre les étapes indiquées."

Une arnaque sur la durée

Au fur et à mesure du processus, la jeune femme de 27 ans est invitée à remplir les informations de sa carte bleue et même ses identifiants de connexion à sa banque afin de "valider et sécuriser le paiement". Et c'est là que le piège se referme. "Je le fais (...) C'est la bêtise suprême. Dans la précipitation, j'ai même donné mon mot de passe bancaire. Je pensais qu’il fallait le faire pour qu’on me transfère les 100 euros", déplore la jeune femme. En quelques minutes, toutes ses données personnelles sont envoyées au faux site.

"Virement en cours", annonce la plateforme. Quelques minutes plus tard, son téléphone sonne. Un faux conseiller Leboncoin assure l'aider à finaliser la transaction. "Je pensais que ça allait prendre cinq minutes. Mais il y avait toujours une autre étape à faire. Je n'arrêtais pas de lui dire que je devais partir pour le travail, mais il n'écoutait pas", détaille Stella. L'appel finira pas durer une trentaine de minutes.

Le faux conseiller Leboncoin l'incite à télécharger Orange Money Europe, une application de transfert d'argent souvent utilisée par les arnaqueurs. Il lui demande alors de virer 450 euros via l'application pour réaliser "une simulation". Pour lui "prouver sa bonne foi", l'arnaqueur lui envoie 450 euros sur son compte personnel. "Après vérification, il y avait bien le montant sur mon compte", souligne Stella. Elle découvrira plus tard que le montant avait simplement été transféré depuis son compte joint sur son compte individuel.

En retard pour un rendez-vous professionnel, Stella ne remarque pas la supercherie. Alors dans la précipitation, elle s'exécute. Elle télécharge l'application et est même forcée de lire un texte à haute voix en haut parleur. "J'ai trouvé ça bizarre. Mais ils m'ont tellement mis la pression que j'ai fini par le faire", reconnaît Stella, inquiète que sa voix ait été détournée. "Ils arrivent vraiment à te retourner le cerveau."

"J'ai senti que j'étais prise au piège"

Avant de faire le virement, un dernier détail l'alerte. L'acheteur est situé en Côte d'Ivoire. "Depuis le début, je trouvais ça suspect. Alors quand je vois 'Côte d'Ivoire', je raccroche direct", se rappelle-t-elle.

"Je n'en pouvais plus. J'étais au bord des larmes parce que je sentais que j'avais fait une bêtise en lui donnant mes identifiants bancaires (...) Je me suis sentie mal. J'ai compris que j'étais prise au piège mais je ne savais pas quoi faire."

Un geste loin de plaire au faux conseiller Leboncoin qui appelle la jeune femme une vingtaine de fois. "Il me harcelait", se souvient Stella. Sous pression et inquiète, elle décide d'appeler celui qui se faisait passer pour l'acheteur afin de vérifier sa bonne foi.

"J'avais vraiment envie de les croire", note-t-elle. Stella avait d'ailleurs vérifié son profil sur le site de revente. L'homme est noté 5 étoiles sur Leboncoin. "Mais il a continué à me retourner le cerveau." Pire, il menace de porter plainte contre elle et "d'aller aux flics". "J'étais en larme. Il me faisait culpabiliser de pleurer. Il me disait même que je l'avais volé car la plateforme ne voulait pas lui rendre ses 100 euros si je n'envoyais pas les 450 euros pour finaliser le processus."

Chantage et pression psychologique

Réalisant de plus en plus le piège dans lequel elle est enfermée, Stella décide de vérifier ses comptes bancaires. Lorsqu'elle ouvre son application, la jeune femme se fige. Son compte est à zéro. L'escroc a retiré près de 10.000 euros, présents sur son compte pour payer les travaux dans le nouvel appartement.

"Je suis en panique. Je me dis: j'ai tout perdu", explose Stella. Prise d'angoisse, la jeune femme rappelle le faux conseiller... qui tente de la faire chanter. "Il m'explique que j'ai volé 450 euros à l'entreprise et que je dois lui rendre la somme pour retrouver tout mon argent", détaille-t-elle.

Stella tente de négocier et lui explique qu'elle se sent très mal et surtout, qu'elle est enceinte. "Il n'en avait rien à faire. Naïvement, je me suis dit qu'en sachant ça, il allait s'arrêter." A bout, elle décide finalement de virer 450 euros, comme demandé. "Je sentais que c'était du chantage. Mais je voulais tout faire pour récupérer l'argent sur mon compte."

L'acheteur de la table assure alors lui avoir envoyé les 100 euros pour le meuble. Et c'est là que Stella découvre la supercherie. Tous les mouvements d'argent sur son compte étaient faux. "Il avait simplement transféré l'argent de mon compte individuel vers mon compte joint avec mon copain. Les 10.000 ont toujours été sur mon compte. Et ils ne m'ont jamais envoyé 450 euros", lance-t-elle. "Dans la précipitation, je n'ai rien vu!"

Une situation "assez fréquente"

Les 450 euros virés par Stella aux escrocs, eux, sont bels et bien perdus. "Je m'en veux énormément", glisse-t-elle. La jeune femme bloque sa carte, change ses identifiants et surtout, se rend au commissariat pour porter plainte. Un "excellent réflexe" selon Maître Jocelyn Ziegler, avocat au Barreau de Paris, spécialisé en droit bancaire, fraudes en crypto monnaie et droit des affaires.

"C'est une situation assez fréquente. (...) Quand les escrocs mettent la pression aux victimes, les menacent de déposer plainte: c’est de la pression psychologique. C’est difficile de s’en sortir. Et c’est condamnable", observe-t-il.

Porter plainte et saisir sa banque

"La première chose à faire, c'est d'aller porter plainte pour escroquerie, abus de confiance et détournement de fond", note-t-il. En France, seulement 5% des cas sont résolus via la procédure pénale. "C’est quasiment sûr qu’il y aura un classement sans suite. Mais ça reste nécessaire", souligne l’avocat, qui recommande plutôt aux victimes de se tourner vers des procédures parallèles.

Les victimes peuvent saisir leur établissement bancaire. "La banque de l’individu est censée le contacter en cas de mouvement financier anormal pour lui poser une série de questions, et le mettre en garde. Si ça n’a pas été fait, l’individu peut mettre en demeure son établissement bancaire pour défaut de vigilance, d’informations et de sécurité", précise Maître Ziegler. Mais là encore, les procédures aboutissent rarement. L’avocat conseille donc de saisir le médiateur de la banque. Dans la majorité des cas, la victime est remboursée.

Pour éviter de se retrouver dans cette situation, Maître Ziegler conseille de ne jamais sortir du site Leboncoin. "Si le mouvement financier sort du site, Leboncoin ne désengage de sa responsabilité. Il ne faut jamais cliquer sur un lien externe." Un conseil également mis en avant par la plateforme de seconde main qui met en garde tous les vendeurs via un pop-up lorsqu’un article est mis en vente.

Une fois sur le site externe, "99% du temps frauduleux", plusieurs indices permettent de repérer les arnaques. Les utilisateurs peuvent par exemple vérifier l’URL du site, la sécurisation du site, l’orthographe des phrases ou les mentions légales. Autre possibilité, copier-coller l’URL du site dans un outil de vérification pour juger de sa fiabilité. Il en existe plusieurs, comme France Vérif et Scamdoc. Ces outils gratuits permettent d'obtenir un score de confiance

De son côté, Stella attend encore une réponse du médiateur de sa banque. La table, elle, a finalement été vendue pour 50 euros.

* prénom modifié

Salomé Ferraris